C’est un chiffre conséquent, qui pourrait probablement être sous-estimé. En plus de trois ans de guerre en Ukraine, les tribunaux militaires de garnison russes ont rendu pas moins de 18 341 verdicts dans des affaires de désertion et d’abandon de poste, selon les calculs réalisés pour le média d’investigation indépendant russe The Insider par un centre d’analyse dirigé par Kirill Parubets, un ingénieur informatique, opposant à la guerre.
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Si depuis février 2023, pour des raisons de « confidentialité », le Département judiciaire auprès de la Cour suprême a retiré l’accès au public des statistiques détaillées sur les crimes contre le service militaire – qui incluent la désertion et l’abandon non autorisé de poste -, les tribunaux de garnison, eux, continuent individuellement de publier des informations sur les verdicts rendus. L’analyse publiée par The Insider s’appuie donc sur ces jugements, mais ne comprend pas ceux des tribunaux situés sur les territoires occupés. Les auteurs de l’enquête estiment qu’en tenant compte des condamnations prononcées par ces derniers, le nombre total de condamnés pourrait dépasser les 20 000.
Une nette augmentation
Les deux premières années de la guerre ont montré une nette augmentation du nombre d’affaires pour désertion ou abandon de poste. Durant les dix premiers mois de 2022, le nombre de condamnés était relativement faible – seulement 884 personnes. En 2023, ce chiffre a grimpé à 4 346, soit cinq fois plus que l’année précédente. En 2024, le nombre a encore doublé, atteignant 8 561 condamnés. Au cours des sept premiers mois de 2025, 4 679 personnes ont été condamnées, et même si le rythme semble légèrement ralentir, les auteurs de l’enquête rappellent que de nombreux verdicts sont désormais rendus par les tribunaux d’occupation, pour lesquels aucune donnée publique n’est disponible.
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La grande majorité des personnes condamnées – environ 17 500 – l’ont été en vertu de l’article sur l’abandon non autorisé de poste (article 337 du Code pénal russe), tandis que « seules » 1 000 personnes ont été condamnées directement pour désertion (article 338 du Code pénal). En outre, 94 personnes ont été condamnées pour évasion du service militaire par simulation de maladie. Cette qualification juridique n’est pas anodine, notent les analystes, car l’article sur l’abandon de poste « prévoit une peine avec sursis comme alternative à la prison ferme », ce qui facilite le retour des condamnés sur le front et les exclut des statistiques de « pertes irrécupérables », contrairement à la désertion.
En croisant ces données avec des fichiers de soldats recherchés et des fuites internes, les auteurs estiment que seul un cas sur trois aboutit réellement à un procès. « Le nombre réel de déserteurs pourrait donc atteindre 60 000 », soit près de 10 % des effectifs russes déployés sur le front, précisent-ils. Une situation qui serait la réelle cause du retrait des statistiques publiques sur le sujet, afin de ne pas contredire la déclaration de Vladimir Poutine de juillet 2025, selon laquelle « toute la Russie forme un front populaire uni et solidaire ».