Pour Joe Musashi, tout roule. Sega ne l’a pas renvoyé au charbon depuis Shinobi 3DS en 2011 et le ninja, devenu entraîneur chez le clan Oboro, s’apprête à devenir papa. Mais l’idylle vire au cauchemar quand le puissant Seigneur Ruse vient incendier le village Oboro, pétrifier l’épouse de Joe, et plus généralement semer le dawa à l’internationale. Voilà comment Shinobi : Art of Vengeance démarre, dans une cité japonaise en flammes, dans une forêt de bambous qui sera vite recouverte de sang, dans un champ de fleurs blanches où se tient une poursuite à dos de chien-loup.
Pas mal, non ? C’est français
Autant évoquer l’évidence tout de suite : Shinobi : Art of Vengeance est absolument magnifique. Lizardcube n’a rien perdu de sa maestria graphique et le studio français rajeunit la franchise sans vraiment tomber dans l’écueil du mélange bœuf-fromage, excepté pour la présence de l’Ankou, la faucheuse bretonne, qui trouve finalement sa place dans une saga où Spider-Man et le Terminator ont autrefois pointé leur nez sans l’autorisation des ayants droit. Chaque animation est calibrée au trait près, ce qui donne une grande clarté aux combats, et les designs se montrent généralement inspirés. Enfin, les techniques secrètes de Joe Musashi donnent toujours lieu à des explosions visuelles somptueuses qui laissent gaga.
Voilà, c’est dit. Mieux vaut évacuer la narration, complètement bancale, où le grand méchant Ruse a dérobé la faux de l’Ankou et s’en sert pour acquérir une puissance phénoménale… même si ça ne semble pas trop gêner le cycle des morts puisque l’on moissonne beaucoup de mercenaires au katana sans qu’ils ne ressuscitent. Autre exemple, un personnage secondaire évoquera une guerre ouverte contre l’armée de Ruse depuis deux ans alors que Musashi semble découvrir l’existence du malandrin quand il vient chambouler sa vie de famille, et l’on se dit que le village Oboro ne doit pas capter BFM TV ou recevoir Le Monde Diplomatique.
Évidemment, le design des seconds couteaux est très réussi, et c’est d’autant plus dommage que l’écriture les laisse autant tomber.
Mais tout cela est bien secondaire dans une franchise à l’ADN profondément arcade où l’objectif de tuer sans être tué en gérant ses ressources au mieux. Shinobi : Art of Vengeance réalise une espèce de pot-pourri des précédentes mécaniques tout en apportant un soin particulier aux combats pour correspondre aux standards modernes. Joe Musashi dispose d’attaques légères et lourdes à mélanger pour remplir la barre d’exécution des ennemis, les expulser en l’air, ou bien combiner roulades, attaques en piqué et coups de pied tournoyants pour esquiver les attaques tout en continuant les combos. Nous devons aussi gérer notre stock limité de kunais (des couteaux de lancer) et notre mana, qui permet d’utiliser différentes techniques bien utiles comme un contre, un souffle de feu, une bombe à jeter depuis les airs ou une ruée électrique. Enfin, subir des dégâts et tuer des ennemis remplit la jauge de rage, qui alimente quatre sortilèges d’une puissance cataclysmique.
Ultimate Ninja Storm
C’est un résumé cavalier des mécaniques de combat, mais l’essentiel est là. Cette fameuse jauge d’exécution se montre très importante à mesure que les niveaux se corsent, pour plusieurs raisons : d’abord, l’exécution téléporte Musashi vers la cible pour la découper en deux, ce qui permet parfois de s’extirper de la mêlée. D’autre part, plus vous réussissez à exécuter d’ennemis en même temps, plus vous récupérez de la santé, des kunais ou de la rage. Il y a donc une dimension stratégique : dois-je favoriser les attaques lourdes, quitte à m’exposer ? Dois-je laisser cet ennemi en vie le temps de remplir la jauge d’un autre larron ou devrais-je plutôt nettoyer l’écran ? Cet aspect stratégique s’étend aussi dans les artefacts à équiper, qui vont donner un avantage passif ou activer un bonus à partir d’un certain palier de combo. Typiquement, augmenter nos dégâts bruts n’aura pas la même incidence qu’avoir des kunais qui traversent les ennemis, ce qui peut remplir très rapidement des jauges d’exécution mais se montrer coûteux en ressources. À vous de choisir l’approche. De même, vos jutsus ultimes peuvent occasionner de très gros dégâts, vous guérir ou accélérer le remplissage de la jauge d’exécution – je ne vais pas vous refaire le dessin, vous avez capté.
