Le Sétois, chantre des arts modestes et populaires, a investi le Mucem à Marseille pour une exposition événement. Rencontre avec un artiste majeur à la pensée pop-corn et l’indocilité joyeuse qui, à 65 ans, cultive une liberté espiègle.
Interviewer Hervé Di Rosa c’est un peu comme essayer de mettre le feu d’artifice de la Saint-Louis dans une boîte à chaussures. Très vite, ça déborde et ça part dans tous les sens. Depuis 65 ans, le Sétois affiche une pensée pop-corn et une langue bien pendue, foisonnante comme ses œuvres. Et comme un feu d’artifice, il éblouit et pétarade.
C’est dans le bureau du Miam (Musée des arts modestes) qu’il a créé il y a 25 ans à Sète avec Bernard Belluc, et dont il est aujourd’hui président, que l’artiste nous reçoit, autour d’une grande table pleine d’un joyeux bazar. Il y fait une chaleur moite mais Di Rosa semble s’en foutre royalement. Sourire de sale gosse, regard malicieux et cheveux blancs qui refusent de se tenir tranquilles, il est déjà en train de raconter le pourquoi du comment de sa table de désorientation qu’il vient d’inaugurer à Frontignan. « L’idée vient des anciennes tables d’orientation qui servaient quand on faisait des balades. J’y ai inscrit les 14 villages alentour. J’aimerais bien faire une carte du même genre sur toutes les œuvres qu’on peut voir autour. Moi, j’aimais beaucoup me perdre avant. Avec le GPS c’est plus possible. Aujourd’hui, on a besoin de désorientation c’est-à-dire de rêves, de s’inventer des territoires. Il faut se laisser aller vers d’autres cieux. »
Ce fils d’un immigré italien et d’une Catalane a d’ailleurs choisi l’exil volontaire durant 15 ans, à la fin des années 80. Du Ghana au Cameroun, de la Bulgarie au Mexique, il a serré la pince à des sculpteurs, des brodeuses, des peintres d’enseignes ou des maîtres du vernis, accumulant les techniques. À chaque pays un atelier, à chaque rencontre une nouvelle matière à tordre à sa sauce. Pas par folklore mais par amour du faire. Chez Di Rosa, les voyages forment la genèse. « J’avais besoin de découvrir des pratiques artisanales d’un pays africain ou d’Amérique latine. J’ai appris plein de techniques et fait plein d’expérimentations… Au fond, je cherche l’image… »
Depuis dix ans, son nomadisme a viré à la sédentarisation au Portugal – jamais à l’immobilisme – charmé par leur art de la céramique. « D’habitude je reste trois ou quatre ans mais là le projet céramique et le travail sur les volumes me plaisent tellement que je suis resté. » Le tout est de « vivre et de s’aventurer ». Ça sonne comme un slogan. Vivre, pour se nourrir de ses rencontres, de ses objets modestes, de ses mythologies populaires. S’aventurer, c’est refuser toutes les frontières entre les pays, entre les gens, entre les arts, faire sien tous les territoires. Ainsi Di Rosa habite-t-il le monde depuis qu’il a quitté le modeste appartement familial flanqué sur le rocher sétois. « On habitait le sous-sol parce que ce sont des immeubles construits en pente. Quand j’étais petit j’avais super honte, c’était vraiment très humiliant. Je voyais ça comme une espèce de grotte, sauf qu’après tu avais un balcon, et là, tu voyais la mer, c’était vraiment super. Au rez-de-chaussée il y avait ma grand-mère, au premier une tante et au second une autre tante. C’était vraiment l’immeuble de la famille Di Rosa. Et mon père était passionné de chasse. Il fabriquait des appelants, des faux oiseaux. Dans l’exposition du Mucem, il y est mon père aussi, j’en ai mis un à lui. » Avant Marseille et le centre Pompidou à Paris, l’année précédente, avant la consécration et le statut, il y a eu au tout début, les beaux-arts de Sète qu’il a fréquentés alors qu’il avait 10 ans le mercredi après-midi, avec un certain Robert Combas. « J’avais déjà un plan tout jeune. Je voulais bénéficier d’une bourse pour les arts déco de Paris ».
Di Rosa débarque dans la capitale dans les années 70, époque Métal Hurlant. C’est un punk joyeusement insolent et allergique aux codes. « À cette époque, j’ai cru que la BD était mon territoire ». Alors qu’il a 17 ans, Georges Wolinski accepte un de ses projets pour son magazine et lui lance : « je te prends tes planches mais ce sera la première et la dernière fois parce qu’il n’y a pas d’histoires et c’est mal dessiné. Et il me dit, par contre, va voir les galeries ». Une leçon inaugurale et un coup de pied salutaire. La peinture sera son champ d’action initial.
L’anti-snob de l’art
Avec ses copains des arts déco, Robert Combas, François Boisrond, Rémi Blanchard ils exposent, en 1981, leurs toiles intuitives, provocatrices, exubérantes, entre dessin animé et arts populaires chez l’artiste Ben qui baptise leur mouvement : « figuration libre ». « Pour moi ce sont des œuvres de jeunesse mais c’était extrêmement important qu’elles arrivent à ce moment-là. On en avait marre de tous ces trucs conceptuels – Supports surfaces, la figuration narrative – qu’aujourd’hui j’apprécie. Finalement on est un des derniers mouvements artistiques ».
Le succès est venu assez vite, comme les rencontres. « Gonflés à bloc, en 83, on débarque à New York. Un critique d’art Nicolas Moufarège tombe amoureux de mon travail ou de moi, j’ai jamais su, il me dit, viens il y a un mec qui bombe, qui fait des trucs super. J’arrive, c’était Keith Haring ! » Il aime l’énergie de la grosse pomme et au détour d’une nuit, serre la main de Diana Ross. « J’ai pas osé l’embrasser », se marre-t-il.
Di Rosa c’est l’anti-snob de l’art. « Bon, après être entré à l’Académie des Beaux-Arts, avoir exposé à Pompidou, j’ai du mal à dire que je suis pas snob ». Une chose est sûre, chez lui, pas de frime conceptuelle, « pas d’économie spéculative ». Et puis « il y a la malédiction du sud, c’est-à-dire quand tu n’es pas un artiste de Paris, tu es un peu mis de côté », ça aide peut-être aussi à ne pas prendre la grosse tête. « Il est généreux, ouvert et curieux », ajoute en passant du tac au tac Francoise Adambsaum, la directrice du Miam.
Di Rosa est définitivement un artiste singulier ; héraut de la joie de vivre et chantre de l’art modeste : « Ce n’est pas un mouvement ni une notion mais un regard sur des objets qui ne servent à rien, produits dans les conditions les plus affreuses du capitalisme qui arrivent à contenir de la poésie, de la magie. Parfois, l’art, la création peut être au fond de la poubelle ». Tiens, en ce moment, il « rêve de faire un musée du plastique pour sensibiliser les gens. » Écolo Di Rosa et « éminemment politique. Mais attention, je ne fais pas des œuvres à message. » Ce qui les relie toutes entre elles c’est l’humour. « Il y a comme une transmission d’énergies positives. » Ceci dit, il y a peu, quelqu’un loin du monde artistique lui a lancé : « vos peintures sont angoissées ». « Parfois, la vérité sort de la bouche d’un néophyte », rit-il. On se prend alors à penser autrement ses personnages cyclopes aux immenses bouches, toutes dents dehors, enchevêtrés.