De nombreux passionnés d’Histoire sont présents à Erstein (Bas-Rhin) en cette fin d’été. Vêtus de vêtements d’époque, ils ne se cantonnent pas à un simple rôle folklorique. Très attachés à la véracité historique, ils vivent une passion qui peut les amener à côtoyer Hollywood ou des descendants de personnages illustres.
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Une troupe de soldats de la Garde impériale fend la foule, l’air martial. Les dorures et boutons des uniformes napoléoniens brillent sous le soleil, tandis qu’une fine poussière macule leurs guêtres. Soudain, l’officier en tête, le maréchal Davout, ordonne de stopper, à hauteur de tentures. « Avé légionnaires », lance-t-il dans un sourire à un homme équipé d’une cuirasse et d’un casque des armées de l’empire romain. « Rah, je vous ai déjà dit que ça se prononce ‘awé’, ce n’est pas compliqué », taquine le centurion, avant d’engager la conversation.
À Erstein (Bas-Rhin), ces samedi 23 et dimanche 24 août, quarante siècles se contemplent ou presque. En marge du festival Tempus, les visiteurs peuvent découvrir plusieurs époques que font revivre des reconstitueurs. Ces hommes et ces femmes, tantôt vêtus de vêtements du néolithique, de cuirasses, de tricornes de mousquetaires ou de shakos, sont des passionnés d’Histoire qui invitent le visiteur à remonter le temps.
Mais pas question de ne verser que dans le folklore. La confection de leurs tenues est le fruit d’un long travail de documentation et de validation historique. C’est notamment le cas de la Leg II Augusta III Coh. Cette association a repris le nom d’une légion ayant réellement existé, stationnée dans la ville d’Argentoratum, ancêtre de Strasbourg. « On voulait l’ancrer localement, explique son vice-président Xavier Rossat. Notre idée, c’est de rester dans un périmètre de deux heures, pour valoriser le patrimoine antique alsacien. » L’association, qui compte trois archéologues dans ses rangs, travaille en partenariat avec le musée archéologique de Brumath.
Un jumelage qui ne permet pas seulement de savoir comment respecter la réalité historique à l’heure de se grimer. Revenu sous la tente, le centurion ôte son casque de métal, et redevient Jeoffrey Wechsler, président de l’association. Sa peau tannée par le soleil témoigne des nombreux évènements auxquels la petite légion a participé cet été. Mais l’échange et la présentation au public ne sont pas le seul moteur. « On fait de l’archéologie expérimentale », détaille-t-il.
Les enfants peuvent participer à des mises en situation, pour apprendre les techniques de combat des légionnaires romains.
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© Nicolas Skopinski / France Télévisions
Concrètement, les archéologues, lors des fouilles, trouvent des vestiges et des restes d’équipement, qu’il leur faut alors interpréter, quand les sources écrites manquent. De nombreux restes de sandales faites de cuir et de clous, les caligae, ont ainsi été retrouvés en marge des campements militaires romains. « Sauf qu’on a testé des marches types du légionnaire de 30 à 40 kilomètres, explique Geoffrey Wechsler. On s’est rendu compte qu’elles étaient très fragiles, et pas adaptées du tout. »
Face à ce constat, les archéologues ont émis une nouvelle théorie : les légionnaires auraient marché pieds nus et n’auraient porté leurs célèbres caligae que lors des combats, pour mieux s’ancrer dans le sol. Des combats qu’ils simulent, leur donnant des indications sur les tactiques mises en place. « On n’a pas d’idée de l’espacement qu’il y avait entre les légionnaires par exemple. En pratiquant, on peut déduire ce qui est le plus adapté. » Ces retours de terrain permettent aux connaissances de s’affiner, de tordre le cou à des images d’Épinal.
Les canaux de transmission sont nombreux pour ces reconstitueurs. Si les légionnaires échangent avec la plèbe venue les voir, des animations sont aussi organisées auprès des scolaires. Beaucoup ont également participé à des tournages en vue d’illustrer des documentaires historiques, ou figurer dans des séries et des films.
À quelques encablures d’une cuisine roulante de la Grande armée, reconstituée d’après un modèle original exposé au Musée d’histoire de l’État de Moscou, le général Sorbier fait le décompte de ses voyages. Denis Bernard, l’homme dans l’uniforme, a participé à toutes les cérémonies commémorant le bicentenaire des batailles napoléoniennes, qui l’ont mené d’Espagne en Russie. « Quand j’étais à Madrid, on m’a proposé de tourner dans une série espagnole sur le Dos de mayo [révolte espagnole contre Joseph Bonaparte, nommé roi d’Espagne par l’empereur des Français.] »
Marc Claus, grimé en maréchal Davous, a rencontré les descendants du personnage qu’il incarne.
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© Nicolas Skopinski / France Télévisions
Les associations de reconstitueurs sont de plus en plus contactées par des sociétés de productions. « Les réalisateurs ont compris que chez les reconstitueurs, il y a une réserve de personnes équipées, formées aux manœuvres », explique Pascal Bourgis, lieutenant-colonel de l’Armée de l’Air à la retraite, cofondateur de La Garde Curial, Cambronne, Colmont ‘1er Régiment de Chasseurs à Pied’. Le fait d’être déjà équipé est un grand avantage, les uniformes pouvant dépasser les 7 000 euros. Surtout, ils respectent la véracité historique.
Car, à Erstein, tous ont en tête les récents films hollywoodiens, tels que Napoléon, ou Gladiator II… avec des avis tranchés. « C’est de la merde, je ne sais pas comment vous le dire autrement et plus joliment », balaie Pascal Bourgis, dont des membres de l’association ont animé l’avant-première du long-métrage de Ridley Scott, à Paris. « C’est une autre raison pour laquelle on fait ça, pour casser les clichés hollywoodiens, pointe Geoffrey Wechsler, qui se veut plus philosophe. Mais d’un autre côté, ces films grand public permettent de donner une base de départ, de susciter un intérêt chez les gens. »
Eux-mêmes sont, au fond, des acteurs. « N’oubliez pas que j’ai limité le pouvoir de la presse », nous lance l’empereur Napoléon. « Je suis habité par le personnage », reconnaît Pascal Gallauziaux, maître d’armes dans la vie et président du comité de Moselle d’escrime. Il a énormément lu sur l’Empereur pour lui donner les traits de caractère qu’il estime être les bons.
Une cantine roulante, reconstituée à l’identique à partir d’un modèle capturé par les armées du tsar lors de la campagne de Russie, et toujours exposée à Moscou.
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© Nicolas Skopinski / France Télévisions
Ceux qu’ils incarnent en viennent à prendre le pas sur leur propre personnalité. Près des canons de campagne, le général Sorbier et le maréchal Davout conversent. « Quand j’ai fait Waterloo, il faisait 35°C », se rappelle le maréchal, évoquant en réalité la reconstitution du 18 juin dernier. Marc Claus, de son vrai nom, est même désormais en lien avec les descendants de Davout. S’il incarne ce personnage de l’Empire, c’est notamment en raison d’une ressemblance physique qu’on lui prête. C’est ainsi que la fiction a rencontré la réalité, lorsqu’il a été présenté au duc Suchet d’Albufera, descendant du maréchal. « Quand il m’a rencontré, la première chose qu’il m’a dite c’était : ‘cela fait étrange de rencontrer mon ancêtre' », rejoue-t-il, avant de s’éclipser. Napoléon Ier venait de sortir de sa tente pour s’enquérir de l’heure des démonstrations de canonnade.