Par

Emilie Dudon-Fournier

Publié le

20 août 2025 à 14h52
; mis à jour le 20 août 2025 à 15h18

Le rugby prend-il ce problème au sérieux ? C’est la question que nous nous sommes posée après qu’une nouvelle polémique a éclaboussé le milieu le 17 août dernier, quand une influenceuse a posté une vidéo suspectant Richard Dourthe de soulever sa jupe aux fêtes de Dax. Car, encore une fois, les raccourcis ont vite été faits et, au-delà d’un rapport homme/femme déviant, c’est le rugby en lui-même qui a de nouveau été pointé du doigt concernant les agissements de ses joueurs en soirée. Comment pourrait-il en être autrement, après la déflagration immense provoquée par l’affaire Jégou-Auradou (malgré le non-lieu dont ont bénéficié les deux joueurs du XV de France) ou encore la lourde condamnation reçue par trois joueurs du FCG pour « viol en réunion » ?

Des actions de sensibilisation à la LNR et dans les clubs

À l’heure où les réseaux sociaux ont complètement rebattu les cartes, où tout est su, tout est vu, est-il encore possible de fermer les yeux ? Ou bien le problème est-il pris à bras le corps par les clubs de rugby, les centres de formation, les institutions, si tant qu’ils considèrent ceci comme un problème ?

« On ne prend pas le sujet à la légère », assure Jean-François Fonteneau, président d’Agen et de la commission formation à la LNR. Contactée, la Ligue l’a confirmé à Actu Rugby : « La Ligue Nationale de Rugby est pleinement mobilisée pour faire vivre les valeurs du rugby, au premier rang desquelles figurent le respect et l’exemplarité, sur le terrain comme en dehors. »

Accompagner les joueurs à être des bons citoyens

Comment y parvenir, alors ? « Concrètement, nous agissons à deux niveaux. D’une part, la LNR travaille étroitement avec les clubs, qui sont en lien quotidien avec les joueurs, pour renforcer la prévention, l’accompagnement en cas de comportements à risques et l’application de sanctions fermes en cas de dérive. D’autre part, la LNR a lancé un plan ambitieux sur la santé mentale, qui comporte un volet dédié à la question des addictions. Ce plan se traduit par des ateliers de sensibilisation organisés dans les clubs, un protocole commun pour détecter les situations à risque, une ligne téléphonique dédiée aux médecins, la formation des staffs, ainsi qu’un réseau d’experts capables d’assurer une prise en charge individualisée. »

Même son de cloche du côté de Provale : « La question du consentement fait partie des projets de sensibilisation que nous souhaitons amener différemment et nous réfléchissons actuellement à différents formats », explique Malik Djebablah, le directeur général adjoint du syndicat des joueurs. « Nous menons déjà des actions de prévention et de sensibilisation. Cette année par exemple, nous sommes intervenus dans les centres de formation au sujet de la gestion de l’image, capitale à l’heure des réseaux sociaux. Nous avons fait intervenir des joueurs d’expérience pour venir corroborer notre message. Notre mission est d’accompagner des hommes à être des joueurs de rugby mais aussi des bons citoyens, des bons futurs hommes, compagnons et pères de famille. »

Le syndicat Provale vient d'être condamné deux fois en peu de temps après le licenciement de deux de ses salariés.
Le syndicat des joueurs, Provale, intervient dans les clubs et dans les centres de formation pour sensibiliser les joueurs. (©Provale)La gendarmerie nationale à Toulon

Du côté des clubs aussi, on se bouge. À Toulon par exemple, un partenariat a été mis en place avec la gendarmerie nationale depuis l’an dernier. Elle intervient auprès des jeunes, des U14 jusqu’au centre de formation, sur les addictions à l’alcool, à la drogue, au sexe etc. « En plus de celles de Provale et de celles du staff, les joueurs assistent à peu près à deux ou trois interventions sur ces sujets chaque saison », confie Cédric Béal, directeur du centre de formation du RCT. « Certains écoutent et d’autres beaucoup moins, mais c’est essentiel. »

Les affaires sorties ces derniers mois ont amené le sujet du consentement sur le tapis et l’ancien troisième ligne a dû faire évoluer l’accompagnement de ses joueurs depuis qu’il a pris son poste au RCT, il y a quatre ans. « C’est un sujet depuis toujours mais on en parle vraiment seulement depuis ces affaires. Nous en remettons une couche à chaque fois que l’actualité nous y pousse. Je leur explique qu’un « oui » à 23 heures peut être un « non » à 2 heures du matin. Après, on ne peut pas tout maîtriser… »

