Le Télégramme : Pourquoi avoir décidé d’étudier l’obélisque de la place de la Concorde à Paris ?
Jean-Guillaume Olette-Pelletier : C’est le fruit du hasard ! En 2020, pendant le confinement, j’ai profité de l’heure de promenade quotidienne autorisée pour observer le seul vestige égyptien dans un périmètre d’un kilomètre autour de chez moi : c’était cet obélisque. Mais en m’amusant à traduire les hiéroglyphes, je me suis rendu compte qu’il y avait des bizarreries sur les scènes dessinées. Ces singularités avaient déjà été relevées par Champollion, mais il n’arrivait pas à les expliquer. Un deuxième coup de chance s’est offert à moi : en 2021, des échafaudages ont été installés autour du monument, pour le rénover en vue des Jeux olympiques. J’en ai profité pour monter tout en haut, jusqu’à la pointe, et pouvoir vérifier les hypothèses de ma découverte.
Jean-Guillaume Olette-Pelletier a découvert sept cryptographies hiéroglyphiques sur l’obélisque. (J.-G. Olette-Pelletier)Qu’avez-vous découvert sur l’obélisque ?
Des cryptographies hiéroglyphiques ! C’est-à-dire des textes cachés, qui donnent une clé, une consigne, permettant ensuite de lire d’une deuxième façon certaines inscriptions et dessins. Au total, j’en ai découvert sept sur le monument. Des cryptographies très variées : l’une d’elles, dans la dernière ligne la plus proche du sol, indiquait qu’il fallait lire certains hiéroglyphes non pas verticalement mais horizontalement ; une autre, tout en haut de l’obélisque, s’est matérialisée par l’ajout d’une paire de cornes de taureau dans l’une des scènes, qui n’était perceptible qu’au toucher ; une troisième, qu’on appelle cryptographie tridimensionnelle, n’a pu être découverte qu’en tournant tout autour du monument, en prenant du recul et selon un angle de vue particulier.
À l’horizontale, ces hiéroglyphes désignent Ramsès II sous son nom de fils du dieu Rê. (J.-G. Olette-Pelletier)Grâce à ces clés, quels sont les nouveaux messages que vous avez pu découvrir ?
Alors que la lecture classique de l’obélisque invite à lire, sur chaque face, l’énonciation du programme royal de Ramsès II (ses projets architecturaux, ses projets militaires, les offrandes…), ce deuxième niveau de lecture, révélé par les cryptographies, raconte comment Ramsès II entend légitimer sa place sur le trône. C’est de la propagande, une guerre de communication à destination de la noblesse égyptienne qui pourrait tenter de le renverser et prendre le pouvoir.
À partir de cette découverte, on peut supposer qu’il y ait d’autres clés cachées dans d’autres monuments pharaoniques.
À l’époque, seule la noblesse sait lire ces textes qui se trouvent entre les lignes. En reprenant cette technique et en l’utilisant sur un monument comme l’obélisque, Ramsès II a voulu montrer aux élites que certes, il n’a pas été conçu par la divinité (il était déjà né lorsque son père est devenu pharaon), mais qu’il possède lui aussi le savoir divin. Donc qu’il a été choisi, et lui seul, par les dieux pour régner sur l’Égypte unifiée. Envoyer un tel message via un obélisque est d’autant plus symbolique que la noblesse, qui arrive à Louxor en bateau et qui connaît ce type d’écriture, pouvait le voir de loin, dès le Nil.
Ce n’est qu’avec une vue à 45 degrés que les Égyptiens antiques pouvaient lire certaines inscriptions. (J.-G. Olette-Pelletier)Comment se matérialisent ces affirmations cachées de sa puissance ?
Par exemple, sur la face côté Église de la Madeleine, la clé cryptographique, qui se trouve dans des cornes de taureaux, dévoile le message suivant : « Apaiser la force vitale du dieu Amon ». Cela invite les Hommes à faire sans cesse des offrandes aux divinités afin d’apaiser leur force vitale parfois destructrice.
Une clé cryptographique qui se trouve dans des cornes de taureaux, cachées. (J.-G. Olette-Pelletier)
Autre exemple : le nom royal de Ramsès, caché au sommet de la colonne, se dévoile avec ce second niveau de lecture. Mais pour le savoir, il fallait décrypter la clé cryptographique qui se trouvait à la base de la colonne.
Sur chaque face de l’obélisque, il y a également des bouts d’épithètes royales (« Aimé de Rê », « Aimé de Maât », « Grand de force », « Qui combat au khépesh puissant »). Si vous tournez autour de la colonne en combinant ces éléments, se dévoile le nom de Ramsès à la fin de l’an II de son règne : Ousermaâtrê Nebkhepesh. Une vraie célébration de sa puissance.
Pensez-vous qu’il y ait d’autres messages cachés sur l’obélisque ?
J’en suis persuadé : la septième cryptographie, celle près du sol, je l’ai découverte il y a trois semaines ! Des experts, spécialisés dans d’autres types de cryptographie, pourraient en trouver également d’autres ! À partir de cette découverte, on peut aussi supposer qu’il y ait d’autres clés cachées dans d’autres monuments pharaoniques. On peut même espérer pouvoir faire des rapprochements entre plusieurs inscriptions et sources archéologiques.