« Le passé n’a jamais été aussi présent. » Tels sont les mots que l’on peut lire sur la carte de visite d’Anthony Drouget. À 38 ans, ce designer niçois s’est spécialisé dans la reconstitution historique en 3D, proposant une nouvelle vie aux architectures oubliées.
Mais au-delà de cette passion générale, un édifice en particulier le hante: le château de Nice. Rien que l’idée d’y déambuler virtuellement, d’en explorer chaque recoin grâce à sa reconstitution en 3D, émerveille déjà Anthony. Une passion si intense qu’il en a fait le sujet central de sa thèse.
Pour l’instant, l’édifice, en cours de modélisation, se trouve enfoui dans la mémoire de son ordinateur de gamer, même si le but est de le rendre accessible au grand public.
« Ça fait un an et plus de 400 heures de travail que je me consacre à ce projet et je suis encore loin d’avoir terminé, je le révélerai lorsque je jugerai qu’il est abouti », confie-t-il en montant les dernières marches de la colline du château. « Plus j’avance dans la reconstitution, plus je me rends compte, en venant sur place, à quel point il était monumental », s’émeut-il. L’aspect gigantesque est une des raisons qui ont poussé l’historien à se lancer dans ce projet. L’autre, c’est l’année 1691.
Louis XIV en a fait un champ de ruines
Une vue du donjon depuis la tour Sainte-Elme, aujourd’hui Bellanda.
visuel Anthony Drouget Visuel Anthony Drouget.
« À cette date, le château de Nice dominait fièrement. Il était au sommet de sa puissance militaire et redouté dans toute l’Europe, constituant le cœur de la défense côtière niçoise, protégeant à la fois le port de Nice et la route royale menant à Turin. La forteresse était à son apogée », rappelle-t-il, avant de regretter qu’à partir de cette année-là « Louis XIV en a fait un champ de ruines. Sa volonté était d’étendre les frontières françaises vers l’est, en tentant de prendre Turin. Usant de sa supériorité militaire technologique, il l’a complètement détruit, jusqu’aux fondations », s’indigne Anthony, tout en observant les fragments de remparts disséminés ça et là.
Un monument plus grand que le château de Carcassonne
« Aujourd’hui, les gens ont du mal à imaginer quel monstre c’était: il était une fois et demie plus grand que le château de Carcassonne », regrette-t-il.
Mais au fil de sa déambulation parmi les promeneurs, ses yeux ne se contentent pas d’apercevoir quelques ruines recouvertes par la végétation; il y distingue aussi les baraquements, le donjon, la cathédrale Sainte-Marie, la tour Saint-Elme (aujourd’hui rebaptisée Bellanda)…
Son regard, qui balaie tout autour de lui, trahit une satisfaction mêlée d’émotion en voyant renaître ce que le Roi Soleil a effacé de la carte.
Pour remettre tout cela à sa juste place, le doctorant en histoire a dû sillonner l’Europe sans relâche, à la recherche du moindre document oublié capable de l’aider à modéliser chaque volume.
Des archives traquées jusqu’à Turin
« Les documents sur lesquels je m’appuie sont éparpillés entre Nice, Paris, Madrid et Turin. Du coup, je voyage et j’apprends les langues étrangères. Même le niçois », sourit-il.
Au fil des cartes, plans, vues en perspective et récits historiques récoltés dans ses voyages, Anthony estime reproduire à 97% l’emplacement de chaque dénivelé, escalier, hauteur d’édifice, emplacement de rempart.
Un travail minutieux et d’une extrême précision
« Je peux passer une journée à analyser la configuration d’un simple escalier qui ne prend que deux minutes à modéliser. Je ne pense pas être précis au mètre près dans ma reconstitution, mais à la dizaine de centimètres près. Je ne laisse place à aucune hypothèse », affirme-t-il.
Cette détermination, il la puise aussi auprès de son entourage. « Quand on me dit: “Tu es sûr que c’était ça? Ce n’est pas possible! », c’est très valorisant et ça me pousse à me surpasser », s’encourage-t-il.
Futur plateau de tournage?
Même si le projet est en cours, on imagine déjà cette future forteresse dématérialisée: réalité virtuelle, réalité augmentée, visites immersives, documentaires, jeux vidéo, cinéma…
« L’idée qu’un documentaire historique s’appuie sur mes travaux serait une belle reconnaissance, mais ma motivation première est de laisser une trace et de bâtir une base de données précise et polyvalente, pour que les chercheurs et les générations actuelles et futures puissent continuer à explorer, apprendre et s’approprier ce patrimoine niçois qui a malheureusement disparu. »
info@auctus3d.com
Anthony Drouget le 8 août sur la colline du Château. Photo F. F..