Partout la tendance est donnée comme défavorable sur le segment de la restauration. Pourtant, vu du terrain niçois, ce sont d’autres menaces qui sont pointées du doigt par une profession qui continue à croire dans l’avenir de la restauration traditionnelle. Le point sur la saison (et un peu plus) avec Fred Ghintran et Philippe Garcia, deux poids lourds de la restauration traditionnelle.

 

Pouvoir d’achat en baisse, hausse des coûts des matières premières, incertitudes politiques et économiques, sur une filière soumise à une sévère concurrence… Les tendances mises en exergue sur le segment de la restauration, alors que la saison estivale s’achève, sont au national inquiétantes.

Selon l’UMIH (Union des métiers et des Industries de l’Hôtellerie), premier syndicat patronal du secteur CHRD (cafés, hôtels, restaurants, discothèques), la baisse du ticket moyen par client serait pointée à -20%, voire -30% (de -15 à -20% côté fréquentation). 25 établissements fermerait chaque jour en France, sur un total de 179.000 établissements recensés (y compris street food). Il sont, selon l’UMIH, environ 3.500 dans les Alpes-Maritimes (6.000 avec la restauration rapide/snacking).

 

Des retours du terrain… un peu différents des statistiques

 

Qu’en est-il à Nice en cette fin août, sur un segment de la restauration française traditionnelle que l’on dit la plus fortement impactée par cette tendance baissière ?

 

« Ça n’est pas la fréquentation qui est en baisse, c’est le pouvoir d’achat, et ça n’est pas qu’un problème français »

 

 

 

Pour Fred Ghintran (Oscar et Carré d’Or, Nice), « à titre personnel, nous avons accueilli plus de monde que l’an passé sur août, nous sommes revenus à une situation « normale » par rapport à l’été 2024, assez exceptionnel en juillet avec l’arrivée du Tour de France à Nice… » Bien sûr, le panier moyen a baissé, « on sent que les clients font plus attention », dans un contexte de baisse de pouvoir d’achat observée au niveau national qui impacte les ménages comme les entreprises : coût de l’énergie, des matières premières, et des salaires qui ne suivent pas, « avec des charges, côté entreprises, au taquet. » D’où une situation contrastée et quelques adaptations sur l’offre, type formules plus abordables et même happy hours option restaurant sur les arrivées avant 19h. « Dans ce contexte actuel d’incertitude permanente, sans cap, sans stratégie gouvernementale, les clients préfèrent épargner… Si nous, entreprises, voulons retrouver de la rentabilité, il nous faut des marges, mais nous ne pouvons pas tout répercuter sur les tarifs. Résultat, nos marges ont fondu alors que les frais de fonctionnement, eux, explosent. » Avec une masse salariale qui pèse pour 40% du chiffre d’affaires hors taxes, des achats de marchandises qui toisent les 30% (du CA), des loyers et des dépenses énergétiques qui augmentent… « Y a-t-il aujourd’hui une vraie protection de nos entreprises ? La réponse est clairement non » pour Fred Ghintran. « Et dans le même temps, la presse locale fait l’éloge de l’Italie ! Moi, j’ai envie de défendre le modèle français, mais c’est loin d’être facile quand on est taxés de plus en plus fortement. »

 

« J’ai envie de défendre le modèle français »

 

Après 21 ans de pratique dans la restauration à Nice, Fred Ghintran fait les comptes : « quand j’ai débuté, on vendait une pizza marguerite 5€. Aujourd’hui, c’est 12,90€. C’est toujours la même pizza, par contre je gagne beaucoup moins d’argent sur les 12,90€ que sur les 5€ d’antan… » La communication autour de la baisse de fréquentation des restaurants serait donc un pare-feu pour cacher une problématique bien plus générale et bien plus sournoise. « A Nice, nous avons de la chance, il y a du monde, et tout particulièrement sur cette saison, avec par contre peu de clientèle hors Europe jusqu’à maintenant. Si les Américains et les Asiatiques arrivent sur les ailes de saison, 2025 sera un bon cru. Il ne nous manque que le Palais des congrès pour retrouver une clientèle business, et nous ne pourrons pas nous plaindre par rapport à d’autres territoires. Nous sommes plutôt bien positionnés, il faut arrêter de penser que c’est mieux ailleurs, et pousser la promotion de la France au lieu de faire le jeu de nos voisins comme l’Espagne. Nous avons une tradition, une histoire, une culture qui inclut la gastronomie, mettons la France en avant, démarquons-nous sur ce volet au lieu de tirer en permanence sur l’ambulance. » Et de rappeler que notre proche cousine italienne est en train de s’aligner sur notre inflation galopante des prix, au grand dam des autochtones… « Si on veut gagner ce combat, il faut une stratégie qui nous permette d’être cohérents au niveau concurrentiel. » Avis à nos politiques…

