C’est peu dire que la jeune femme de 22 ans s’est emparée d’un sujet d’actualité. La révision du plan de prévention des risques littoraux (PPRL) de Lège-Cap-Ferret agite cette année État, élus et propriétaires de la façade intra-Bassin de la presqu’île. Et Manon Drouillard vient de soutenir, à l’École nationale supérieure d’architecture et du paysage (Ensap) de Bordeaux, un projet de fin d’études intitulé « Adapter les villages ostréicoles de la presqu’île du cap Ferret à la montée des eaux », joliment salué par le jury (17/20).
Manon Drouillard, ce 18 août, à Bordeaux.
Y. D. / SO
Et de présenter de manière documentée, modélisée et chiffrée la surélévation des 160 cabanes du village de l’Herbe, le plus connu, habité et visité de la prestigieuse langue de sable. « Je me questionne depuis toujours sur le devenir des constructions au bord de l’eau, se souvient celle qui n’est plus étudiante depuis ce 28 juin. De Royan, où ma famille a une petite maison, au Bassin, où nous allons souvent nous promener. »
Le village de l’Herbe compte 460 cabanes professionnelles et d’habitation.
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Érosion côtière et adaptation
À l’Ensap, Manon Drouillard entreprend d’abord un mémoire de recherches titré « Érosion côtière, repli stratégique des biens et des personnes », avec Biscarrosse (40) et Lacanau (33) comme sites – pertinents – d’étude. « Constat, adaptation et exemples à l’étranger » composent ce document riche d’entretiens avec les acteurs de terrain, soutenu en janvier dernier. Lors des six mois précédents, l’étudiante part, via Erasmus, à l’école d’architecture d’Hanoï, au Vietnam, s’intéresse à la résilience humaine et constructive des habitants du delta du Mékong, va aussi en Thaïlande et au Japon. « Avec l’école de Bordeaux, le voyage aux Pays-Bas a aussi été très instructif. »
Aux États-Unis et en Australie, la technique de surélévation des maisons par vérins hydrauliques est assez répandue.
Grit and polish
Pour le plus concret projet de fin d’études, la voilà à l’Herbe « parce que c’est le village le plus emblématique, à l’agencement le plus dense ». Comment y sauvegarder les cabanes (professionnelles ou d’habitation) et préserver la mixité de vies des – déjà régulières – montées des eaux dans les ruelles et les constructions ? La surélévation apparaît comme une évidence. Découvrant que les cabanes de la Presqu’île ont été un temps montées sur pilotis (au début du XXe siècle), Manon Drouillard, là aussi, cherche et trouve à l’étranger une technique simple et ingénieuse, employée depuis plusieurs années.
Vérins hydrauliques
C’est le blog d’une famille de Washington, qui surélève sa maison pour refaire les fondations… et qui finalement la garde surélevée. C’est la découverte d’entreprises spécialisées, aux États-Unis mais aussi en Australie, dans un process déclinable sur le sable de la Presqu’île. « Creuser une rigole autour de la maison et désolidariser la dalle de béton, glisser des poutres d’acier agencées entre elles, poser des vérins hydrauliques, lever la cabane, poser des cales puis des pilotis en azobé, un bois résistant à l’eau salée choisi par les architectes de la rénovation de la cabane tchanquée n° 3 », explique l’architecte, qui, au regard des risques littoraux et de submersion avérés, a prévu une surélévation d’1,30 mètre.
L’exemple d’une cabane de professionnel surélevée.
Photo-montage Manon Drouillard
Sont modélisées également des coursives, tout aussi boisées, le long des cabanes, avec des escaliers ou pans inclinés dès que possible. Peut-on raisonnablement envisager cette technique pour surélever l’entièreté du village de l’Herbe ? « La densité n’est pas un souci car cette technique ne nécessite pas de gros engins, assure Manon Drouillard. Il faut néanmoins une dynamique collective. C’est financièrement abordable : de 1 000 à 1 700 euros/m², quand une démolition-reconstruction tourne autour de 2 800. » Quel véhicule juridique peut emmener un tel chantier ? La question est aussi là, même si ce n’est pas l’objet de l’étude.
La maquette du projet au sein de l’exposition « 40/40 », au 308 de Bordeaux.
Manon Drouillard
« Réaliste »
« Je trouve ce projet assez réaliste », commente Patrick Ducasse, habitant de l’Herbe qui a accompagné l’étudiante ce printemps en tant que référent du village au sein de l’Association syndicale des propriétaires de cabanes de la côte ouest du bassin d’Arcachon (Asynpro). « Mais ce type de techniques et d’entreprises n’existe pas en France aujourd’hui. En aura-t-on les moyens ? L’administration sera-t-elle assez souple pour envisager cela ? » Et de rappeler que les Bâtiments de France, récemment, autorisaient le relèvement du seuil des cabanes mais pas celui du toit, ce qui exigeait de facto d’être de très petite taille…
Les innombrables selfies à l’Herbe se feraient alors à 1,30 m de hauteur.
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« Très intéressant et novateur », estime Jean Mazodier, président de l’association Protection et Aménagement de Lège-Cap-Ferret, qui a exposé ses travaux en août. Maire et députée s’apprêtent à recevoir l’architecte à la rentrée.
Le travail de Manon Drouillard est visible au 308-Maison de l’architecture (308, avenue Thiers) à Bordeaux, dans le cadre de l’exposition « 40/40 », à partir du 25 août (9 h-16 h 30).