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C’est là que des « garde-fous » sont mis en place avec des joueurs, qui ne boivent pas ou sont plus âgés, nommés responsables de leurs coéquipiers lors des soirées. C’est aussi le cas chez les pros, comme nous le confirme Jean-François Fonteneau à Agen. Eux aussi assistent à des interventions de sensibilisations au sein du club, « trois à quatre fois par an. Je fais aussi passer le message parfois quand c’est moi qui interviens. » 

« Je ne vous cache pas que c’est compliqué quand il faut aller au commissariat pour discuter ou comprendre ce qu’il s’est passé et répondre du comportement déviant d’un joueur. »

Jean-François Fonteneau
Président d’Agen

Autrefois à la marge, la question du comportement des joueurs en dehors du stade, avec l’alcool et les femmes notamment, est obligée d’être traitée depuis l’explosion des réseaux sociaux, témoins bruyants et gênants dès qu’un écart a lieu. Cédric Béal consent : « À mon époque, quand il y avait un accrochage dans un bar, le président ou l’entraîneur allait voir le gérant de l’établissement et présentait des excuses. C’était peut-être su mais cela restait très local. Aujourd’hui avec les réseaux, il n’y a plus aucun droit à l’erreur. » 

« Nous sommes très vigilants en soirée. Je ne vous cache pas que c’est compliqué quand il faut aller au commissariat pour discuter ou comprendre ce qu’il s’est passé et répondre du comportement déviant d’un joueur », confirme le président agenais, qui a vite été confronté au problème à sa prise de fonctions voilà neuf ans. « Quand je suis arrivé, j’ai assez rapidement dû faire face au problème de deux viols supposés. Alors je suis extrêmement sensible sur ces sujets, qui ont parfois des conséquences très graves. Je l’ai encore connu récemment avec le cas de George Tisley (le joueur de Soyaux-Angoulême avait été licencié du SUALG pour faute grave lors d’une soirée. Il est actuellement poursuivi en justice pour des faits présumés de violences conjugales, N.D.L.R.). »

Le président du SU Agen Jean-François Fonteneau s'est montré relativement serein vis-à-vis de la saison du club, malgré l'annonce du départ du manager Bernard Goutta.
Le président du SUALG, Jean-François Fonteneau. (©Icon Sport)Une question d’éthique et d’image

Le problème de l’image du joueur, des clubs et du rugby tout entier est aussi une composante qui pèse lourd. Et les affaires récentes ont beaucoup écorné l’image du rugby, dont la popularité avait explosé en France depuis les années 2000. Bien sûr, tout cela ne date pas d’hier et tous les rugbymen, de tous les niveaux, pourraient probablement raconter une histoire salace à laquelle ils ont assisté (ou participé) en soirée. Mais le contexte est très différent maintenant.

« Avant, les choses sortaient moins », reprend Jean-François Fonteneau. « Des situations problématiques existaient évidemment, et pas seulement au rugby. La différence c’est qu’aujourd’hui, elles sont sous le feu des projecteurs. Au foot par exemple, qui est beaucoup plus médiatisé depuis toujours, les joueurs qui font des incartades avec une jeune femme lui font signer une décharge et prennent une photo avant et après. On n’est pas habitué à ça au rugby. »

« C’est aussi un problème sociétal et c’est également aux parents et à l’école d’agir. Il faut rééduquer tout le monde sur ces sujets, pas seulement les joueurs de rugby ».

Malik Djebablah
Directeur général adjoint de Provale

La question des comportements déviants en soirée va, en réalité et évidemment, bien au-delà du rugby. Mais elle lui a déjà fait beaucoup de mal. Les clubs et les institutions tentent de la résoudre, même si ce n’est pas le cas partout. Un responsable de centre de formation que nous avons contacté nous a par exemple indiqué ne pas savoir quoi nous répondre sur le sujet.

« Il est important de rappeler que cela reste des actes isolés vu le nombre de joueurs professionnels et amateurs en France », souligne Malik Djebablah. « Ce sont des choses très graves sur lesquelles il faut se pencher, et nous le faisons. Mais c’est aussi un problème sociétal et c’est également aux parents et à l’école d’agir. Il faut rééduquer tout le monde sur ces sujets, pas seulement les joueurs de rugby ».

Les commentaires qui pullulent sous les publications à propos de la jupe soulevée, et l’angoisse énorme qu’ils ont générée chez l’influenceuse selon ses dires sur Instagram deux jours après avoir posté la vidéo, ne peuvent que le confirmer…

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