«Ces programmes sont une attaque à la professionnalité enseignante et desservent les élèves. » En évoquant les nouveaux programmes de français et de mathématiques, qui doivent s’appliquer dès la rentrée 2025 dans les écoles primaires, la porte-parole du FSU-Snuipp, Aurélie Gagnier, n’a pas mâché ses mots. Mais son discours, tenu lors d’une conférence de presse ce lundi, reflète le ressenti d’autres acteurs et actrices de terrain : les nouveaux programmes, de plus en plus précis, cornaquent les enseignants et enseignantes dans un cadre de plus en plus étroit, alors que l’arrivée d’élèves en difficulté suite aux politiques d’inclusion les confrontent dans la réalité à un public de plus en plus divers.
Ces programmes sont devenus trop « prescriptifs », notait déjà en novembre Patrick Picard, ancien responsable du Centre Alain-Savary à Lyon, sur le site Internet du Café pédagogique, les comparant à un « catalogue d’injonctions qui fait rapidement perdre la boussole de la direction à suivre ». « Ils laissent peu de place à la professionnalité des enseignants, juge aussi Jérôme Fournier, secrétaire national du Se-Unsa. Le ministère pense que les profs n’utilisent pas la bonne méthode ou ne sont pas assez formés. Faire des programmes plus prescriptifs est une manière d’imposer des méthodes pour avoir des garanties d’apprentissage de certaines compétences ». Le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc), également contacté par 20 Minutes, est du même avis, de même que la CGT Educ’Action.
Un programme par année, et plus par cycle
Cette année, le ministère a par ailleurs détaillé les objectifs non plus par cycle, mais par année. Pour l’acquisition du langage, par exemple, sont précisés les objectifs à aborder « avant 4 ans », « à partir de 4 ans », et enfin « à partir de 5 ans ». Avant 4 ans, un enfant doit savoir « retrouver un intrus », puis à partir de 4 ans, « trouver des synonymes », et enfin à 5 ans, distinguer le sens propre du sens figuré, comme entre « dévorer un gâteau » et « dévorer un livre ».
Alors que la logique de cycles permettait à un élève d’acquérir une compétence en trois ans, l’acquisition mesurée par année peut mettre la pression aux professeurs et professeuses, et par voie de conséquence aux élèves, pour qu’ils acquièrent certaines de ces compétences au plus vite. Au détriment, préviennent le FSU-SNUipp, la CGT Educ’Action et le Se-Unsa, du respect du rythme des élèves. « L’idée auparavant était que tous les élèves de cycle 2 aient les mêmes compétences à la fin du CE2. Les programmes actuels ne laissent plus à chacun la possibilité de progresser à son rythme », se désole Jérôme Fournier. Aurélie Gagnier est plus critique encore : « Les apprentissages sont cloisonnés, protocolisés, normés, conçus pour un élève idéal qui n’existe pas. » Le Snalc, de son côté, se félicite de cette présentation par année scolaire, qu’il trouve plus « praticable en matière de repères ».
Car, pointent trois des quatre syndicats que nous avons interrogés, ces objectifs de plus en plus précis semblent entrer en contradiction avec l’ouverture de l’école à un public plus divers, à travers les objectifs de l’école inclusive. Et se heurtent aussi à la réalité des inégalités sur le terrain. « On nous demande d’accueillir tous les élèves qui ont des besoins différents et on nous fait du prêt-à-penser », regrette Jérôme Fournier. « Les objectifs généraux disparaissent sous la pression d’une conception de l’élève et des apprentissages très largement déconnectée du réel, dans laquelle l’élève idéal doit acquérir très précocement des habiletés et des connaissances procédurales tout à fait à distance de la réalité des inégalités sociales et de développement », assène quant à lui Patrick Picard.
Des textes qui renforcent la compétition entre élèves ?
Ces programmes recentrés sur les savoirs fondamentaux – français et maths – et de plus en plus précis feraient aussi de plus en plus de place aux compétences facilement mesurables, critiquent les syndicats. C’est par exemple l’importance donnée en mathématiques au « comptage-numérotage », au détriment de la compréhension du nombre comme représentation de la quantité (savoir compter jusqu’à 10, versus, savoir dans l’espace qu’il y a bien là 10 objets), selon le FSU-SNUipp, ou les « performances d’oralisation chronométrées », par exemple le nombre de mots qu’un élève est capable de lire en une minute avec des objectifs chiffrés (50 mots par minute en CP, 70 en CE1, 90 en CE2, une compétence appelée « fluence »). Une évaluation déconnectée de sa compréhension du texte, qui sera faite séparément, mais qui est alors beaucoup moins facilement « quantifiable ».
Une logique de compétition, estime Aurélie Gagnier, qui favorise la concurrence entre les enfants, et qui « incite à l’individualisation, au détriment de la coopération ». Une interprétation que ne partage pas le Se-Unsa, mais qui fait écho au livre à paraître le 2 septembre de la journaliste Louise Tourret, qui pointe dans Le meilleur pour nos enfants ? Crèches privées, écoles à but lucratif, coaching : quand le marché abîme l’éducation (Editions de l’Atelier) un système éducatif de plus en plus axé sur « la performance individuelle et l’efficacité ».