Lizardcube a maintes fois promis que Shinobi : Art of Vengeance ne serait pas un metroidvania, mais bien un jeu d’action à l’ancienne, découpé en niveaux, avec une progression linéaire qui régale. C’est techniquement exact si vous souhaitez simplement terminer l’histoire principale en ligne droite, mais l’affirmation devient presque mensongère au vu de la quantité de secrets inaccessibles dans les premiers niveaux sans posséder le bon équipement. Équipement à récupérer plus tard, donc, ce qui impose quelques retours en arrière pour tout débloquer. Et cela sera obligatoire pour espérer découvrir le boss secret. Alors oui, tout cela est bien entendu facultatif, mais Shinobi : Art of Vengeance s’en retrouve tout de même le cul entre deux chaises. C’est un point de contentieux qui paraîtra anecdotique pour beaucoup, certes, mais il prend sens à nos yeux.
Ninja Warrior, le parcours du héros
De manière générale, si le combat est absolument exquis la majorité du temps, nous avons plus de mal avec le level design qui s’avère inégal selon les niveaux. Si Lizardcube s’amuse à rapprocher ou éloigner la caméra selon que l’on nettoie un immeuble plein de mercenaires crasseux ou que l’on s’envole dans les courants chauds d’une caverne désertique, on peste un peu trop souvent contre le manque de lisibilité des éléments à venir, surtout qu’il n’y a pas vraiment de mécanique de déplacement avancée, et qu’une erreur peut coûter un peu de temps. Parfois, dans les niveaux bonus, il est même nécessaire de sauter à l’aveuglette en priant qu’une plateforme nous réceptionne hors de l’écran. Shinobi : Art of Vengeance sait pourtant proposer des phases de plateforme millimétrées à l’occasion. Nous pensons notamment aux Failles de l’Ankou, niveaux bonus retors qui sont autant des parcours de précision que de véritables marathons de parkour.
Dans les Failles de l’Ankou, vous allez salement trimer pour atteindre le 100%…
Peut-être pouvons-nous imputer cette légère frustration envers le level design aux imperfections techniques qui émaillent la beauté de Shinobi : Art of Vengeance. Carte qui reste bloquée, ennemis qui se mettent à patiner dans le vide, hitboxes parfois taquines dans les pièges mortels… il subsiste l’impression qu’un ou deux mois de développement supplémentaires auraient été souhaitables pour vraiment arrondir tous les angles. De fait, ces relents d’aigreur dans l’expérience ne viennent pas tant d’un manque de qualité globale (c’est léché), mais plutôt de l’envie de voir Shinobi : Art of Vengeance s’épanouir pleinement sans ces petites fioritures qui, mine de rien, finissent par s’accumuler. Et quand vous devez vous retaper les niveaux précédents pour trouver les secrets, et que la carte déraille, ça devient pénible pour rien.
Shinobi : Art of Vengeance plaira sûrement aux complétionnistes puisque moult secrets sont cachés à travers les niveaux, et que compléter les objectifs secondaires les plus difficiles débloque progressivement les clés du laboratoire… pour quoi faire ? C’est un secret que je compte préserver, mais qui risque de parler aux vétérans. Vous débloquerez aussi le mode Arcade en terminant une première fois l’aventure. Rejouer les niveaux en mode Arcade supprime les passages narratifs, et l’objectif est simplement de terminer aussi vite que possible, en tuant un maximum d’ennemis, et en retrouvant les objets secrets pour mieux scorer. En fait, l’ironie du sort, c’est que les mordus de Shinobi préféreraient peut-être que le mode Arcade soit la version basique du produit…