Le cinéaste, à la discrète carrière commencée dans les années 1970, s’est éteint à l’âge de 85 ans. En une vingtaine de films, dont plusieurs ont été censurés, il a dressé le portrait du pays qu’il a souvent critiqué avec humour : la Pologne. En 2009, Marcel Łoziński a remporté le Prix du cinéma européen du meilleur film court métrage pour « Poste restante ».

En 2009, Marcel Łoziński a remporté le Prix du cinéma européen du meilleur film court métrage pour « Poste restante ». Photo Clemens Bilan/EPA/MaxPPP

Par François Ekchajzer

Publié le 25 août 2025 à 17h35

Mis à jour le 25 août 2025 à 18h14

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Mort le 20 août à l’âge de 85 ans, le documentariste polonais Marcel Łoziński n’était curieusement connu que de cercles restreints dans la France qui l’a vu naître. Nul article repéré à ce jour, nul hommage, en dépit de l’exposition de ses films sur Arte qui en coproduisit plusieurs à partir des années 1990 — jusqu’au dernier : Père et fils, road movie coréalisé en 2012 avec Pawel Łoziński, lui aussi cinéaste. Sa filmographie, qui compte une vingtaine de titres, mérite d’être (re)découverte. S’y exprime un point de vue singulier, dont l’acuité se double d’un sens critique teinté d’humour, qu’explique en partie son histoire. Celle d’un enfant juif né à Paris en 1940, de parents communistes exilés en France. Caché pendant l’Occupation, il a 7 ans quand la foi politique de ses parents le conduit en Pologne, dont il ne parle pas la langue. Il y fera pourtant sa vie.

Pour apprendre un « vrai métier », comme le souhaite sa famille, il intègre l’école polytechnique de Varsovie, en sort avec un diplôme d’ingénieur ; mais entre en 1967 à la non moins fameuse école de cinéma de Lodz, en Pologne. « C’était encore une grande époque de l’école, de discussions ouvertes, de confrontations de nos travaux, sans rivalités entre nous », confie-t-il en 1995 à la critique Luce Vigo. Après le soulèvement étudiant de mars 1968, le vent tourne en Pologne. Le directeur de Lodz est renvoyé. La censure, à laquelle Marcel Łoziński sera souvent confronté sans que son activité soit pour autant empêchée, l’amène à développer un langage cinématographique bien à lui, qui dérange l’administration en situant la plupart de ses documentaires à la lisière de la fiction. C’est le cas de Happy End (1973), dans lequel les cadres d’une usine s’en prennent à l’un d’eux, lui reprochant des défauts de production dont il endosse la culpabilité et en assume les conséquences… jusqu’à ce qu’une femme présente interrompe cette fiction, ce psychodrame organisé par la direction de l’usine à des fins politiques ou managériales. « En 1980, poursuit-il, j’avais cinq films interdits, remisés dans les tiroirs [dont celui-ci, ndlr]. Nous tournions, nous montions, mais ils n’étaient pas vus. À l’automne 1980, pendant la première période de Solidarité [le premier syndicat libre de la Pologne communiste, dirigé par le futur président Lech Walesa, ndlr], tous les films interdits ont été libérés et montrés dans les salles de cinéma bondées. »

Fiction, documentaire… semi-fiction ?

Pour l’historienne et cinéaste Ania Szczepanska, autrice d’une thèse sur le groupe de production d’Andrzej Wajda (1926-2016), au sein duquel Łoziński réalisa le long métrage Comment vivre (1977), « ce qui l’intéresse est ce qui fait qu’un individu se soumette ou se révolte ». Tournant dans un camp de vacances de l’Union de la jeunesse socialiste polonaise, celui-ci mêle des complices aux vacanciers, pour révéler à travers la violence s’exerçant à leur égard les mécanismes d’oppression et d’aliénation à l’œuvre sous l’apparente bonhomie des activités proposées. « L’embarras de la commission de validation, appelée à déterminer s’il s’agissait d’un film de fiction, d’un documentaire ou d’une semi-fiction, l’a décidée à l’interdire », explique la réalisatrice de Nous filmons le peuple ! (2013), documentaire qu’elle a consacré au cinéma polonais de ces années-là.

Des autres films de Marcel Łoziński, elle retient notamment Une visite (en 1974), portrait d’une paysanne dont la propagande entend faire une icône, et So it Doesn’t Hurt, qui la retrouve quatorze ans plus tard ; mais aussi Tout peut arriver (1995), dans lequel son fils de 6 ans questionne des personnes âgées dans un jardin public de Varsovie, ou If it Happens, qui le retrouve en 2007 dans le même parc. Elle distingue aussi des courts métrages méditatifs, comme 89 mm d’écart (en 1993, autour de la différence d’écartement des rails en Union soviétique et dans le reste de l’Europe) ou Poste restante (en 2009, sur le courrier qui n’arrive jamais, qu’il soit adressé au Père Noël ou à Dieu en personne). Et La Pologne après la victoire, 1989-1995 (1995), film d’archives dévoilant, selon Antoine Perraud (Télérama nᵒ 2392, 18 novembre 1995), « l’apprentissage de la démocratie » à travers « un montage fin et rigoureux ». Autant de films qu’Arte, Tënk ou la Cinémathèque documentaire seraient bien inspirés de sortir de l’oubli pour les mettre à disposition de spectateurs curieux, s’il en est.