Le Slovène, auréolé d’un quatrième Tour de France, a laissé transparaître, même pendant la Grande Boucle, une forme de spleen. A l’aube de la deuxième partie de sa carrière, il va devoir piocher psychologiquement pour se maintenir durablement au sommet.
lire plus tard
Pour sauvegarder cet article, connectez-vous ou créez un compte franceinfo
Sans paiement. Sans abonnement.
Fermer la fenêtre d’activation des notifications France Info
créer votre compte
se connecter
Fermer la fenêtre de présentation
France Télévisions – Rédaction Sport
Publié le 23/08/2025 06:30
Temps de lecture : 7min
Tadej Pogacar et sa compagne Urska Zigart après la 21e étape du Tour de France, le 27 juillet 2025. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)
Le Tour de France 2025 sera-t-il celui du tournant de la carrière de Tadej Pogacar ? Il est presque osé de proférer cela à l’encontre du vainqueur d’une quatrième Grande Boucle, mais c’est bien lui qui a joué les premières notes d’une forme de lassitude en juillet. Le Slovène, qui brillera par son absence sur le Tour d’Espagne, qui débute samedi, avait lâché le 10 août cette phrase surprenante : « J’ai commencé à compter les années jusqu’à ma retraite. »
A 26 ans, Tadej Pogacar, entamera l’an prochain sa huitième saison professionnelle. Avec désormais quatre sacres sur le Tour de France et 104 victoires professionnelles, il a déjà presque fini le jeu, puisque seuls Milan-San Remo et Paris-Roubaix lui résistent encore. Lui qui épousait jusque-là avec plaisir tous les codes du cyclisme est-il finalement rattrapé par une forme d’essoufflement ? « Il faut avoir une certaine tolérance à l’ennui pour tenir ces distances si longues, c’est un métier où on est en errance permanente », observe Jean-Christophe Seznec, ancien médecin expert psychologue de la Fédération française de cyclisme et auteur de Sport, psychologie d’une passion (Ed. Odile Jacob).
« Et le problème, c’est que le cyclisme s’est industrialisé. Les cyclistes ont tout le temps des oreillettes, ils sont de plus en plus télécommandés. C’est difficile quand on ne devient qu’un rouage d’une mécanique industrielle sportive de trouver de la motivation. Parce que c’est déjà un sport où il n’y a pas beaucoup d’espace de liberté », poursuit le médecin, spécialiste en psychologie du sport.
Interrogé à la mi-août sur ce sujet, un de ses prédécesseurs au palmarès de la Grande Boucle, Chris Froome avait acquiescé. « Il court à haut niveau depuis toujours. En fait, chaque année, on lui demande quelque chose de plus. D’une certaine manière, je me retrouve un peu là-dedans. Avoir de nouveaux stimulii permet de ne pas perdre de vue ses objectifs, mais il ne faut pas se surmener mentalement, car c’est très exigeant et cela complique tout », avait conseillé sur bici.pro le quadruple vainqueur du Tour, aujourd’hui âgé de 40 ans.
Tadej Pogacar, qui a semblé parfois frustré voire désabusé pendant le Tour 2025, a semblé bien vite vouloir en terminer, même s’il a offert du spectacle à Montmartre. En août, on ne l’a aperçu que sur un critérium chez lui, en Slovénie. Sur ses routes d’entraînement, où on l’a vu aux côtés de Pauline Ferrand-Prévôt, il est même apparu avec un maillot floqué « Ne pas déranger ». « C’est vrai que parfois j’aimerais être un peu moins célèbre. Parfois prendre des photos et signer des autographes est fatigant, d’autres fois un peu moins, mais j’essaie de plaire à tout le monde », avait avoué l’intéressé quelques jours plus tôt. « Ca fait partie des problématiques des sportifs de haut niveau : parfois, ils ne s’appartiennent plus, ils appartiennent au public, aux gens qui investissent sur eux », analyse Jean-Christophe Seznec.
