FIGAROVOX/TRIBUNE – La reprise des pourparlers sur le nucléaire entre les États-Unis et l’Iran ce samedi pourrait bouleverser l’architecture diplomatique au Proche et au Moyen-Orient, explique Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes.

Antoine Basbous est politologue, directeur de l’Observatoire des pays arabes et associé chez Forward Global.

Négocier avec un adversaire désarmé en pointant un pistolet sur sa tempe, c’est l’inviter à une reddition sans conditions. Il semble que nous assistions à ce scénario entre Donald Trump et le régime des mollahs iraniens. En 2018, Trump avait déchiré l’accord international sur le nucléaire iranien approuvé par son prédécesseur, puis fait exécuter en 2020 le général Qassem Soleimani, architecte de l’expansion régionale de l’Iran et concepteur de son «axe de la résistance» chargé d’étrangler Israël et qui a culminé avec l’attaque du 7 octobre 2023. Désormais, avec des bombardiers furtifs B2 déployés à Diego Garcia et deux porte-avions dépêchés sur zone, Trump ne laissera plus à l’Iran l’opportunité de ruser pour gagner du temps et attendre l’arrivée d’un successeur plus clément à la Maison Blanche. Le régime de Téhéran est sommé de choisir entre la soumission et la destruction.

Après l’attaque terroriste du 7 Octobre, Israël a brisé les reins du Hamas, éliminé ses dirigeants, jusqu’à son chef Haniyeh assassiné à Téhéran même, décapité les chefs politiques et militaires du Hezbollah et créé les conditions du renversement du régime d’Assad en Syrie. Il a aussi ouvert le ciel iranien en détruisant ses radars et ses défenses aériennes. Malgré les fanfaronnades de ses dirigeants politiques et militaires, l’Iran se retrouve ainsi très vulnérable, notamment pour ses infrastructures et son coûteux programme nucléaire menacés d’anéantissement, comme en leur temps les programmes irakien et syrien, détruits en 1981 et 2006. Ayant tiré les leçons de l’anéantissement «facile» de ces installations, l’Iran a dispersé et enterré sous des montagnes les différents éléments de son programme nucléaire pour le rendre inviolable.

Aux revers stratégiques infligés aux relais régionaux de l’Iran depuis le 7 Octobre, s’ajoute une situation économique intérieure désespérée due au millefeuille de sanctions qui frappe la République islamique depuis sa création en 1979 et qui prive son peuple de bien-être au nom de la lutte contre les États-Unis et Israël et du soutien à la cause palestinienne. Aujourd’hui, le régime est acculé : s’il reste fidèle à son ADN, il se condamne à une chute brutale, tel Assad en Syrie ; or s’il transige avec le «grand Satan» américain, il perd son âme, sa raison d’être et toute sa légitimité.

Toute alternative serait moins coûteuse pour la stabilité régionale que les pratiques de la République islamique : « l’exportation de sa révolution », l’implantation des « essaims de frelons » dans les pays de la région, notamment autour d’Israël, la prolifération du terrorisme international

Antoine Basbous

C’est une nouvelle page qui s’ouvre dans la douleur au Moyen-Orient : le projet de bombe iranienne est en voie d’avortement, en dépit des colossaux sacrifices consentis ; sévèrement fracturée, l’hégémonie régionale de Téhéran a reflué ; le peuple iranien appauvri et réprimé veut changer de régime, lequel pour survivre semble prêt à des concessions sur ses programmes nucléaire et balistique, notamment. L’Iran semble même décidé à draguer les businessmen américains en leur offrant un marché de 88 millions d’habitants, assoiffés de rejoindre le XXIe siècle et ses importantes ressources naturelles contre la levée des sanctions.

Au pouvoir depuis 36 ans, Ali Khamenei est appelé à «boire la coupe de poison», selon l’expression de son prédécesseur l’ayatollah Khomeini. Ce dernier l’avait bue en 1988 en acceptant un cessez-le-feu défavorable à son armée pour limiter sa défaite face aux troupes de Saddam Hussein. Aujourd’hui, le Guide de la Révolution iranienne se retrouverait contraint de rééditer ce geste face à un Donald Trump obsédé de présenter un «meilleur » accord que celui négocié par l’administration d’Obama en 2015. Naturellement, Netanyahou pousse à la roue et voudrait le démantèlement complet du programme et pas seulement son contrôle. Il met à profit l’attaque surprise du 7 Octobre pour justifier les mesures les plus sévères qu’il réclame contre l’Iran, son nucléaire et ses différents vecteurs : les drones et les missiles.

Le repli prévisible de l’Iran va-t-il permettre aux États de la région de réduire la nuisance des milices créées par Téhéran, voire de les dissoudre et de saisir leur armement ? Le Moyen-Orient connaîtra-t-il plus de stabilité ? Tout dépend de la manière dont se passera la transition post-Khamenei, un malade de 85 ans. L’éventuel effondrement de la République islamique porte en effet le risque de troubles intérieurs ou de réveil des composantes identitaires et ethniques iraniennes. Après tout, on peut estimer que toute alternative serait moins coûteuse pour la stabilité régionale que les pratiques de la République islamique, connues depuis 1979, que sont «l’exportation de sa révolution», l’implantation des «essaims de frelons» dans les pays de la région, notamment autour d’Israël, et la prolifération du terrorisme international qu’elle a guidée.

La Syrie post-Assad est au cœur des deux projets : la Turquie la conçoit comme un État centralisé sous sa coupe quand Israël agit pour son éclatement entre quatre entités dont il sera l’arbitre

Antoine Basbous

Le repli forcé de l’influence iranienne a ouvert la voie à deux projets hégémoniques – et rivaux – au Moyen-Orient qui cherchent l’approbation de la Maison Blanche sur la manière de combler le vide laissé par Téhéran. Le premier est néoottoman, caressé par le président de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, qui – après avoir pris le contrôle de la Syrie grâce à l’installation d’un pouvoir allié – voudrait étendre sa domination sur la Jordanie et le Liban. Le second est israélien : il cherche à exploiter l’attaque du 7 Octobre pour imposer des conditions de sécurité draconiennes fondées sur la force et rarement sur le bon voisinage.

Dans cette perspective, la Syrie post-Assad est au cœur des deux projets : la Turquie la conçoit comme un État centralisé sous sa coupe quand Israël agit pour son éclatement entre quatre entités dont il sera l’arbitre. En effet, les massacres commis en mars contre les Alaouites de la côte par les supplétifs islamistes du nouveau pouvoir à Damas, les menaces contre les Kurdes du nord-est et la marginalisation des Druzes du Golan frontalier d’Israël fournissent des arguments pour la recherche d’émancipation de ces minorités dont la place n’est pas suffisamment reconnue par le nouveau régime. Le peuple kurde, dispersé sur quatre pays de la région (Turquie, Syrie, Irak et Iran) sans reconnaissance de son identité spécifique et privé d’accès à la mer, va largement nourrir les projets de recomposition régionale.

Quelle que soit l’issue du bras de fer en cours, 2025 sera l’année de l’Iran, et celle de l’aboutissement d’un renversement majeur des rapports de force aux Proche et Moyen-Orient.