Samedi soir, une petite file s’est formée au guichet du Luminor, le dernier cinéma du quartier du Marais, à Paris. Les amateurs sérieux d’art & essai connaissent bien ce minuscule cinéma de deux salles. Les cinéphiles s’inquiètent aujourd’hui, alors qu’il est menacé de fermeture par les propriétaires des murs. Une procédure d’éviction de l’exploitant est en cours.
Seulement 190 spectateurs… en une semaine
En ce samedi doux d‘été, le Luminor programme dans la petite salle 1 Papamobile, de Sylvain Estibal. Une cinquantaine de spectateurs de tous âges sont venus voir le navet avec Kad Merad, un four, qui a attiré 190 spectateurs pour sa première semaine d’exploitation, dans sept salles en France. Sept salles seulement, soit ce que dans le jargon du cinéma on appelle une sortie technique, autrement dit très limitée, confidentielle, sans pub ni promotion par les talents, sans projection à la presse non plus.
Le distributeur The Jokers s’est acquitté a minima de ses obligations contractuelles de sortie en salles, alors que le Centre national du cinéma a aidé au développement du film à hauteur de quelques dizaines de milliers d’euros, sur un budget global de 1,2 million.
Une mauvaise publicité reste une publicité
« Le film est mauvais. Arrivés au bout du montage, on a compris qu’il n’y avait pas d’issue, qu’on n’arriverait pas à en tirer quelque chose qui tienne la route », assume le président de The Jokers, Manuel Chiche. Jean Bréhat, le producteur délégué, de Tessalit productions, dit la même chose : « J’avoue, c’est raté. »
Le bad buzz autour du bide de l‘été, d’autant plus visible qu’il met en scène un acteur populaire, a créé un buzz positif. The Jokers nous confirme que « le film sera bientôt présent sur 39 copies ». Certains petits films indépendants ne bénéficient la plupart du temps de guère plus d’écrans. « On ne sait pas, peut-être que les gens vont finir par trouver ça bien. Ou ça va peut-être faire partie de ces films que tout le monde finalement veut voir, pour savoir », lâche Manuel Chiche.
« Il n’y a pas de miracle », « mal joué »…
À la sortie du Luminor, après 1 h 26 de purge à suivre les aventures abracadabrantesques de Kad Merad dans le double rôle grotesque d’un vrai pape et d’un faux pape, entre le Mexique et le Vatican, les spectateurs sont presque tous raccords ; « Il n’y a pas de miracle » ; « C’est foireux », « C’est très mal mis en scène ». Certains absolvent le navet mal écrit, mal filmé, mal joué, de sa nullité : « Il n’y a pas tant de comédies que ça sur l‘église » ; « Oh on a déjà vu pire ».
Pas de miracle, mais, rien d’une curée face à l’incurie du film. Avant que les lumières ne se rallument dans la petite salle du Luminor, la séance a été applaudie. Et pendant le film, il y a eu des grands éclats de rire et quelques mains pour taper leur joie devant cette histoire improbable, tellement too much. Comme au moment de cette scène folle – bientôt d’anthologie ?-, dans laquelle le faux pape joué par Kad Merad suce les pieds de cardinaux qui y prennent un plaisir fétichiste très sexuel…
La bénédiction des nanarophiles
Rien que pour cette scène, Kad Merad, dont la carrière au cinéma patine sérieusement, avec des films sans grand succès ( 100 Millions !, Les Boules de Noël, Le Dernier souffle, Finalement, Le Larbin, Citoyen d’honneur ), pourrait gagner la bénédiction des nanarophiles. Une communauté de fans de « cinéma affligeant (mais hilarant), navrant (mais désopilant) », pour reprendre les mots du critique François Forestier, auteur de deux anthologies sur les navets.
Pour cultiver leur cinéphilie de niche, ces fans ont Nanarland, le « site des mauvais films sympathiques », créé en 2001 à Grenoble par cinq amis partageant leur amour des œuvres désastreuses du 7e art. La Nuit Nanarland, le 20 septembre prochain, marathon de 12 heures de projection de navets au Grand Rex à Paris, affiche complet.
« La meilleure comédie ratée de l’année »
Un nanar, c’est un navet qui fait rire, parfois à ses dépens ou malgré lui. Comme Papamobile , qui fait rire tant il patauge, énorme, dans le nanar défouloir qui sacrifie au grand n’importe quoi ! Il fait rire comme on rit d’une chute, d’un gadin, de quelqu’un qui se ramasse. Le réalisateur Sylvain Estibal en joue désormais, qui s’est offert une séance de rattrapage avec une seconde bande-annonce, brandissant son côté mauvais film à coups de punchlines critiques à l’envers : « Un nanar culte en vue ? » ; « La meilleure comédie ratée de l’année ».
À raison ? Dans la salle Jean-Gabin du casino JOA de Bagnoles-de-l’Orne, où il y a eu entre 25 spectateurs en une semaine pour le film, certains sont venus de très loin voir Papamobile. Le programmateur du cinéma, Michel Fondain, raconte que « ces aficionados de nanars sont venus déguisés, l’un en pape, l’autre en curé, la troisième en bonne sœur ! »