La sphère féminine du hockey a cette particularité de voir le Canada et les États-Unis dominer outrageusement la discipline. Deux nations rivales mais aussi avant-gardistes qui ont façonné le devenir de leur sport.
Les chiffres parlent d’eux mêmes. Mondiaux, Mondiaux U18 et Jeux olympiques, 48 titres ont été décernés depuis le début des années 90 et l’essor du hockey féminin international. Ces 48 trophées n’ont été soulevés que par deux pays, soit le Canada, soit les États-Unis. Seules deux finales seniors ont vu s’inviter deux autres équipes, la Suède aux Jeux olympiques de Turin en 2006, la Finlande au Mondial d’Espoo en 2019.
Comment expliquer une domination si écrasante des deux superpuissances nord-Américaines ? Évidemment le hockey est historiquement très enraciné au Canada ainsi que dans bon nombre d’états américains. Et lorsque les grandes compétitions internationales sont apparues au début des années 90, le Canada et les États-Unis avaient déjà une avance considérable sur les autres nations. Les deux pays nord-américains comptaient déjà beaucoup d’avance en matière d’infrastructures et de développement.
Le Canada, nation fondatrice
Au Canada justement, le hockey est évidemment le sport roi. Le maillage des patinoires couvre une grande partie du territoire et l’accessibilité aux filles est facilitée depuis longtemps. Le Canada disposait d’un championnat national dès 1982 qui a permis d’unifier l’est et l’ouest du pays. La création plus tôt, en 1975, de l’Ontario Women’s Hockey Association, première entité entièrement dédiée au hockey féminin, a constitué un véritable tournant pour la discipline. L’OWHA a beaucoup contribué à son développement, et son influence ne s’est pas seulement arrêtée à la création du championnat national.
Katherine Cartwright
L’avocate et ancienne joueuse Katherine « Cookie » Cartwright, qui avait déjà participé dans les années 60 au mouvement étudiant pour le retour du hockey féminin dans les universités canadiennes, est à l’origine de cette association qui par la suite a beaucoup pesé sur l’essor du hockey féminin à l’international et l’organisation de tournois majeurs. En 1987, l’OWHA a organisé un tournoi international non-officiel à Toronto, un véritable championnat du monde qui a réuni sept équipes : les États-Unis, la Suède, les Pays-Bas, le Japon, la Suisse et deux formations locales puisque les Hamilton Golden Hawks ont représenté le Canada et Mississauga la province de l’Ontario. Le tournoi s’est terminé en une explication entre le Canada, l’Ontario et les USA qui ont très nettement dominé les débats. Les Golden Hawks du Canada remporteront la compétition avec 63 buts marqués en 8 matchs.
Évidemment, l’essentiel résidait surtout sur cette première lumière braquée sur le hockey féminin au vécu sporadique. La réussite du tournoi, bien aidé par une couverture exemplaire du Toronto Sun, a permis de démontrer la légitimité d’organiser des épreuves mondiales de manière récurrente. C’est la grande réussite de l’OWHA. Un message reçu par la fédération internationale IIHF qui lancera les Championnats d’Europe en 1989 en Allemagne de l’Ouest, puis le tout premier Championnat du monde officiel en 1990 à Ottawa. En 1987, ce succès a nourri de grands espoirs, jusqu’à concrétiser un rêve que certains voyaient irréalisable : que le hockey féminin devienne discipline olympique, ce sera chose faite à Nagano en 1998.
La classe à l’américaine
Lorsque les équipes nationales commencent à se réunir au plus haut niveau, le Canada fait donc figure de nation fondatrice et souveraine. De leur côté, les États-Unis peuvent capitaliser sur une base solide de développement bâtie sur la spécificité du système universitaire américain. Depuis 1972, l’amendement Title IX interdit la discrimination de sexe à l’école et l’université, une révolution de genre qui force chaque école et chaque université recevant une aide financière fédérale à proposer les mêmes opportunités aux filles et aux garçons.
Les Wisconsin Badgers champions NCAA en 2025
Ce système de l’équité a permis de rendre plus accessible tous les sports à toutes les étudiantes, et de renforcer considérablement le sport féminin aux États-Unis.
Le football, le basket et le hockey en seront les grands bénéficiaires parmi les sports collectifs. Le championnat universitaire NCAA, qui s’est solidifié avec le temps grâce au Title IX, est depuis de nombreuses années le tremplin idéal pour les stars de demain. Lors de la prochaine saison, une vingtaine de nationalités seront représentées dont six joueuses de l’équipe de France.
USA Hockey et Hockey Canada disposent de ressources importantes, d’un coaching aiguisé et diversifié, ce sont aussi deux fédérations qui ont beaucoup de facilité à attirer partenaires et sponsors.
En 1990, les deux pays devançaient déjà nettement les nations européennes dont le championnat national était naissant et confidentiel, et dont le programme de l’équipe nationale ne recueillait que peu d’attention.
200.000 joueuses en Amérique du Nord
En 1990, on comptait 7500 hockeyeuses dans tout le Canada. En 2025, elles sont désormais plus de 115 000, un record, soit une augmentation de 30% depuis 2022. Aux États-Unis, un nouveau record a été atteint avec 98 394 hockeyeuses. Le succès retentissant de la PWHL y est certainement pour quelque chose.
Pendant longtemps, le manque d’une grande ligue professionnelle constituait un point noir avec des joueuses qui, en dehors des projecteurs internationaux, évoluaient dans l’ombre. Plusieurs ligues s’étaient succédées sans pour autant s’inscrire dans un cadre professionnel comme le sont les ligues de basket (WNBA) ou de football (NWSL). Leur multiplicité et le manque de synergie étaient un obstacle, et une rémunération décente des joueuses a constitué une vraie difficulté qu’ont peiné à assurer en leur temps la CWHL et la NWHL.
La création de la Professional Women’s Hockey League en 2023, sous l’impulsion des hockeyeuses canadiennes et américaines, avec un premier match officiel le 1er janvier 2024 a permis de combler un vide, d’imposer un meilleur cadre de vie aux joueuses, en plus de multiplier les records notamment en termes de fréquentation. Les stars américaines et canadiennes sont depuis réunies dans cette grande ligue professionnelle dont la réussite sur bien des plans a renforcé encore un peu plus le standing des deux nations rivales et permis de dynamiser la pratique chez les plus jeunes. Jouer en PWHL est désormais un véritable moteur pour les nouvelles générations. Autant dire que le Canada et les États-Unis ne risquent pas de fléchir sur le toit du monde.