Nul n’est censé ignorer la Loire – volet 3. Durant tout le mois d’août, If Saint-Etienne vous propose de revenir sur sa série de dossiers consacrés aux affaires qui ont marqué la vie judiciaire stéphanoise et ligérienne. On poursuit avec l’affaire Joëlle Scortani.
Le 3 février 1989, Patrick Jerrold est tué d’un coup de fusil alors qu’il travaillait à la boîte de nuit Le Lido, à Saint-Paul-en-Cornillon. Ce qui ne semble être au départ qu’un simple fait divers, va se transformer en une affaire rocambolesque dans laquelle tueur à gages, divorce, mafia et Minitel rose cohabitent…
(Article initialement publié le 25 janvier 2022, mis à jour le 20 août 2025).
À la fin des années 70, Joëlle Scortani a 22 ans. Issue d’un milieu modeste, elle ne se démarque pas particulièrement mais excelle dans son cursus de droit. Elle veut devenir magistrate. En parallèle, elle fait la rencontre de Patrick Jerrold, un cordonnier au physique affûté, dont elle tombe éperdument amoureuse. Ce passionné de body-building accumule les trophées dans cette pratique, et va même jusqu’à décrocher le titre de champion de Paris. En 1980, le couple se marie à Saint-Étienne, puis donne naissance à un fils. Un bonheur de courte durée.
Jusqu’à la garde
Car Patrick Jerrold plaît aux femmes et enchaîne les aventures extra-conjugales. Joëlle décide donc de le quitter, mais chacun demande à obtenir la garde du petit garçon. « Lui va obtenir la garde de l’enfant, ce qui est quand même rarissime à l’époque, se souvient maître André Buffard, avocat de Joëlle Scortani et Pierre Mancuso à l’époque des faits. Il va y parvenir grâce, il faut dire les choses comme elles sont, à de fausses attestations disant qu’il est quelqu’un de remarquable, qu’il s’occupe bien de son fils et qu’elle est une dépravée, car c’est une adepte du Minitel rose. C’était une autre époque qu’aujourd’hui, les sites de rencontres et Internet n’existaient pas… Et elle y passe effectivement beaucoup de temps ».
Une décision que Joëlle Scortani, qui vient de rater de peu la magistrature, va très mal vivre, tout comme sa mère, très attachée à son petit-fils. Devenue contrôleur des PTT, Joëlle Scortani continue d’officier sur le Minitel rose en tant que « July », et finit par y rencontrer un homme.
Vendetta
Cet homme, totalement fou d’elle, s’appelle Pierre Mancuso. D’origine sicilienne, il vit dans l’Ain où il est à la tête d’une petite entreprise. Seulement voilà, Joëlle Scortani et sa mère Marie-Thérèse Merle, nourrissent toujours l’espoir de récupérer la garde du petit. Il a entre-temps été retiré à son père, devenu videur en discothèque, et placé à la Ddass. Malgré les nombreux recours utilisés par les deux femmes, l’affaire traîne. « Joëlle Scortani va dire à son amant : ‘mais fais quelque chose’. Les Siciliens ont le sens de l’honneur et donc il se décide à agir. Il va lui parler du milieu sicilien de Grenoble. Ce sont ni plus ni moins des mafieux. Et Mancuso sait que l’on peut trouver un tueur à gages sur place ». Une fois la mère mise dans la confidence et le plan approuvé, les trois protagonistes se rendent à Grenoble, avec l’espoir de trouver leur homme.
« Après qu’on leur ait présenté plusieurs personnes dans différents cafés, ils vont tomber sur un type qui accepte leur offre ». Cet homme, c’est Olivier Barragia, un chômeur de 23 ans, qui négocie 20 millions de Lires, soit environ 10 000 euros. Avant lui, plusieurs ont accepté, puis se sont désistés. Le trio a même tenté de sonder la mafia italienne à Turin. Cette dernière a refusé le dossier, ne le jugeant pas assez clair et impliquant trop de monde. Même eux avaient senti venir les ennuis…
Cette affaire est d’autant plus étonnante que Joëlle Scortani, à la base, n’avait pas une vie très agitée.
Maître André Buffard, avocat de Joëlle Scortani et de Pierre Mancuso à l’époque des faits.
Des mafieux… aux aveux
Nous voici donc le 3 février 1989, devant la discothèque Le Lido, à Saint-Paul-en-Cornillon, où travaille Patrick Jerrold. Installé dans une Golf GTI, Olivier Barragia, affublé d’une perruque, sort de sa voiture et exécute son contrat. « Le videur a pris une balle dans le ventre et est mort lors de son transport à l’hôpital, détaille André Buffard. Les investigations vont aller assez vite, puisque les enquêteurs sont rapidement mis au courant qu’il y a un contentieux à propos de la garde de l’enfant, et que Scortani et sa mère étaient très remontées. Elles seront, tout comme l’amant et le tueur à gages, placés en garde à vue. Ils reconnaîtront tous les faits, mais vont vite tenter de minimiser les responsabilités de chacun. Scortani va dire qu’elle n’a jamais demandé à son amant de trouver un tueur, et lui dira que la demande était claire au contraire ».
Quant à la grand-mère du petit, elle dira ne pas avoir compris de quoi il retournait puisque les échanges se faisaient en italien. Bien sûr, les enquêteurs ne sont pas dupes et tous seront incarcérés. Mais l’affaire Scortani ne s’arrête pas là.
Pacte de la mort
Emprisonnée dans l’attente de son jugement à la maison d’arrêt de la Talaudière, Joëlle Scortani fait la rencontre de Berthe Paire, de 11 ans son aînée. Très vite, les deux femmes demandent à faire cellule commune, ce qui leur est accordé. Leur relation dépasse rapidement la simple amitié, et les codétenues développent un lien très fort. « C’est la deuxième histoire dans l’affaire. C’est la thèse rapportée par Berthe Paire qui expliquera que Scortani lui a demandé de la ‘suicider’. Elle lui a même expliqué comment faire, avec une ceinture de peignoir. Et Berthe Paire va donc l’étrangler ».
Celle qui se faisait autrefois appeler « July » n’envisageait pas que sa vie soit rendue publique lors d’un procès. Pour celui qui a été son avocat « cette affaire est d’autant plus étonnante que Joëlle Scortani, à la base, n’avait pas une vie très agitée, c’était une intello, quelqu’un de réfléchi. Elle n’a pas supporté l’idée de perdre la garde de son fils, avec sans doute sa mère qui remontait la mécanique en ce sens. Mancuso s’est trouvé là, semblait être l’homme de la situation, et tout ça s’est enchaîné pour mener à ce crime ». Une vie bien loin des rêves de magistratures de Joëlle Scortani.