En décembre 2024, Mediapart avait révélé la violence et l’humiliation à laquelle le quadragénaire, mort lundi, était soumis en direct sur la plateforme Kick, contre rémunération des internautes. Le parquet de Nice avait alors ouvert une enquête.
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Publié le 21/08/2025 06:12
Temps de lecture : 9min
Une photo postée sur Instagram par Jean Pormanove, le 5 mai 2023. (INSTAGRAM / @JEANPORMANOVE)
Sa mort en direct a suscité un émoi collectif. Raphaël Graven, connu en ligne comme Jean Pormanove ou JP, est mort lundi 18 août, après plus de 12 jours de diffusion vidéo en direct le montrant violenté et humilié par deux autres hommes. Une enquête a été ouverte par le parquet de Nice. A ce stade, il n’existe pas de preuve de lien entre les brimades et le décès.
Cette disparition a néanmoins mis en lumière des pratiques peu connues du grand public. Or Mediapart avait révélé dès 2024 les violences que subissait Jean Pormanove en direct sur la plateforme Kick. Dès lors, de nombreux internautes se demandent comment la publication des images a pu se poursuivre. Franceinfo vous explique ce qu’il s’est passé après les révélations du site d’investigation.
Une enquête confiée à la police judiciaire de Nice
En décembre 2024, Mediapart avait rapporté l’existence des vidéos violentes auxquelles Jean Pormanove participait depuis plusieurs mois. Cet ancien militaire s’était lancé dans le streaming au début des années 2010 et s’était fait connaître en réagissant excessivement lors de parties de jeux vidéo.
Ainsi, à partir de 2022, après la rencontre de Raphaël Graven avec deux autres streameurs surnommés Naruto et Safine, les vidéos changent de ton. « Ils ont compris que quand JP s’énerve, ça fait des vues, ça fait de l’argent. Ces internautes payaient pour insulter JP en direct, se réjouir de la violence », a rappelé mardi la journaliste de Mediapart Marie Turcan sur franceinfo. Le trio a ainsi opté pour la diffusion de défis mettant en scène JP et un autre homme, surnommé Coudoux, en situation de handicap et sous curatelle, précisait le média d’investigation dès 2024.
Dans les vidéos, on peut voir Coudoux et JP être victimes de coups et de propos humiliants. Elles contiennent également des scènes de strangulation. A partir de 2023, les images sont diffusées sur Kick, une plateforme australienne, concurrente du leader mondial du live streaming Twitch, et aux règles de modération plus souples.
Après l’article de Mediapart fin 2024, le parquet de Nice a ouvert une enquête, notamment pour « violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables (…) et diffusion d’enregistrement d’images relatives à la commission d’infractions d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne ». Naruto et Safine ont été placés en garde à vue, puis relâchés, et du matériel de tournage a été saisi.
« Les personnes susceptibles d’être mises en cause », tout comme celles supposées « victimes contestaient la commission d’infractions », a néanmoins expliqué le parquet de Nice à l’époque. Coudoux et JP niaient toute violence, « indiquant que les faits s’inscrivaient dans des mises en scène visant à ‘faire le buzz’ pour gagner de l’argent », a précisé le parquet mercredi. « L’un et l’autre indiquaient n’avoir jamais été blessés, être totalement libres de leurs mouvements et de leurs décisions et refusaient d’être examinés par un médecin et un psychiatre. » « Toutes les scènes qui pourraient s’apparenter à de la maltraitance sont en réalité issues d’un script », expliquait encore mardi à franceinfo Kada Sadouni, avocat de Safine.
Une suspension d’une semaine de la chaîne par Kick
En France, la responsabilité des plateformes numériques, comme Kick, est définie par la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 ainsi que, depuis février 2024, par le règlement européen sur les directives numériques. Ce dernier impose notamment aux plateformes numériques la mise en place d’un système de signalement des contenus illicites et une publication des moyens mis en œuvre pour modérer les contenus. Un hébergeur est donc dans l’obligation de modérer, voire de bannir, un contenu contraire à la loi qui lui aurait été signalé.