 

 

« A Nice, il fut un temps où la clientèle locale représentait 80% de notre chiffre d’affaires. La saison, c’était la cerise sur le gâteau. Aujourd’hui, ça coûte cher de vivre à Nice, même pour des cadres supérieurs ou des chefs d’entreprises. Quand allons-nous vraiment défendre notre économie ? »

 

 

 

 « Il faut se démarquer sur l’offre, il n’y a plus de place pour les gens qui ne respectent pas leur clientèle »

 

 

 

« Aujourd’hui, on communique toujours sur le côté négatif des choses, et on s’étonne ensuite d’une situation d’échec… » Comme Fred Ghintran, Philippe Garcia (groupe Marie & Cie, 5 restaurants sur Nice) ne crie pas au loup devant une conjoncture économique globalement favorable en région Sud. « C’est en sur-communiquant sur la situation présente que l’on nourrit la crise à venir », notamment en encourageant, depuis une dizaine de mois, un recours franc et massif à l’épargne, qui engendre mathématiquement un coup de frein sur l’activité commerciale. Les mauvais augures corporate l’agacent, l’inertie des stratégies politiques en matière d’entreprises aussi. « Il faut arrêter d’alimenter les peurs et de saper le moral des Français. Cet été, il y a eu -et c’est normal- des fortes baisses (notamment le midi, les jours de canicule) mais aussi des fortes hausses de fréquentation dans nos restaurants. Sur ce style d’activité, rien d’étonnant à être très dépendants de la météo. Et dans notre filière, ce qui est perdu est perdu, un service raté ne se rattrape pas. Il y a eu bien sûr un peu moins de monde en juillet par rapport à 2024 et au Tour de France, et c’est vrai, l’UNOC a impacté le mois de juin. Mais soyons clairs, l’UNOC a aussi donné à Nice une exposition médiatique mondiale et durable, et à plus long terme, ce sera sans doute efficace pour la destination. »

La baisse drastique de fréquentation/chiffre d’affaires observée dans les restaurants ? « Comment chiffrer avant de connaître le montant de la TVA récoltée ? Personnellement, 2025 sera sans doute ma meilleure année depuis l’ouverture des restaurants, mais je suis peut-être sur une cible de clientèle un peu plus aisée, qui continue à apprécier ces moments de partage qu’offrent nos établissements en plus d’un bon repas. Nous avons une grande chance d’être à Nice, une ville exigeante mais dynamique. »

 

« Notre point fort, en France, c’est le savoir faire et l’artisanat, et on continue à trop taxer le travail »

 

Résistance et traditions

« A Nice, nous devrions être des résistants, peut-être plus qu’ailleurs. Sur la façon d’accueillir nos touristes notamment, miser sur le contact humain plus que sur les tendances tech. Il faut préserver le modèle méditerranéen, convivial, ouvert, serviciel. Cultiver précieusement nos différences au lieu d’essayer de faire plus de couverts. » Avec un seul écueil, qui dépasse largement les frontières de la restauration : le coût du travail. Et une méthode : le repositionnement de l’innovation sur plus de contact humain. « En matière d’offre, sur Nice, il y a beaucoup de qualitatif. Ce qui nous manque, c’est de la longévité sur les enseignes, pas si facile dans le contexte actuel. » Une chose est sûre : des années Covid sont nées de nouvelles attentes, notamment sur le partage d’expériences, parfois toutes simples, comme se retrouver au restaurant. « On ne rogne pas forcément sur ces plaisirs-là, peut-être plus sur l’achat de vêtements ou d’une belle voiture… Alors arrêtons de nous plaindre, tout au moins sur le volet de la clientèle, et apprenons à profiter de l’instant. En réalité, nous, chefs d’entreprises, avons bien plus d’ambition que nos gouvernants. Payer beaucoup d’impôts serait bon signe… s’ils étaient corrélés à des bénéfices réels et justifiés, y compris pour nos salariés. »