Un parasite omniprésent mais discret. On le surnomme parfois « l’invité invisible ». Toxoplasma gondii infeste près d’une personne sur trois dans le monde, et jusqu’à 70 % des habitants d’Europe de l’Ouest. La plupart du temps, l’organisme s’en accommode, et l’infection passe inaperçue. Mais le parasite, lui, ne disparaît pas : il persiste, niché dans les neurones, où il installe une inflammation chronique. Depuis des décennies, les scientifiques suspectaient que cette présence silencieuse n’était pas sans conséquence sur le cerveau, notamment en provoquant des troubles cognitifs.

Mais le mécanisme moléculaire restait quant à lui un mystère », soulignent les auteurs de l’étude.

Un mystère qui vient enfin d’être percé, grâce au travail de chercheurs toulousains.

Une alliance de disciplines pour une percée scientifique

Cette découverte est le fruit d’une collaboration entre deux expertises complémentaires : celle d’Elsa Suberbielle, neuroscientifique, et celle de Nicolas Blanchard, immunologiste. Tous deux travaillent au sein de l’Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires (unité 1291 Inserm/Université de Toulouse/CNRS – Infinity).

Cette synergie a permis de combiner l’analyse fine des mécanismes cérébraux et la compréhension des réponses immunitaires. Résultat : une avancée majeure dans l’étude des interactions entre infections chroniques et fonctions cognitives.

Le rôle clé de l’inflammation

Les chercheurs rappellent que la neuroinflammation est une piste déjà bien connue dans d’autres maladies.

La neuroinflammation, ce processus inflammatoire à l’intérieur du cerveau, est souvent associée à de nombreuses maladies neurodégénératives, ou encore à des infections comme le SARS-CoV-2 ou le parasite Toxoplasma gondii. »

Dans le cas présent, l’inflammation libère une molécule particulière : l’interleukine-1. C’est elle qui vient bouleverser un équilibre insoupçonné mais fondamental pour la mémoire.

Quand la mémoire se joue à l’échelle de l’ADN

La mémoire ne repose pas uniquement sur les synapses (la zone de contact qui s’établit entre deux neurones) et les circuits neuronaux : elle se construit aussi au cœur même de l’ADN. Les chercheurs toulousains l’expliquent :

La mémoire, en particulier la mémoire spatiale, celle qui nous permet par exemple de nous rappeler où nous avons laissé nos clés ou de retrouver notre chemin, repose sur un équilibre délicat entre cassures et réparations de l’ADN dans les neurones. »

Ce processus surprenant fonctionne comme un mécanisme d’écriture et de réécriture permanent dans le cerveau. Mais lorsque l’interleukine-1 s’en mêle, cet équilibre se rompt.

Résultat, quand cet équilibre est rompu, les neurones ne parviennent plus à encoder efficacement les informations, et des déficits de la mémoire apparaissent. »

Une porte ouverte à de nouvelles approches thérapeutiques

L’étude ne s’arrête pas à cette observation, et les chercheurs ont testé des solutions pour contrer ce phénomène.

En bloquant cette molécule inflammatoire ou le mécanisme de détection et de réponse aux cassures de l’ADN dans les neurones, les chercheurs ont réussi à prévenir les troubles de mémoire dans leurs modèles expérimentaux », est-il précisé.

C’est un résultat porteur d’espoir. Pour la première fois, il devient alors possible d’imaginer des stratégies visant à protéger la mémoire, même dans un contexte d’infection chronique. Et au-delà de la toxoplasmose, les implications de cette découverte sont vastes.

Elle est d’autant plus importante que le mécanisme identifié n’est pas spécifique à la toxoplasmose. L’interleukine-1 est également retrouvée dans de nombreuses maladies inflammatoires chroniques. »

Cela signifie que d’autres pathologies, allant de certaines infections virales à des états dépressifs marqués par l’inflammation cérébrale, pourraient partager ce mécanisme de perturbation de la mémoire.

Dépasser le cas du parasite

Les résultats de cette étude pourraient ouvrir la voie à des traitements bien au-delà de cette infection. Cela pourrait permettre de comprendre et protéger la mémoire dans divers contextes, qu’ils soient liés à des infections, à des états dépressifs ou à des maladies neurodégénératives », indiquent les chercheurs.

Ainsi, la recherche menée à Toulouse pourrait contribuer à mieux appréhender les troubles de mémoire liés à Alzheimer ou à d’autres maladies neurodégénératives. Elle montre aussi combien les infections, même silencieuses, peuvent avoir un impact à long terme sur le fonctionnement du cerveau…

>> À LIRE AUSSI : Toulouse : le microbiote intestinal au cœur de la recherche sur le vieillissement