Chercheur associé à l’unité Inrae de Pech Rouge, à Gruissan, mais aussi directeur du pôle vigne et vin de l’Institut Agro de Montpellier, Laurent Torregrosa livre son expertise sur les conséquences sur les parcelles viticoles touchées par le mégafeu des Corbières. Une analyse qui distingue deux temps, celui de l’urgence, lié aux vendanges, et du long terme.

Vous avez visité des parcelles le mardi 19 août sur les communes de Ribaute, Saint-Laurent de la Cabrerisse, Coustouge et Fontjoncouse. Quelles premières conclusions en tirez-vous sur l’impact de l’incendie ?

On peut distinguer trois typologies. Les parcelles qui ont été envahies par les flammes : des vignes peu ou mal cultivées ou entretenues en viticulture régénérative, dans lesquelles le sol était couvert d’un enherbement desséché au moment de l’incendie. En fonction de l’épaisseur et de la hauteur des adventices (herbes dans les interrangs, Ndlr), ces parcelles sont parmi les plus touchées car les ceps ont été exposés à deux sources de chaleur : celle des brasiers environnants et celle des herbes sèches de la parcelle en feu.

Ensuite, des parcelles travaillées sans adventice, exposées en bordure, du fait de la proximité d’une lande ou d’une parcelle enherbée adjacente envahie par les flammes : on peut observer un gradient de sévérité décroissante avec l’éloignement vis-à-vis de la contrainte thermique en aval du vent porteur au moment de l’incendie. Enfin, les parcelles travaillées sans adventice, encaissées en fond de vallon et/ou entourées de larges zones en feu. Ici les dégâts, qui peuvent aller de légères brûlures au feuillage à la nécrose totale de la canopée, vont dépendre de la quantité de chaleur dégagée par les landes environnantes et de la durée d’exposition.

Quelle est la conséquence pour les vendanges 2025 ?

C’est l’urgence à court terme, pour les viticulteurs touchés : rentrer du vin pour assurer la trésorerie. Une partie des parcelles ne sont pas récoltables car les raisins ont été fortement passerillés (ils ont séché sur pied, Ndlr), mais les viticulteurs vont pouvoir vendanger les parcelles les moins touchées dans lesquelles les raisins ont pu poursuivre leur maturation. La problématique des goûts de fumée devra aussi être prise en compte, pour vinifier à part et analyser les vins issus des parcelles concernées et décider de leur destination. La question de la qualité du vin va se poser, on sait qu’il y a des vins qui risquent d’être dépréciés.

Et pour l’après-vendanges ?

Ce sera la grande question, une fois le rush des vendanges passé : la décision d’arracher ou de conserver les parcelles exposées. Les nécroses des bourgeons et les atteintes des tissus vasculaires doivent permettre de statuer sur l’avenir de la parcelle en fonction de l’intensité et de la distribution des dommages. L’arrachage peut être envisagé si la proportion de ceps où 25 à 50 % des bourgeons sont nécrosés, où il n’y a pas de repousses, est trop importante. Mais aussi s’il y a des nécroses systématiques dans le phloème, le tissu qui permet la conduite de la sève. Mais d’autres facteurs peuvent entrer en compte : la dimension patrimoniale, si la parcelle concernée permettait la production de grand vin, l’aspect paysager et esthétique, la question de la biodiversité, ou encore une dimension sentimentale. En cas de conservation de la parcelle, il faudra définir des pratiques culturales, et notamment la taille à mettre en œuvre pour assurer la pérennité des ceps et leur retour en production.

Vous menez des programmes de recherche sur la tolérance de la vigne à la sécheresse et au réchauffement climatique, avez publié dans The New Phytologist sur la sensibilité des variétés de vigne à l’échaudage des feuilles. Comment réfléchir sur l’exposition de la vigne au réchauffement climatique ?

Ce qui se passe depuis plusieurs années dans la Sonoma Valley, dans la Napa Valley, les régions viticoles de Californie, était préfigurateur de ce qui a frappé les Corbières. Ce n’est malheureusement pas étonnant que nous soyons touchés à notre tour, avec une combinaison de sécheresse extrême et de canicule. En Californie, la question des goûts de fumée est d’ailleurs quelque chose de très documenté, pour des vignobles exposés à des incendies récurrents. Ces risques accrus posent aussi la question de la protection, avec des incendies qui, au-delà de quelques milliers d’hectares, deviennent impossibles à contrôler dans un premier temps.

Ces sujets posent aussi des questions pour l’avenir de la viticulture, de l’agriculture en général.

La cartographie du potentiel des vignobles a été réalisée dans les années 1990. On cherchait des parcelles peu fertiles, où la rétention d’eau était faible. Mais aujourd’hui, on se retrouve avec des parcelles qui ont une maturation bloquée par manque d’eau, en raison de précipitations qui ont chuté. Tout cela pose des enjeux économiques, avec des parcelles autrefois jugées de grande valeur qui ne sont plus forcément favorables à la production. C’est une évolution que l’on peut comparer à celle de la recherche de vins forts en alcool il y a 20 ou 30 ans ; aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Il faut peut-être réfléchir à réinvestir des parcelles qui avaient été abandonnées, ou négligées, vers Lézignan, Ferrals, sur les bords d’Orbieu. Ce serait aussi un atout pour assurer la production en volumes.

Pourquoi faut-il mener deux visites sur les parcelles touchées ?

Il ne faut pas établir de diagnostic ni trop rapidement, ni trop globalement. Parce que comme pour les gelées d’hiver, certains symptômes anatomiques ne s’expriment que plusieurs jours ou plusieurs semaines après l’accident, et certains symptômes sont fugaces. Les feuilles qui ont été grillées ou semi-grillées vont bientôt tomber. Il faut faire le constat avant ça, pour apprécier les dommages causés à la canopée et aux raisins, avec une échelle simplifiée de dégâts, de 1 à 4 : cela va, pour les feuilles, de quelques dégâts sur les extrémités des rameaux (niveau 1) à l’ensemble de la canopée nécrosée (4) ; pour le desséchement des grappes, cela peut aller jusqu’à plus de 75 % des grappes des ceps passerillées, voire localement un dessèchement total (niveau 4). Cette observation, à réaliser avant fin août, permet aussi de voir les premières réponses de la vigne. La 2e observation doit permettre de confirmer l’intensité et la fréquence des nécroses des bourgeons et d’étudier les anomalies anatomiques des tissus vasculaires. Et comme les dégâts sont rarement également répartis dans une parcelle, il sera souvent nécessaire d’établir une cartographie la plus précise possible pour apprécier au mieux la répartition des opérations à effectuer.