Le Slovène intègre aussi davantage sa compagne cycliste professionnelle, Urska Zigart, dans ses déclarations ou apparitions publiques sur ses courses. Comme une manière d’encore plus privilégier le cercle le plus proche, loin des sollicitations qui l’assaillent depuis maintenant cinq ans. « Il a vécu un Tour très stressant, très exigeant, surtout physiquement, avec de nombreux transferts, c’est devenu difficile pour lui. C’est quelqu’un de très direct, et être le centre de l’attention chaque jour est devenu fatigant », avait dévoilé son manager Mauro Giannetti à Cyclingnews. « Il se met un peu à l’abri d’un possible burn-out, d’exploser. Parce qu’il a quand même une énorme pression », abonde notre consultant Lilian Calmejane.
« Petit à petit, tu sens que Pogacar ferme un peu les portes de son ‘cœur’. Il a vraiment son noyau dur et il veut avancer avec ce noyau. Tu sens que c’est un garçon qui a pris conscience qu’il ne pouvait pas faire le fanfaron, qu’autour de lui, c’était une énorme entreprise qui brassait énormément d’argent et d’attrait. Et il se protège un peu de ça », estime Lilian Calmejane, coureur professionnel entre 2016 et 2024.
Son équipe, UAE-Emirates-XRG, l’a d’ailleurs bien compris, en ménageant au maximum les desiderata de son poulain, comme lors de Paris-Roubaix, de peur de le voir s’évaporer un jour. « Il est important pour nous, en tant qu’équipe, que Tadej bénéficie de suffisamment de repos physique et mental pour être heureux, prendre du plaisir et divertir comme il l’a toujours fait », affirmait le 11 août son manager.
“Être Tadej Pogacar, c’est fantastique, mais ce n’est pas facile. Il subit beaucoup de pression. Tout le monde attend de lui une performance, une victoire et un spectacle. Il est donc important pour nous de gérer cela avec prudence, car c’est plus qu’un simple coureur.
Mauro Giannetti, manager de Tadej Pogacar
à Cyclingnews
Polir le joyau d’une génération et l’empêcher d’être dévoré par le spectre de l’ennui, tel est le défi de l’équipe émiratie pour la deuxième partie de carrière de Pogacar. Car son destin est bien plus lié à lui que l’inverse. « Son équipe, c’est une industrie qui cherche la gagne. Il y a une sorte peut-être de conflit entre le côté industriel du vélo et ses questions existentielles à lui. Ces gens dépendent de leurs héros, c’est leur chose. Et c’est difficile pour eux de se voir dépossédés de leur objet de satisfaction et de gagne. Donc ils ont intérêt à faire attention qu’il ne s’use pas. Parce que s’il se sèvre de quelque chose, il peut se dire : ‘Pourquoi je m’imposerai tout ça ? Les titres et la reconnaissance, je les ai. A quoi ça sert d’avoir un titre de plus ?’ « , développe Jean-Christophe Seznec.
Le psychiatre prend l’analogie du géant français des bassins pour décrypter les pistes de remotivation. « Léon Marchand avait failli arrêter puisqu’il n’en pouvait plus de la pression. Son préparateur mental a travaillé le fait que sa valeur n’avait rien à voir avec ses performances. Il a pu se recentrer sur ce qu’il aime vraiment, la natation, la compétition et pas la gagne. Et finalement, il finit par tout gagner. Il y a peut-être chez Pogacar la nécessité de maturer pour redonner du sens au fait qu’il fasse du vélo », note Jean-Christophe Seznec.
L’ogre slovène, qui reprendra la compétition au Canada (12 septembre) avant de disputer les Championnats du monde au Rwanda (28 septembre) puis ceux d’Europe en Ardèche (5 octobre), anticipe-t-il également une peur du déclin, lui qui n’a connu la défaite que par maigres échantillons ? « Va-t-il supporter longtemps lorsqu’il sera mis à mal sur des courses sur lesquelles il n’a jamais été mis à mal ? », questionne Lilian Calmejane.
Pour l’instant, l’heure est loin de penser à la retraite ou au déclin, mais des enjeux plus pragmatiques pourraient eux aussi s’immiscer. « Il sait très bien que pour le moment, dans la forme qu’il est, il faut continuer d’empiler des victoires », affirme notre consultant, histoire de prolonger le plaisir, pour l’heure « supérieur aux contraintes ». Mais quand viendra l’heure des difficultés ou des projets plus personnels comme fonder une famille, que fera le Slovène ? « Dans ces moments-là, est-ce que de gagner un autre Tour de France, une autre Flèche Wallonne, ça sera suffisant ? Je n’en suis pas sûr », se questionne encore Lilian Calmejane.