Les propriétaires du château fort de Roquetaillade, en Gironde, vivent avec le public

Accéder au diaporama (9)

REPORTAGE – Ouvert au public depuis 1956 pour surmonter des difficultés financières, le château de Roquetaillade (Gironde) accueille 35.000 visiteurs par an. Ses propriétaires, qui le conservent de génération en génération depuis 700 ans, ont fait de sa préservation un art de vivre.

Taillé dans le roc de la campagne bordelaise à Mazères (Gironde) au XIVe siècle à la demande de Gaillard de la Mothe, un neveu du pape Clément V, le château fort de Roquetaillade se dresse sur les vestiges d’un village fortifié du Moyen-Âge. 700 ans plus tard – malgré quatre changements de noms des propriétaires par mariages -, le fief est toujours possédé par ses descendants. Mais pour conserver ce patrimoine exceptionnel classé sur la première liste des monuments historiques édictée par Prosper Mérimée en 1840, les héritiers ont dû faire une importante concession : ouvrir leur maison au public. L’affaire a débuté en 1956. «En raison de soucis financiers, mon arrière-grand-tante a dû choisir entre vendre ou ouvrir. Ce n’est pas une maison confortable et les visiteurs sont le prix à payer. À 18 heures on ferme et on est chez nous», indique le vicomte Sébastien de Baritault du Carpia. Il possède et garde les lieux depuis 1993 avec son épouse, Ariane.

Dès lors, les 35.000 visiteurs et touristes annuels, qui arpentaient la cuisine à l’heure du déjeuner du temps de son grand-père, sont plutôt appréciés. Mais n’en jetez plus : «Si nous avions 100.000 visiteurs par an, ce serait l’usine. Et je n’ai pas envie de vivre dans une usine», admet le vicomte. Il n’empêche, chez les Baritault, préserver Roquetaillade est devenu un art de vivre. Au point d’en faire une condition sine qua non lors du mariage des héritiers.


Passer la publicité

«Nous sommes des conservateurs propriétaires. Nous faisons comme un conservateur de musée, sans les moyens et avec la débrouille. Mais ce que l’on fait est passionnant et cela me tient à cœur», assume Sébastien de Baritault du Carpia. Le sexagénaire en a, lui, hérité lorsqu’il avait une trentaine d’années seulement. L’ambition première de ce passionné est de préserver l’œuvre d’Eugène Viollet-le-Duc, qui a aménagé le rez-de-chaussée du château fort nouveau de Roquetaillade au XIXe siècle.

«L’art total» de Viollet-le-Duc à Roquetaillade

Les ancêtres de Sébastien de Baritault du Carpia avaient donné carte blanche au célèbre architecte. Les pièces et la chapelle aménagées par ce dernier permettent de découvrir le château autrement. Des boiseries aux peintures, du lustre de l’entrée aux mobiliers de salle de bains, Viollet-le-Duc a laissé son empreinte. Sous les pièces de style renaissance du premier étage, se dévoilent décors floraux en arabesque, blasons aux cygnes, fresques organiques et sculpture imaginés par l’artiste aux côtés de son élève Edmond Duthoit. Dans la chapelle, en cours de restauration, les plafonds à caissons aux influences orientales sont la marque des voyages en Sicile du renégat des Beaux-Arts.

La famille Baritault possède aussi les planches originales de projets que les célèbres architectes n’ont pas eu le temps de réaliser au premier étage. À la suite du tournage à Roquetaillade du film Le Pacte des loups de Christophe Gans, les propriétaires ont décidé de créer les décorations imaginées par Viollet-le-Duc pour la salle synodale. «Ce serait un rêve de pouvoir réaliser tous ses croquis pour Roquetaillade. Si on gagne au loto, on pourrait s’amuser à le faire. Mais sans cela, les montants seraient astronomiques car il faudrait trouver des artisans de grande qualité pour les mettre en œuvre», confie Sébastien de Baritault du Carpia.

Transmettre

D’ici là, l’héritier d’un des plus beaux châteaux du Sauternais, œuvre à sa restauration avant de transmettre la propriété à son fils unique. En plus d’assurer des visites sans interruption de Pâques à novembre, les propriétaires exploitent cinq hectares de vignes, élèvent des vaches bazadaises et accueillent mariages et séminaires au château fort. Une diversification des activités, qui permet de payer la dizaine de personnes officiant sur place et de financer les nombreux travaux. La famille perçoit aussi des dons, le soutien des amis de Roquetaillade et reçoit les expositions d’artistes tel que Jean-Paul Gourdon, sculpteur local et meilleur ouvrier de France. Quant à l’idée de réserver à nouveau les lieux à leur seule famille, elle appartient désormais au passé. «Le but de notre travail n’est pas de privatiser les lieux à nouveau, mais bien de mettre en valeur le travail de Viollet-le-Duc», conclut ainsi Sébastien de Baritault du Carpia.