La Coupe du monde 2015 a marqué les esprits comme celle du périgée du rugby français, conclue par la plus grande déroute jamais enregistrée par le XV de France, face aux Blacks en quart de finale (62-13), point de départ d’une véritable remise en question. Dix ans après, Midi Olympique revient sur la chronique du plus mauvais souvenir sportif de l’histoire du rugby français. Cette semaine, retour sur le quart de finale France – Nouvelle-Zélande. Les All Blacks, après la finale poussive de 2011 et le cauchemar de 2007, vont infliger une dérouillée aux bleus. Histoire de solder les comptes avec la France.
On se sait plus qui écrivit le premier des All Blacks qu’ils portent le deuil de leurs adversaires. Seule certitude, en ce 17 octobre 2015, l’équipe entraînée par Steve Hansen ne fit rien d’autre qu’enterrer un XV de France à des années-lumière du très haut niveau. Y croyait-on encore ? Ce serait mentir, franchement. Parce que, dans les chambres de l’Angel Hotel de Cardiff où logeait alors la crème de la presse sportive française (dont un certain Fabien Galthié, observateur avisé de ce fiasco en tant que consultant pour France Télévisions, qui sut en tirer bien des conclusions pour plus tard), on n’en finissait plus, à la veille du match, de se repasser cette scène surréaliste à laquelle il nous avait été donné d’assister un jour plus tôt. À savoir cette irruption sans tambours ni trompettes de Serge Blanco, alors vice-président de la FFR, accouru comme à la grande époque au Vale Resort Hotel au soutien de Saint-André, pour imposer aux Bleus et à leurs suiveurs une méthode Coué improbable. « On n’a peut-être pas pris celui que vous considérez comme le meilleur, avait alors assené le « Pelé du rugby » à un parterre de plumitifs effaré. Mais comme on est Français, on a envie de prendre le chemin auquel personne ne croit. Pourquoi on va gagner contre les Blacks ? Parce qu’on est Français… »
Voilà pour l’argumentaire, un brin léger vous en conviendrez. Lequel n’avait convaincu personne… On se souvient à ce titre, au comptoir d’un pub quelconque du centre de Cardiff, que le téléphone d’un de nos collègues du Midi Olympique avait sonné, à l’heure du loup. À l’autre bout du fil, le sélectionneur, invitant ledit collègue à partager une bière avec lui comme le dernier verre d’un condamné. Et le sélectionneur, devant le refus de ce dernier (trop tard, trop loin…) qu’il considérait comme un de ses derniers soutiens, de lui lancer une question comme une supplique. « Mais tu y crois, toi, au moins ? » Exception faite à la règle, pour une fois, qui ne disait mot ne consentait pas forcément…
Dumoulin plutôt que Bastareaud au centre, Le Roux flanker, Dulin à l’aile…
Il faut dire que PSA et son staff y étaient allés fort, très fort, dans leur composition d’équipe, à l’image d’un joueur de poker annonçant le tapis avec un deux et un sept dépareillés en main. Mais avaient-ils vraiment une autre option que de tenter ce tout et n’importe quoi comme un Ave Maria, au bout d’un bilan à 44 % de victoires ? On se le demande encore… Le fait est qu’après avoir été désigné coupable en défense la semaine précédente face aux Irlandais, Mathieu Bastareaud se trouvait ainsi remplacé au centre par Alexandre Dumoulin, tandis que Morgan Parra retrouvait son poste de demi de mêlée au détriment de Sébastien Tillous-Borde et que Bernard Le Roux se voyait titularisé en troisième ligne plutôt que Damien Chouly, et surtout que Brice Dulin était maintenu à l’aile pour affronter en vis-à-vis la révélation de la compétition, Nehe Milner-Skudder.
