Elles sont perchées! Tant par leur isolement au sommet des montagnes qu’en raison du grain de folie de leurs gérants, les auberges du haut pays détonnent dans le monde de l’hôtellerie-restauration azuréen.

Situés à près d’une heure et demie de trajet de Nice, ces établissements ne sauraient compter sur le flot ininterrompu de touristes déferlant sur les terrasses du littoral.

En haut des cols ou au fin fond d’une vallée, là où l’étroite route s’arrête après d’interminables lacets, comment ces tables du « bout du monde » peuvent-elles attirer le moindre client?

La question ne se pose même plus pour les nombreux esthètes qui s’y sont aventurés. « C’est une évidence: les menus sont recherchés, l’accueil chaleureux, le cadre, exceptionnel, félicite Ugo (son prénom a été modifié), trentenaire originaire du bassin cagnois. L’habitué « des road trips gustatifs », (préférant garder l’anonymat car amateur de critique culinaire), note aussi que « les gérants cherchent à fidéliser et pratiquent des prix honnêtes, facilités aussi par des loyers assez bas. Sur la Côte, un patron se fiche de surfacturer un touriste qui ne reviendra jamais. En montagne, il faut absolument tenir sa réputation. »

L’épicurien conviendra tout de même que les bonnes adresses, bien plus proches, ne manquent pas à la carte? « Certes… mais les auberges, qu’elles soient gastronomiques ou plus traditionnelles, cultivent une spécificité irrésistible. C’est le seul moyen de motiver les gens à monter. » Pour connaître ces « suppléments d’âmes » et les secrets de leur survie, Nice-Matin a fait un tour d’horizons (loin d’être exhaustif) de quelques pensions les plus paumées, mais aussi les plus prisées, du département.

À Roubion, l’étoilé locavore


L’auberge Quintessence à Roubion. Photo DR Emmanunel JUPPEAUX.

Ayant récemment récupéré la précieuse étoile du guide Michelin, perdue à deux reprises, l’auberge gastronomique Quintessence à Roubion a fini par s’imposer comme une référence de la cuisine locavore. Trônant en haut du col de la Couillole, l’auberge, refaite à neuf en 2017 à partir d’un vieux refuge chancelant, invite le paysage dans l’assiette: « Parce que nous nous inspirons de la nature environnante pour composer nos menus, nous travaillons étroitement avec les producteurs locaux. Cela un coût et ça prend du temps, tous ne livrent pas. Mais au moins on reste cohérent avec notre philosophie », déclame Christophe Billau.

À 43 ans, celui qui est installé dans le Mercantour avec sa famille depuis 2009, ne tarit pas d’éloges « sur les truites sauvages des clues du Cians, les volailles rustiques de la ferme de Pierlas, les escargots d’Entrevaux [dans le Val-de-Chalvagne] et les produits maraîchers de Malaussène. » Même les particuliers prennent part au ravitaillement: « A l’approche de septembre, on nous ramène des coings, des baies d’églantiers ou du gibier de la chasse locale ».

Ainsi la carte change à chaque saison? « Exactement, nous avons un menu unique à 87 euros, en six temps ». En pratiquant un tel tarif, l’adresse ne risque-t-elle pas de se couper d’une partie des randonneurs et motards de passage, clientèle généralement plus modeste? « Pour n’intimider personne, l’étoile Michelin est affichée en cuisine. Quant aux prix, bien qu’haut de gamme, ils restent bien plus accessibles que sur la Côte ». L’hôte assure ainsi « le meilleur des accueils », même au « traileur tout suant après sa course ». Si tant est que ce dernier arrive pour le dîner. Un seul service vespéral, comme une invitation à crécher dans l’une des sept chambres? « Ça évite de se cogner la route retour », glisse malicieusement le gérant. Surtout en hiver? « L’accès est toujours déneigé. Les vacanciers basés à Valberg peuvent donc nous aider à tourner. »

Quintessence, route du col de la Couillole, Roubion. Du jeudi au lundi, à dîner uniquement. Chambres trois étoiles de 120 à 145 euros. Demi-pension: 320 à 347 euros pour deux personnes. 04.93.02.02.60.

À Ilonse, le gastro lyrique

On l’appelle l’ovni, tant son concept phare est atypique. Il y a un an, en reprenant La Gruppio, le chef Marc Bernard a importé dans la Tinée ses fameux dîners lyriques. Une fois par mois, pour 89 euros, l’on peut déguster un plat gastro tout en étant aux premières loges d’un opéra. « Quatre chanteurs et chanteuses, accompagnés d’une pianiste, offrent un spectacle époustouflant. À part au Bel Canto, à Paris, c’est le seul endroit où l’on peut profiter d’une telle expérience », vend l’entrepreneur. Qui ne cache pas sa volonté de toucher « une élite. Seul moyen, selon lui, « de survivre là-haut […] ça ne sont pas les villageois qui vont faire tourner l’auberge ». Alors, pour attirer une « clientèle citadine et aisée », malgré la concurrence des restaurants luxueux du littoral, il mise sur « une cuisine haut de gamme défiant toute concurrence sur le rapport qualité prix ».

