Imaginez pouvoir
résister au diabète comme un écureuil terrestre, ou protéger votre
cerveau des AVC comme un ours en
hibernation. Cette perspective, qui relevait jusqu’ici de la
science-fiction, se rapproche dangereusement de la réalité. Des
chercheurs viennent de faire une découverte stupéfiante : les
humains possèdent exactement les mêmes gènes d’hibernation que les
mammifères hibernants. Et ils commencent à comprendre comment les
exploiter.
Un arsenal
génétique insoupçonné
L’hibernation n’est pas
qu’un simple sommeil prolongé. C’est un véritable tour de force
biologique qui confère aux animaux des capacités extraordinaires.
Christopher Gregg, généticien à l’Université de l’Utah, qualifie
ces phénomènes de « super pouvoirs biométriques ».
Prenez l’écureuil
terrestre : avant l’hibernation, il développe une résistance
temporaire à l’insuline qui lui permet de stocker rapidement les
graisses nécessaires à sa survie hivernale. Cette résistance
disparaît ensuite progressivement pendant l’hibernation. Une
mécanique biologique d’une précision remarquable qui intrigue
particulièrement les chercheurs travaillant sur le diabète de type
2.
Autre prodige : la
neuroprotection. Lorsqu’un mammifère hibernant sort de sa
léthargie, son cerveau est brutalement reperfusé par le sang. Chez
un humain, ce phénomène provoquerait des dégâts similaires à un
accident vasculaire cérébral. Pourtant, ces animaux émergent de
leur hibernation sans la moindre séquelle neurologique.
Le mystère
du locus FTO déchiffré
Pour percer ces secrets,
l’équipe de Gregg s’est penchée sur un groupe de gènes particulier
: le locus FTO, présent chez tous les mammifères, y compris
l’homme. Ce complexe génétique, déjà connu pour son rôle dans
l’obésité humaine, contrôle le métabolisme, la dépense énergétique
et la masse corporelle.
Les scientifiques ont
identifié cinq éléments régulateurs cruciaux, véritables
« interrupteurs » génétiques qui activent ou désactivent
les gènes d’hibernation. Ces découvertes, publiées dans la
prestigieuse revue Science, révèlent enfin comment certains
mammifères parviennent à basculer dans cet état métabolique
unique.
Des souris
qui ne mentent pas
Impossible d’expérimenter
directement sur des humains hibernants, pour d’évidentes raisons.
Les chercheurs ont donc utilisé des souris de laboratoire qui, bien
qu’incapables d’hibernation, peuvent entrer en torpeur après un
jeûne de six heures. Cet état léthargique, caractérisé par une
chute du métabolisme et de la température corporelle, constitue un
modèle d’étude acceptable.
Grâce à la technique
d’édition génétique CRISPR, ils ont méthodiquement désactivé chacun
des cinq éléments régulateurs chez différents groupes de souris.
Les résultats ont été spectaculaires : certaines modifications ont
accéléré ou ralenti la prise de poids, d’autres ont bouleversé le
métabolisme ou altéré les comportements de recherche de
nourriture.
L’inactivation de
l’élément E1 chez les femelles a provoqué une prise de poids
massive sous régime gras. La suppression de E3 a modifié les
stratégies de recherche alimentaire, suggérant que ces mécanismes
influencent des comportements complexes bien au-delà du simple
métabolisme.
Chris Gregg, PhD, analyse des données. Crédit : Charlie Ehlert /
Université de l’Utah SantéVers une
médecine de l’hibernation
Kelly Drew, spécialiste de
l’hibernation à l’Université d’Alaska, qualifie ces découvertes de « très
prometteuses ». La perspective d’exploiter ces mécanismes chez
l’homme ouvre des horizons thérapeutiques fascinants.
L’objectif ne serait pas
de faire hiberner les patients, mais de reproduire chimiquement
certains bénéfices de l’hibernation. Des médicaments pourraient
ainsi conférer une neuroprotection lors d’interventions
chirurgicales risquées, ou améliorer la gestion métabolique chez
les diabétiques.
Les défis
de demain
Reste que le chemin vers
ces applications cliniques sera long et semé d’obstacles. Joanna
Kelley, généticienne à l’Université de Californie, tempère
l’enthousiasme : « Ce n’est certainement pas aussi simple que
d’introduire les mêmes modifications dans l’ADN humain. »
Les différences entre
sexes observées chez les souris soulèvent des questions non
résolues. De plus, la torpeur induite par le jeûne chez la souris
diffère fondamentalement de l’hibernation saisonnière déclenchée
par des changements hormonaux complexes.
Néanmoins, ces travaux
constituent une première étape décisive vers la compréhension des
mécanismes fondamentaux de l’hibernation. Et peut-être, à terme,
vers une médecine capable d’emprunter les secrets les mieux gardés
du règne animal.