C’était l’un des concerts les plus attendus de Rock en Seine. Moins pour des raisons musicales que politiques. La prestation du groupe nord-irlandais Kneecap devait faire l’objet de toutes les attentions ce dimanche en début de soirée pour la dernière journée du festival qui se tient dans le domaine de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et elle s’est déroulée dans une ambiance tendue. Et pour cause.
Depuis plusieurs semaines, le trio de rap irlandais est au cœur d’une polémique qui a bousculé l’événement. Le groupe de Belfast se voit reprocher de faire « l’apologie du terrorisme » après avoir porté lors d’un concert à Londres en 2024 un drapeau du Hezbollah et crié « vive le Hamas, vive le Hezbollah ». Il fait même l’objet de poursuites judiciaires outre-Manche pour « infractions terroristes ».
Malgré cela, la venue de Kneecap prévue dans plusieurs festivals français a été maintenue. Y compris à Rock en Seine, même si la mairie de Saint-Cloud et la région Île-de-France ont retiré leurs subventions au grand rassemblement musical parisien à cause de la présence du groupe.
Dès la première chanson, des membres du collectif Nous vivrons ont tenté de perturber le concert avec d’être évacués par le service de sécurité. LP/Olivier Corsan
« Ce n’est pas anodin compte tenu de notre situation financière délicate cette année, avec une affluence en baisse — moins de 150 000 personnes, regrette Matthieu Ducos, le patron de Rock en Seine. Mais on a tenu à réaffirmer le festival comme terrain d’expression libre à partir du moment où le groupe respecte les lois et nos valeurs. On a considéré qu’il devait jouer dans la mesure où il ne s’écartait pas de ce cadre. »
Les Irlandais se sont justement engagés auprès des organisateurs à ne pas tenir de propos polémiques sur scène ce dimanche. Suffisant pour faire retomber la tension ?
Un « Free Palestine » en ouverture du concert et des perturbations
À l’entrée du festival ce dimanche, les fouilles et les palpations sont plus attentives que d’habitude. « Nous n’avons reçu aucune menace mais nous sommes prudents et attentifs avec la préfecture de police. On est un peu en alerte, évidemment, vu le contexte, et on fait très attention à la sécurité du public », nous confie en milieu d’après-midi Matthieu Ducos.
A group of Zionists with flags and whistles tried to interrupt the start of our gig in Paris just now.
« We’re not like them. We’re not like Israel. We’re not here to cause fights. It’s all love it’s all support for Palestine. » pic.twitter.com/EYLB7ouwHo
— KNEECAP (@KNEECAPCEOL) August 24, 2025
À 18h20, quelques minutes avant l’arrivée du groupe sur la 3e scène du festival, plus de 15 000 personnes affluent de tout le site pour voir ces artistes encore méconnus du public.
Et en arrivant, Kneecap affiche une nouvelle fois ses convictions avec un « Free Palestine » écrit en blanc sur fond noir complété par d’autres phrases en français : « Israël commet un génocide contre le peuple palestinien ». « Plus de 90 000 personnes ont été assassinées par Israël en 22 mois ».
Mais aussi : « Le gouvernement français est complice : il vend et facilite le commerce d’armes à l’armée israélienne ». Une phrase qui ne devrait pas passer inaperçu auprès des autorités, à commencer par Bruno Retailleau. Il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur affirmait qu’il surveillerait de près ce concert. Ça n’empêche pas les musiciens d’être accueillis par une énorme ovation et des « Free Palestine » scandés par le public.
Kneecap a une nouvelle affirmé ses convictions en affichant quelques phrases en français sur la situation en Palestine. LP/Olivier Corsan
Mais dès la première chanson, plusieurs dizaines de spectateurs, membres du collectif Nous vivrons, qui lutte contre l’antisémitisme, massés dans les premiers rangs brandissent des affiches « Antisémites hors de nos fêtes » et soufflent le plus fort possible dans des sifflets pour perturber le concert. Ils sont rapidement confisqués par les vigiles devant la scène et exfiltrés.
« Quelqu’un veut nous empêcher de jouer, demande le chanteur au micro. C’est que de l’amour. Libérez la Palestine. » « Ils ont essayé de nous virer de l’affiche, ils espéraient que cela nous mettrait en colère. Ils croient que nous sommes aussi violents qu’eux. Ils se trompent », ajoute l’un des deux leaders avant de poursuivre le concert.
« Kneecap n’est pas du tout antisémite, affirme Maria, une quinqua originaire de la République d’Irlande, qui vient chaque année à Rock En Seine. En Irlande du Nord les catholiques ont toujours été rabaissés par les protestants et ils sont très sensibles à ce qui se passe en Palestine avec les Israéliens. » Plus punk que rap et assez festif musicalement, le groupe finit son concert en chantant du Britney Spears tout en faisant reprendre une dernière fois « Free Palestine » à la foule, où l’on pouvait croiser beaucoup d’Irlandais.
Pendant ce temps, les manifestants sortent du site après avoir été évacués des premiers rangs. « Nous avons été raccompagnés au métro par la police, pour notre sécurité, car c’était violent autour de nous, affirme Benjamin Cymerman, vice-président du collectif Nous vivrons. Nous avons identifié deux personnes contre lesquelles nous allons déposer plainte. Nous aurions voulu arrêter le concert mais nous sommes au moins satisfaits de l’avoir interrompu. On n’a rien contre les artistes qui veulent une Palestine libre. Nous sommes aussi partisans de deux États. Mais nous luttons contre l’antisémitisme et nous estimons que ce groupe qui soutient le Hezbollah n’a pas sa place dans les festivals. Nous devions marquer le coup dans un événement aussi emblématique que Rock en Seine. »