Mediapart assure que la branche française de Kick n’a jamais répondu à ses sollicitations dans le cadre de son enquête. Mais elle « avait banni pour une semaine la chaîne incriminée », a précisé mardi le site. Cette dernière avait néanmoins repris et était « très vite retournée à sa ligne éditoriale initiale : l’humiliation ».
Contactée par franceinfo pour savoir si d’autres mesures avaient été prises à l’époque, la plateforme n’a pas répondu à l’heure de la publication de cet article. Kick n’ignorait pas que des contenus violents avaient été diffusés : son compte X français avait, courant 2024, publié à plusieurs reprises des images et des propos moqueurs à l’encontre de JP, a relevé BFMTV.
Après la mort de JP, l’entreprise a réagi sur X. « Tous les costreameurs ayant participé à cette diffusion en direct ont été bannis dans l’attente de l’enquête en cours », affirme-t-elle, promettant de « collaborer pleinement avec les autorités ». « En outre, nous avons mis fin à notre collaboration avec l’ancienne agence française de réseaux sociaux et entreprenons une révision complète de notre contenu en français », ajoute la plateforme.
La ministre du Numérique informée des faits
Sur franceinfo, Marie Turcan a rappelé que Mediapart « avait contacté Clara Chappaz [la ministre déléguée chargée du Numérique] en décembre 2024 au moment du remaniement » et de la première enquête du site d’investigation. « Ils avaient essayé de nous répondre, mais ça n’était clairement pas la priorité. » Contacté par franceinfo pour savoir quelles éventuelles actions avaient été entreprises à cette période, le cabinet de la ministre n’avait pas réagi au moment de la publication de cet article.
Après la mort du streameur, Clara Chappaz a annoncé mardi sur le réseau social X avoir saisi l’Arcom, l’autorité de régulation du secteur en France, et effectué un signalement sur la plateforme Pharos, dont les agents examinent les contenus et comportements illicites en ligne. La ministre ajoute avoir « contacté les responsables de la plateforme [Kick] pour obtenir des explications », pointant du doigt des « défaillances » de l’entreprise australienne sur « la diffusion de contenus illicites ».
L’Arcom saisie
Le 10 février dernier, la Ligue des droits de l’homme (LDH) avait saisi l’Arcom sur les pratiques de modération de Kick. « On avait alerté sur le fait qu’il y avait des violences commises » et notamment sur des « personnes vulnérables », dont « la vulnérabilité était connue par les auteurs, puisque c’était justement en raison de leur handicap qu’ils étaient ciblés », a détaillé Nathalie Tehio sur franceinfo. Cette saisine était restée « sans aucune réponse », a certifié la LDH à Mediapart. Interrogée par le média en ligne, l’Arcom n’a pas précisé quelles suites avaient été données à cette saisie.
Mardi, elle a néanmoins assuré s’être rapprochée de l’Office anti-cybercriminalité pour vérifier si le streameur « avait, par le passé, demandé le retrait de contenus sur Kick.com ». L’autorité de régulation a aussi indiqué avoir pris contact avec plusieurs homologues, dont son équivalent allemand (BNetzA). Ce dernier avait, en janvier, « adressé à Kick.com une requête lui demandant de désigner un représentant légal et un point de contact pour les autorités, comme l’exige le règlement sur les services numériques ».
L’Arcom attend donc désormais de savoir si Kick dispose ou non d’une représentation légale dans l’Union européenne pour aviser de la suite. Une lenteur regrettable, selon le député socialiste Arthur Delaporte, président de la commission parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. « L’Arcom avait dit : ‘Je ne sais pas si c’est à moi de réguler ou si c’est à l’Europe, je ne sais pas qui est le représentant légal’. Et donc toutes ces tergiversations juridiques ont pris du temps », a regretté mercredi sur franceinfo l’élu.