l’essentiel
Dans les quartiers populaires toulousains, les enfants vivent un été sans voyage, rythmé par le foot. Une échappatoire face au manque de distractions et au cadre pesant du trafic qui gangrène certains secteurs.
Jour de marché, quartier de La Faourette. Les effluves d’épices orientales et de viandes grillées saturent l’air. La foule est compacte, bruissante. Dans ce quartier populaire de Toulouse, les vacances d’été se déroulent souvent sans départs ni voyages. Mais pour beaucoup d’enfants, un ballon rond suffit à donner le rythme : le foot devient bien plus qu’un jeu, un espace d’amitié, d’évasion et d’appartenance.
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Sana, 14 ans, baguenaude entre les étals avec sa meilleure amie. Elles effleurent tissus et babioles, sans rien acheter. Aller au marché reste l’une des rares distractions de la journée pour cette adolescente qui s’apprête à entrer en troisième. Les heures s’étirent parfois. Elle sourit : « Heureusement qu’il y a le foot. »
Athlétique, elle joue en défense dans le club du quartier. Ses vacances ont tourné autour du ballon. « C’est ma principale activité. Je suis pas du tout du genre à rester plantée devant la télé ou à surfer sur les réseaux sociaux. Il faut que ça bouge. » Alors, pas de plainte sur ce quotidien un peu morne et routinier : « Je viens de Guyane. Pour rien au monde j’y retournerais. Ici, c’est 100 fois mieux, nous les jeunes, on n’a pas à se plaindre. » Faute de pouvoir partir, elle a passé tout l’été dans ce quartier du Grand Mirail.
« Je viens de la Guyane. Ici c’est 100 fois mieux »
Hamza, gamin du quartier au sourire éclatant et à la répartie de mitraillette, a pris le large quelques semaines au bord de la mer.
Entre deux bouchées de son sandwich kebab, il partage ses souvenirs : « J’étais au camping avec ma famille. C’était bien. Mais je ne peux pas dire que je m’ennuie quand je suis ici. Je joue beaucoup à la Play (console de jeu, NDLR). Je vais aussi beaucoup à la piscine Nakache. »
Cet ado, scolarisé dans le très prisé collège Fermat au centre de Toulouse, poursuit : « Avec les copains, on se retrouve au stade Gironis, tout près d’ici. On joue beaucoup au foot. C’est ma grande passion. Mais avec la canicule, certains jours, c’était impossible de jouer. » Cette année, il n’a pas eu le loisir de filer à Mostaganem, la ville d’où sont originaires ses parents. « Je ne peux pas dire que ça me manque vraiment, mais c’est vrai que pas mal d’amis vont en Algérie. Il y a un peu moins de monde que d’habitude au Mirail. »
Muheb, 11 ans, garçon longiligne et un peu timide, n’est pas près de revoir la terre de ses ancêtres. Huit ans plus tôt, il a quitté l’Afghanistan, alors à feu et à sang, pour rejoindre la France et le quartier. Son français est impeccable, tout comme son carnet de notes. Le foot, pour lui, c’est l’évasion au sens propre comme au figuré. « Avec mon club, j’ai pu participer à un tournoi à Marseille avec plein d’autres enfants pendant une semaine. On a terminé 5e équipe sur 48 ! C’était une sacrée performance. On a pu aller à la mer et faire plein d’autres activités. C’était super. » Il a passé le reste de ses vacances ballon au pied, devant son immeuble ou sur les terrains environnants.
Reynerie : ambiance lourde
Des trajectoires uniques, un point commun : le ballon. Sur les terrains, les frontières sociales, culturelles ou linguistiques s’effacent, et l’appartenance au quartier se renforce.
À quelques encablures de là, rue de Kiev, à la Reynerie, l’ambiance change. Plus lourde, plus méfiante. Ici, pas de parties de foot endiablées au pied des immeubles : les ados restent immobiles, regroupés en silence, sous l’œil inquiet de jeunes plus âgés assis à l’entrée des halls. Sur les murs peints en blanc, s’étalent en énormes lettres les tarifs d’un sachet de cocaïne ou de quelques grammes de cannabis, avec des flèches grossières qui rappellent la signalétique d’un magasin Ikea. Comme un panneau d’indications, sauf qu’ici, le « rayon » est la rue.
Catherine, qui vit ici depuis trente-cinq ans, préfère éviter de se promener avec sa petite-fille dans le secteur. « Les enfants ont de quoi s’amuser, mais c’est une question d’atmosphère. Ici, on ne se sent jamais pleinement en sécurité, surtout en tant que femme. D’ailleurs, les parents aimeraient vraiment qu’on déménage. » Mais même dans ces rues pesantes, le sport reste une échappatoire. Pour les jeunes, il trace des repères, des amitiés et parfois, des rêves d’avenir.