Dans son premier roman d’une originalité folle, Adrien Le Bot donne la parole à des hommes qui fréquentent les lieux de drague gay. Rencontre avec l’auteur en terre bretonne, où il vit.

Adrien Le Bot est venu d’assez loin (une grosse centaine de kilomètres) pour rallier en voiture le Finistère extrême, où il a accepté de nous rencontrer, depuis la petite ville du Morbihan où il habite. Un beau garçon mince et déployé, d’une petite trentaine d’années, qui dans un premier temps cache ses yeux verts derrière des lunettes noires.

Il dit que c’est son premier entretien et qu’il n’aime pas les choses trop formelles. Il est servi : une petite librairie dudit Finistère extrême sert de structure d’accueil. Pour parler, mais d’abord déjeuner à la fraîche et au calme, la librairie étant aussi un café. La gentille serveuse s’emmêle un peu les pinceaux dans les commandes et ça fait sourire Adrien Le Bot, qui garantit que cette péripétie n’a à ses yeux aucune importance.

Et voilà qu’il nous apprend tout à trac qu’il n’est pas du tout écrivain mais architecte, diplômé de l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes. Pourtant, il publie un livre. Quel rapport ? Sa thèse de doctorat portait sur certains territoires clandestins de notre pays, et singulièrement des lieux de drague en Bretagne. Ce travail a pris entre autres l’allure d’une boîte à déplier sous la forme d’une combinatoire qui liait poésie, théâtre et littérature.

“Il s’agissait pour moi d’inventer des nouveaux outils de recherche du côté des arts plastiques. Dans ce travail, l’écriture n’était pas majeure, presque un accident.” Au fil du temps, l’accident prend de plus en plus de place. Environ quatre ans de recherches. “J’ai consacré toute cette période à arpenter des lieux de drague, fréquentés par des hommes, autour de chez moi. Une zone familière. J’essayais d’être le plus près possible d’une posture intime, comme noyé dans mes habitudes. Une recherche habitée pour partager à mon tour ce territoire.”

Le résultat est un livre titré Tu cherches quoi ?, qui a pris la forme d’une collection de verbatim, de témoignages qui parlent d’une autre façon d’habiter le monde et de s’imaginer pour quelques heures qu’on pourrait vivre autrement. Adrien Le Bot tique sur le mot “témoignage”. “Ce n’est pas de la sociologie. Ma méthodologie pour récolter des propos, plus cueillis que recueillis, comporte une part importante de fiction. C’est une galerie de personnages romanesques, et pour œuvrer je me suis moi-même inventé des figures qui, je crois, troublent une recherche qui sinon aurait versé dans l’académisme.” 

Quelles figures ? “Le personnage du pisseur où le sexe exhibé sert d’appât. Le personnage du petit jeune, un candide qui demande aux ‘anciens’ les coutumes des lieux de drague. Ou encore celui du garçon pressé, qui passe par hasard, qui marche vite, qui n’a pas le temps de s’attarder. C’est surtout cette célérité que j’ai voulu exprimer dans l’écriture, aussi brève et concise qu’une rencontre fortuite.”

Ruralité érotique

On se demande si dans ces lieux de maraude, dont l’auteur affirme qu’ils sont plus nombreux en France que les supermarchés ou les McDo, il n’a jamais eu peur. “J’adore me promener la nuit dans les forêts. Au fil de mes rencontres, quand ça devenait un peu limite ou, plus prosaïquement, ennuyeux, je disais que j’étais chercheur. Ça refermait instantanément toutes les portes.”

Ces lieux de drague étant très majoritairement des espaces d’hommes entre eux, la question se pose de leur “spécialisation”. “L’homosexualité n’est pas le sujet de fond de mon livre. Ce qui m’intéresse, c’est le rapport au territoire, l’imaginaire qu’on y développe fortuitement, les stratégies de déambulation qu’on y déploie ; c’est une multiplicité où chaque facette change constamment de lumière – cela dit pour contrarier un brin ce qu’on appelle la ‘gaytitude’ qui nous coince entre deux dogmatismes.

D’une part, celui des LGBTQIA+ manifestes, en très grande partie forgé sur un modèle urbain – la fierté, l’identité et tout le tintouin marketing qui peut en découler –, et de l’autre, un dogmatisme nettement plus répugnant, qui peu à peu fait son nid dans les discours d’extrême droite, qui non seulement ne disqualifient presque plus les gays mais en font des compagnons de route sur le thème, que je n’invente pas, de ‘l’homo-nationalisme’. Entre ces deux pôles, j’ai découvert une sorte de ruralité érotique qui s’ancre dans la réalité de pratiques nettement plus troubles et fluides. J’ai croisé des hommes mariés et pères de famille, qui venaient de classes sociales très différentes, en gros du prolo au bourgeois.”

Avec une case vide majeure, les femmes. “Pas d’accord. Dans tous ces récits, la femme est partout et nulle part. Beaucoup d’hommes rencontrés m’ont dit ‘je viens ici pour chercher des nanas’. Et ils tombent sur des hommes qui remplacent les femmes, jusqu’à se parer de leurs vêtements ou sous-vêtements. Autant dire une représentation très masculine de la féminité, sur fond souvent d’une misère sexuelle intense.”

Explorer sa nature

Dans le dispositif des lieux de drague, le plein air est-il un élément important ? “Fondamental ! Le rapport à la nature, au vent, aux arbres, aux animaux qui s’affairent la nuit, des oiseaux, des sangliers. Il y a des dragueurs noctambules qui viennent avec leur chien. Certes comme prétexte pour s’absenter – faire pisser le clebs –, mais aussi pour fomenter un duo homme-animal. J’ai connu un type qui vocalisait avec son chien. Dans la nature, on explore sa propre nature, on tisse un lien entre la topographie d’un lieu et la géographie de ses désirs. Moi-même, il a fallu que j’adapte mon emploi du temps – boulot, courses au supermarché, soirées entre amis – pour y intégrer mes échappées nocturnes. J’y pensais tout le temps. ‘Tiens, la nuit est belle, et si avant de rentrer chez moi, je faisais un petit crochet…’”

Adrien Le Bot étant le narrateur des autres, se sent-il plus qualifié ? “Mon but n’est pas de faire parler des gens qui ne parlent pas ou d’être leur porte-parole. D’où la relative mise en fiction de leurs propos. Je me sens comme le cartographe de leurs pulsions, le metteur en scène de leurs personnages, plus que le biographe de leur personne.” Il nous vient à cet égard que Tu cherches quoi ? pourrait devenir une pièce de théâtre.

Au fait, pourquoi ce titre ? “C’est la première question qu’on me posait lors de mes rencontres. C’est une question un peu innocente. On cherche, je cherche, quelque chose, mais quoi ? C’est aussi une question dont j’aimerais qu’elle se retourne vers mon lectorat. Qu’est-ce qui alimente votre curiosité ? Qu’est-ce qui vous dérange dans toutes ces histoires, qu’est-ce qui vous fait rêver ? C’est un récit en marge. La marge, disait Godard, c’est ce qui fait tenir les pages d’un livre.”

Tu cherches quoi ? d’Adrien Le Bot (Allia/“Petite Collection”), 128 p., 10 . En librairie le 22 août.