Ce 15 août, jour de la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska, je suis au volant : on achemine un Mercedes Vito aux soldats de Zaporijia. C’est la 52e voiture qu’on a achetée et livrée au front depuis 2022, grâce aux donations des citoyens ukrainiens.
Un éventuel « deal » nous emplit d’inquiétude. Les compromis seraient évidemment faits sur le dos de l’Ukraine. Échanger des territoires ukrainiens (occupés par la force) contre d’autres territoires ukrainiens (qui ont pu résister) est inacceptable.
Contrairement aux observateurs internationaux, pour nous, ce n’est pas une abstraction. La région de Zaporijia, celle où nous nous rendons, est à 80 % occupée par les Russes. La capitale elle-même, située à 40 kilomètres des positions russes, est régulièrement bombardée, mais elle tient encore. La veille de notre arrivée, la gare routière a été bombardée. Une vingtaine de personnes ont été blessées.
Missiles, drones et bombes
Sur notre route, un gros camion éventré est entouré de plusieurs voitures de police. Un mort. Un missile russe l’a frappé deux heures plus tôt. Grâce à Trump, Poutine continue de nous envoyer ses missiles, ses drones et ses bombes tout en évitant les sanctions. Il n’acceptera la paix que dos au mur. Mais qui le mettra dos au mur ?
Évidemment pas son homologue américain, qui dit que « ce n’est pas [sa] guerre ». L’« ultimatum » américain du 8 août s’est évaporé sans aucune conséquence pour la Russie. Au lieu d’imposer des sanctions, Trump a invité le dictateur russe en Alaska et a mis fin à son isolement diplomatique.
À LIRE AUSSI « Tout est préférable à l’occupation russe » : en Ukraine, dans les territoires revendiqués par PoutineTrès attendus à Zaporijia – la guerre ne marque pas de pause –, nous sommes accueillis par notre ami Bogdan dont le nom de guerre, Lechy, signifie « l’esprit de la forêt ». Ce cinquantenaire, originaire de Marioupol, était forestier avant la grande invasion russe. Historien amateur, il adore la steppe ukrainienne, dont il a beaucoup exploré les kourganes [tumulus qui ont abrité des sépultures collectives de la fin du néolithique au Xe siècle, NDLR].
Chauffeur d’ambulance à Marioupol, assiégée au déclenchement de la grande guerre en mars 2022, il s’est ensuite engagé dans la steppe de Zaporijia, où il a perdu son bras gauche, amputé au niveau de l’épaule. Le mutilé de guerre est pourtant de retour dans les rangs de son unité, comme instructeur. Et, pendant son temps libre, il achemine de l’aide bénévole (voitures usagées, batteries, matériel) à diverses unités de sa brigade.
Écœurement
On est à table, à Kanivske, au sud de Zaporijia, avec Lechy. Les positions russes sont juste en face. Ces derniers jours, l’ennemi a envoyé des missiles sur une station balnéaire à peine à un kilomètre d’ici : deux morts et douze blessés, dont quatre enfants. Mais, ce soir, le ciel est beau et les étoiles sont grandes. Les premières images d’Alaska sur nos téléphones sont écœurantes.
Les militaires américains agenouillés déroulent le tapis rouge pour honorer l’arrivée d’un criminel de guerre. Sourires de complaisance, applaudissements de Trump, transfert dans la même voiture, rencontre à huis clos. Le sentiment de honte est tellement envahissant qu’on a envie de détourner le regard. Nous regardons les étoiles, en silence.
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Comment peut-on réussir à apaiser l’agresseur si on le récompense pour son agression ? Le sommet n’a abouti à rien de concret, mais, au moins, le spectre de la trahison américaine a réveillé les esprits européens. Les expressions « droit international », « intégrité territoriale », « pas de faiblesse face à la Russie », « rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine », « garanties de sécurité » ont resurgi.
« C’est ici ou nulle part qu’on se battra, on ne peut plus reculer » nous dit Lechy au moment du départ, en nous commandant une autre voiture. Tout dépendra de ceux qui se rangeront à ses côtés. À Washington et à Zaporijia, à Paris et à Lyman, à Berlin et à Dobropillia, à Sloviansk, Kherson et dans combien d’autres villes et villages encore. C’est maintenant ou jamais. Pour l’Europe comme pour l’Ukraine, c’est la dernière ligne de défense.
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