L’Europe raffole d’avocats, mais à quel prix pour l’eau et le climat ?
Mamy Nirina Rolland Randrianarivelo 23/08/2025 12:01 6 min
Jamais les Européens n’ont mangé autant d’avocats. Selon l’Organisation mondiale de l’avocat (WAO), la consommation a bondi de 13,2 % en 2023-2024. La France reste championne du continent avec 160 000 tonnes, soit 2,31 kg par habitant. Plus des trois quarts des foyers français en achètent, avec une préférence marquée des plus de 50 ans.
En Allemagne, la croissance est fulgurante : 120 000 tonnes en 2024, contre 110 000 un an plus tôt. Le Royaume-Uni et l’Italie suivent la tendance, tandis que l’Espagne voit 80 % des ménages ajouter l’avocat à leur panier.
L’UE est désormais le deuxième consommateur mondial, avec plus de 900 000 tonnes par an. Nos rayons ne désemplissent jamais, car ce fruit tropical est importé … au prix d’un lourd impact environnemental.
Un fruit qui boit plus qu’il pleut
Cultiver un avocat, c’est comme tenter de recréer la forêt tropicale dans des zones arides. L’avocatier réclame 1800 mm d’eau par an, l’équivalent de 18 millions de litres par hectare. Or, au Maroc, aujourd’hui 4e exportateur mondial après le Mexique, le Pérou et les Pays-Bas, la pluie n’apporte en moyenne que 600 mm dans la région du Gharb. Les 1200 mm manquants sont compensés par une irrigation massive, souvent pompée dans les nappes phréatiques.
Entre 2008 et 2022, les subventions ont favorisé l’irrigation intensive et l’explosion des plantations sur des milliers d’hectares. Et en 2023, malgré la fin des aides publiques, la surface cultivée a encore augmenté de 1850 hectares, soit l’équivalent de 2600 terrains de football. Le mal est fait. Les plantations existantes continueront d’assécher les nappes pour au moins 20 ans.
Une soif qui dépasse les frontières
Le Maroc n’est pas un cas isolé.
Au Mexique, premier producteur mondial, l’avocat pèse lourd sur l’hydrologie : dans certaines régions comme Michoacán, la culture absorbe 22,5 % des besoins annuels en eau, aggravant un déficit de 293 millions de m3. Les communautés rurales dénoncent même des détournements illégaux de ressources au profit de quelques exploitants.
Au Pérou, la région d’Ica voit sa nappe phréatique baisser de 1,5 mètre par an. Les glaciers andins qui fournissent une grande partie de l’eau agricole ont déjà perdu 22 % de leur surface depuis 1980, soit l’équivalent de 7 milliards de m3 d’eau disparus. Ce recul menace directement la sécurité hydrique entre 2030 et 2050.
En Espagne, l’Andalousie voit les crises hydrologiques se répéter. Les avocats ont siphonné les réservoirs. Certaines années, les récoltes se sont effondrées de 70 à 80 %, laissant des sols asséchés et des agriculteurs démunis.
Des exportations mondiales en plein boom ?
Cet engouement européen s’inscrit dans une vague mondiale. En 2024, les exportations d’avocats ont atteint une valeur de 9,58 milliards de dollars, soit une hausse de 48,9 % en cinq ans. Rien qu’entre 2023 et 2024, la progression a été fulgurante : +30,7 %.
Cependant, l’Europe, elle, reste gourmande. Certes, elle produit aussi ses avocats : 49 350 tonnes en Espagne et 12 000 tonnes au Portugal en 2024. Mais ces volumes restent marginaux face à la demande. Le fruit reste donc massivement importé d’Amérique latine et d’Afrique.
Sa dépendance aux importations, venues d’environ 18 pays, garantit l’approvisionnement, mais externalise les crises hydriques vers d’autres régions.
Le changement climatique pourrait bientôt imposer ses propres limites : rien qu’au Maroc, la récolte 2025 devrait être inférieure de 40 à 50 % aux prévisions, frappée par des canicules dépassant les 40 °C.
Quelles solutions ?
Les 1 200 mm d’eau nécessaires à un hectare d’avocats au Maroc, pourraient irriguer 3 hectares de cultures plus adaptées au climat et nourricières pour les populations locales, comme les oliviers, les céréales et les légumineuses. Au Mexique, des innovations en irrigation sont attendues d’ici 2026. Mais tant que la demande européenne explose, ces efforts restent fragiles.
Pour autant, l’avocat ne doit pas être « discrédité » : consommé raisonnablement et produit de manière plus responsable, il peut garder sa place dans nos assiettes. Et cela passe par des politiques d’importation plus durables, des choix de consommation éclairés et une réflexion collective : quelle agriculture voulons-nous nourrir et pour qui ?
Références de l’article
El País. (2025, 2 août). L’avocat, le fruit qui raconte le XXIᵉ siècle. Courrier international.
FreshPlaza. (2025, 25 février). La consommation européenne d’avocats atteint de nouveaux sommets.
Workman, D. (2025, 27 mai ). Avocados Exports by Country 2024. World’s Top Exports.