De quoi forcément envisager un pire qui se confirma dès les premières minutes avec la sortie précoce de Michalak, blessé sur un coup de pied contré qui permit à Retallick de marquer le premier essai de la partie, dès la 11e minute. Le point de départ, in fine, d’une Bérézina qui n’épargna personne, à commencer par l’irréprochable Thierry Dusautoir, auteur de trois plaquages manqués dans les premières minutes pour son dernier match en bleu, triste sortie de piste après une série record de 56 capitanats. Une gabegie collective, un festival d’erreurs (16 ballons perdus) et de plaquages manqués (24 %) face à des Blacks désireux de faire oublier leur poussive victoire de 2011 et d’exorciser les démons de 2007 dans ce même stade. Autant dire que l’addition ne pouvait qu’être salée…
Savea, un triplé en mode Lomu
Voilà comment, face à un Julian Savea en mode Lomu, le pauvre Noa Nakaitaci vécut un véritable calvaire dont il mit près de deux ans à se remettre, contraint de voir son vis-à-vis inscrire un coup du chapeau. Comment Scott Spedding et ses « tout-droit » en contre-attaques incarnèrent à peu près autant le néant de la qualité du jeu tricolore que les interventions ballon en main de Bernard Le Roux, le manque criant de génie des deux Sud-Africains des Bleus s’avérant d’autant plus regrettable que symboliques, à ces deux postes historiquement si créatifs du rugby français. Comment Morgan Parra fut éclipsé par Aaron Smith, dont l’impression visuelle reléguait son vis-à-vis à des années-lumière en termes de vivacité et de rapidité d’éjection.
Comment Pascal Papé, K.-O. debout dès les premières minutes, fut renvoyé comme un fétu de paille par un raffût du demi d’ouverture adverse Dan Carter. Et enfin comment Louis Picamoles, de loin le meilleur joueur français de cette Coupe du monde avec Wesley Fofana (capable ce jour-là de parcourir 88 mètres ballon en main sans jamais trouver un seul soutien !), écopa d’un carton jaune après avoir lancé comme une frustration une tomate molle au visage toujours impassible du capitaine néo-zélandais Richie McCaw… Une chienlit, une vraie, qui permit après le doublé en fin de match d’un certain Tawera Kerr-Barlow de dépasser la barre des soixante points encaissés. On comprend mieux, dès lors, pourquoi Rémi Tales fit le choix d’expédier le dernier ballon du match en touche, plutôt que de tenter une ultime contre-attaque qui n’aurait pu que se retourner contre son équipe…
Saint-André, ce coupable idéal
« Je pensais que ça allait être dur, aussi dur, non », admit ainsi à chaud un Saint-André sonné, mais peut-être soulagé que son calvaire à la tête de cette équipe ait pris fin à Cardiff, après avoir vu sa réaction auprès du speaker du match se faire huer par les spectateurs français au moment où son visage apparaissait sur l’écran géant du Millennium Stadium. Ce jour-là – on les avait comptés – huit joueurs des Bleus avaient malgré tout osé un tour d’honneur pour saluer leurs supporters, avant de voir leur car quitter le stade dans l’indifférence générale, piètre épilogue à cette « opération commando » définitivement foirée, prélude à des mots durs lancés à la volée pour s’indigner contre les « fautifs » et demander « des comptes aux coupables ». « On se pose des questions mais trop tard… », regrettait Jean-Claude Skrela.
« Si ça continue comme ça, la France va se retrouver de plus en plus loin », déplorait Frédéric Michalak. « C’est un échec total », renchérissait le président de la Fédération Pierre Camou. « Est-ce qu’on serait passé contre l’Argentine ? Je n’en suis pas sûr », avait même douté à chaud le sélectionneur, trop conscient des manques de son équipe et des lacunes de sa préparation. « J’avais demandé de les avoir quatre à six semaines par an et j’ai bouffé énormément d’énergie là-dessus les deux premières années. On a travaillé comme des fous. Je ne pense pas qu’on aurait pu bosser plus que ça, notamment pendant notre préparation. Mais bosser une fois tous les quatre ans, est-ce que c’est suffisant ? On ne mérite pas mieux que ce quart de finale, la France se situe bien aujourd’hui entre le 5e et le 8e rang mondial. » Ainsi se termina le mandat de celui que ses plus facétieux supporters avaient surnommé pendant quatre ans « Ouin-Ouin » de par sa tendance à imputer ses échecs aux faiblesses structurelles du rugby français. Ce pour quoi il avait évidemment loin d’avoir tort, quand bien même il n’était pas exempt de reproches pour autant, ainsi qu’on le verra dans le prochain épisode…