FOCUS – C’est un épi­sode méconnu de l’his­toire de Grenoble sur lequel revient une expo­si­tion à la Maison inter­na­tio­nale : la pré­sence d’un « vil­lage afri­cain » dans le cadre de l’Exposition inter­na­tio­nale Houille blanche & Tourisme de 1925. Un évé­ne­ment dans la pure tra­di­tion des zoos humains qui ren­con­traient alors un franc suc­cès en Europe et aux États-Unis. L’exposition s’ac­com­pagne d’une réflexion plus géné­rale sur le phé­no­mène, autour de l’ex­po­si­tion iti­né­rante « L’Invention du sau­vage » de la Fondation Lilian-Thuram.

Grenoble, son Palais du tou­risme, sa bis­cui­te­rie Brun… et son vil­lage afri­cain. Tels étaient les sites indi­qués sur une pho­to­gra­phie des curio­si­tés gre­no­bloises réa­li­sée à l’oc­ca­sion de l’Exposition inter­na­tio­nale Houille blanche & Tourisme de 1925. Durant celle-ci, des per­sonnes venues d’Afrique fai­saient par­tie des “attrac­tions” à l’in­ten­tion des visi­teurs. Un siècle plus tard, une expo­si­tion à la Maison inter­na­tio­nale de Grenoble, visible jus­qu’au 30 sep­tembre 2025, revient sur cet épi­sode méconnu.

Photo d'époque du "village africain" lors de l'Exposition internationale Houille blanche & Tourisme de 1925. © Ville de Grenoble

Photo d’é­poque du « vil­lage afri­cain » lors de l’Exposition inter­na­tio­nale Houille blanche & Tourisme de 1925. © Ville de Grenoble

Si l’ex­po­si­tion consacre une large par­tie de son espace au zoo humain que consti­tuait le vil­lage afri­cain de Grenoble, elle s’ins­crit dans une réflexion plus large sur les exhi­bi­tions de “sau­vages” en Europe, mais aussi aux États-Unis et au Japon, du XVe siècle au XXe siècle. Ceci avec l’ex­po­si­tion iti­né­rante « L’invention du sau­vage », réa­li­sée par la Fondation Lilian-Thuram et le groupe de recherche Achac (Association pour la connais­sance de l’his­toire de l’Afrique contemporaine).

Des “figu­rants” mis en scène dans ces zoos humains

Les pro­ta­go­nistes de ces zoos humains ? Des per­sonnes issues d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique pré­sen­tées à un public occi­den­tal qui décou­vrait des cultures très éloi­gnées de la sienne… mais mises en scène de façon cari­ca­tu­rale pour mieux col­ler aux cli­chés en vigueur.

« C’est un immense “spec­tacle”, avec ses figu­rants, ses décors, ses impre­sa­rios, ses drames et ses récits, […] au car­re­four des his­toires colo­niales, de la science, du racisme », décrit ainsi la pré­sen­ta­tion de l’exposition.

Une série de panneaux relate l'histoire des zoos humains depuis leur apparition au XVe siècle jusqu'à leur déclin dans les années 1930. © Florent Mathieu - Place Gre'net

Une série de pan­neaux relate l’his­toire des zoos humains depuis leur appa­ri­tion au XVe siècle jus­qu’à leur déclin dans les années 1930. © Florent Mathieu – Place Gre’net

L’invention du sau­vage évoque com­ment, dès les pre­miers contacts avec des civi­li­sa­tions extra-euro­péennes, leur exhi­bi­tion s’est impo­sée, avant de prendre des formes encore plus attrac­tives pour un public en mal d’exo­tisme. Le tout accom­pa­gné de mal­trai­tances à l’é­gard des “figu­rants” de ces mises en scène. « Nous sommes contents d’a­voir recou­vré la liberté et de ne plus être expo­sés comme si nous étions des ani­maux », com­men­tera ainsi l’i­nuit Zacharias en 1893 à la suite d’une tour­née américaine.

Il fau­dra attendre les années 1930 pour assis­ter au déclin de ce type de spec­tacles, en rai­son prin­ci­pa­le­ment du dés­in­té­rêt crois­sant du public, plus attiré par le cinéma. Jusqu’à une dis­pa­ri­tion totale du phé­no­mène ? En 1994, pour­tant, la créa­tion d’un « vil­lage de Bamboula » dans le parc zoo­lo­gique de Port-Saint-Père sus­ci­tera la polé­mique. Il abou­tira, trois ans plus tard, à une condam­na­tion du parc pour des vio­la­tions aux droits élé­men­taires des “figu­rants” ivoi­riens du vil­lage, consi­déré comme le der­nier zoo humain à avoir vu le jour sur le sol français.

« Affronter les pages sombres de notre passé »

Quid du « vil­lage afri­cain » de Grenoble ? « C’était un zoo humain où des hommes, des femmes, des enfants venus des colo­nies étaient réduits au rang d’ob­jets d’exo­tisme, pré­sen­tés aux visi­teurs comme des curio­si­tés pit­to­resques », insiste Emmanuel Carroz, adjoint de Grenoble à la Mémoire.

Et d’a­jou­ter : « Ce spec­tacle colo­nial, bien sûr pro­fon­dé­ment raciste, ren­con­tra un véri­table suc­cès popu­laire et per­mit de déga­ger d’im­por­tants béné­fices finan­ciers. Il tra­dui­sait une vision hié­rar­chi­sée, vio­lente de l’i­déo­lo­gie colo­niale ».

Emmanuel Carroz lors de la présentation de l'exposition "L'Invention du sauvage" et son focus sur le village africain de Grenoble à la Maison internationale. © Florent Mathieu - Place Gre'net

Emmanuel Carroz lors de la pré­sen­ta­tion de l’ex­po­si­tion « L’Invention du sau­vage » et son focus sur le « vil­lage afri­cain » de Grenoble à la Maison inter­na­tio­nale. © Florent Mathieu – Place Gre’net

Pour l’élu, l’ex­po­si­tion trouve toute sa place au sein de la Maison inter­na­tio­nale. « Quand on parle d’in­ter­na­tio­nal, on ne parle pas seule­ment de jume­lage ou de coopé­ra­tion, mais aussi de com­ment affron­ter les pages sombres de notre passé, recon­naître les humi­lia­tions, les bles­sures héri­tées du colo­nia­lisme, les décons­truire pour mieux bâtir un ave­nir ensemble », déclare Emmanuel Carroz. Qui s’in­quiète de voir aujourd’­hui « une cer­taine réti­cence de cer­taines per­sonnes à par­ler de l’his­toire colo­niale ».

Et l’ad­joint de sou­li­gner « la com­plé­men­ta­rité entre l’his­toire et la mémoire » : « L’Histoire est une dis­ci­pline scien­ti­fique qui s’ap­puie sur des archives, des faits éta­blis. La mémoire, c’est la manière dont une société choi­sit de se ras­sem­bler autour de valeurs com­munes. L’histoire éclaire, la mémoire ras­semble. C’est ce qu’on veut faire avec cette expo­si­tion », explique Emmanuel Carroz. Qui conclut en appe­lant à « res­ter vigi­lant aux dis­cours racistes, anti­sé­mites et xéno­phobes qui se bana­lisent même au som­met de l’État ».