La Gruppio, Place du Planet. Tous les jours deux menus à 69 euros et 129 euros, prochains dîners lyriques les samedi 6 septembre et 4 octobre. Six chambres, 70 euros, dortoir à 35 euros. 04.93.02.07.78

À Pierlas, des tableaux dans l’assiette

Après avoir œuvré au pinacle culinaire de la côte ouest états-unienne, Étienne Béjar, a repris Lou Poumié de Pierlas, il y a trois mois, en répondant à une offre postée sur SOS Village. Au cœur d’une vallée affluente du Cians, le puissant contraste vire à la quête de soi: « A 42 ans, j’avais besoin de me retrouver. Avec ma cuisine gastronomique et le magnifique paysage entourant l’auberge, j’invite les gens à se ressourcer aussi. L’isolement procure un sentiment d’évasion. Une liberté que je transpose à mes plats ». Ainsi, « l’artisan » devenu « artiste », change sa carte toutes les semaines, s’adonnant à « la création de tableaux gustatifs ». Le concept n’est-il pas trop éthéré? « Ça détonne avec les recettes plus traditionnelles mais ça reste inspiré par les produits du terroir. Des habitants de la vallée et des gens de passage ont aimé se laisser surprendre. »

Reste à savoir si la bonne lancée se poursuivra durant l’hiver… « Pour ça, je navigue à vue. Mais j’ai signé pour trois ans et je compte bien rester. »

Lou Poumié, village de Pierlas, tous les jours, midi et soir, menu unique à 34 euros. Trois chambres à 67 euros pour deux. 06.63.71.12.76.

À Rimplas, une cuisine familiale


L’auberge de Rimplas. Emmanunel JUPPEAUX.

Il y a pas mal de gastronomiques en montagne, mais pas que… Preuve en est avec l’auberge de Rimplas, dans la vallée de la Tinée, où Paola Barriento-Stefani, 38 ans, et son époux Yoanki Barriento-Fuentes, 42 ans, cultivent une cuisine « traditionnelle française, accessible et familiale » depuis 2021. Un moyen de se démarquer avec simplicité des autres institutions plus haut de gamme?

« Je cherche juste à m’adapter à la clientèle. Nous sommes proches de la station de la Colmiane et nous avons principalement des motards, des cyclistes, des petites familles qui randonnent », déroule la gérante. « On veut leur vendre une belle parenthèse chaleureuse qui viendra récompenser le détour de deux kilomètres qu’ils sont obligés de faire pour venir au village, qui est un cul-de-sac ». L’accueil doit donc primer? « On fait ce métier pour les rencontres humaines, confie-t-elle. Je me suis aussi installée ici pour élever mes deux filles. Donc, on a envie que les clients se sentent à la maison. Pour ça, l’auberge de campagne offre le cadre parfait d’un salon avec cheminée, jeux de société, espace enfant, coin musique et bibliothèque ».

Auberge de Rimplas, 1 Chem. des Canebiers, dîner à 29 euros, demi-pension à 37 euros, neuf chambres deux étoiles entre 78 et 95 euros la nuit. 04 .93.02.01.45.

À Aiglun, moderniser les recettes provençales


L’auberge Le Calendal, au village d’Aiglun, dans la vallée de l’Estéron, août 2025. Photo A. O..

Immigrée de Russie, Larissa est tombée sous le charme de la Provence, de ses paysages pittoresques et de ses recettes authentiques. Alors, comme on fait sa déclaration d’amour, la quadra s’est lancée depuis juin dans la reprise du Calendal, auberge communale d’Aiglun. Dans ce magnifique village de l’Estéron où elle est installée depuis trois ans, la restauratrice peut compter sur Dimitri, formé à la cuisine nouvelle, pour « moderniser les menus traditionnels ».

Au risque de piquer les puristes? « On mise sur la curiosité. Jusqu’à présent la formule fonctionne. En plus des touristes, les habitants jouent le jeu. Reste à attirer des gens de la Côte. » Pour cela, la gérante mise aussi sur les charmes naturels des clues d’Aiglun et du Riolan ainsi que de la casacde de Vegay. « Il faut plus d’une journée pour découvrir toutes ces merveilles », glisse-t-elle. Subtile invitation à passer la nuit à l’auberge.

Le Calendal, 1 Rue Mont Saint-Martin à Aiglun, repas et dîner entre 22 et 25 euros, tous les jours, 26 couchages à 70 euros la chambre. 06.13.42.68.17.