Emma Bovary a une petite sœur, Marie-Ernestine. Et la fille de celle-ci, Marguerite, peut tendre la main à Nana. Oh, tout de suite, les références… Mais osons, car voici un livre qui rend tout son éclat à la littérature française, en unissant les fleurons de son histoire et l’audace de sa modernité.

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La Maison vide, demeure familiale hantée par les silences, l’écrivain et narrateur ne la découvre qu’à l’âge de 9 ans, quand son père décide, en 1976, d’y retourner. Y trônent le piano de son arrière-grand-mère (ce piano qui fut, tout au long de sa vie, sa forteresse), et puis quelques objets inventoriés par Laurent Mauvignier pour ouvrir cet immense roman – et pas seulement par ses 750 pages – qui couvre le XXe siècle et ses deux guerres, une histoire familiale imaginée, faute de sources, ou reconstituée à partir de sources détruites : pourquoi ces photos, découpées ou crayonnées, pour en faire disparaître sa grand-mère, d’où vient cette « béance que laisse Marguerite », fille unique de Marie-Ernestine Proust et de Jules Chichery ?

Faire basculer le cours de sa vie

On imagine que l’auteur porte depuis longtemps ce livre, en ce qu’il interroge le suicide de son père, et suit le dessin sinueux des cicatrices transmises d’une génération à l’autre. Pas d’étonnement sur le lieu : un hameau proche d’une petite ville, La Bassée, récurrente dans les romans de l’auteur de Des Hommes ou encore d’Histoires de la nuit, le double géographique et social de la commune d’Indre-et-Loire où l’écrivain a grandi.

Là prospèrent le propriétaire terrien Firmin et son épouse – réduite au sort de « préposée aux confitures et aux chaussettes à repriser ». Ils ont trois enfants, mais le père n’a d’yeux que pour sa « petite Boule d’Or », Marie-Ernestine. On l’envoie au meilleur couvent pour étudier, et, si ses origines campagnardes l’ostracisent, ses facilités en classe font taire les « demoiselles ». Sa découverte du piano, elle, pourrait faire basculer le cours de sa vie.

Gloire à la fiction

De retour à la maison, l’adolescente prend des leçons avec un professeur entraînant son élève si douée (candidate possible au concours du conservatoire ?) dans son rêve d’une carrière parisienne : une vie loin de l’avenir tout tracé ? On y croit. Mais seul le piano, que Firmin fera installer dans la maison pour que sa fille ne la quitte plus, témoigne de ce qui aurait pu être…

Pour le futur des affaires familiales, Marie-Ernestine épousera Jules, le 17 juin 1905. Qui lui « donnera » une fille, Marguerite. Avec puissance, l’écrivain fait voir, tout du long, ce que lui-même n’a pas vu, puisant dans sa famille paternelle des histoires qu’il remplit magnifiquement, soignant les ambiances selon les époques.

Voici un livre où le plaisir est constant, à peine ralenti sur les quelques pages décrivant les tranchées tant nous sommes avides du sort des personnages, impatients de les retrouver, de savoir ce qui se cache derrière l’apparition de la blonde Paulette – néfaste, avertit l’auteur –, et du si bouleversant André.

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Au-delà de la fresque familiale, ce roman retrace, pour ainsi dire de l’intérieur, l’histoire de la condition des femmes. Tout en rendant gloire à la fiction, car Mauvignier y est présent, « invente », « suppose », fait surgir des scènes qu’il commente (« ce vaudeville qui est un désastre »), voit lui résister certaines, mais pas celle où Marguerite colle son oreille contre le parquet de sa chambre pour écouter sa mère jouer du piano, ce qu’elle lui a toujours refusé, et voilà ou ça vous mène. Quel exploit ! Jusqu’aux couleurs d’un petit foulard jaune sur des dossiers gris… Et le cerisier du début, sur lequel se referme ce très grand livre.

« La Maison vide », de Laurent Mauvignier (Éd. de Minuit, 752 p., 25 €). En librairie le 28 août 2025.

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