(Actualisé avec déclarations de l’avocat de Lisa Cook,
contexte)

par Howard Schneider, Michael S. Derby et Ann Saphir

Lisa Cook, gouverneure de la Réserve fédérale américaine
(Fed), va intenter une action en justice pour empêcher le
président américain Donald Trump de la démettre de son poste, a
annoncé mardi son avocat, déclenchant ainsi ce qui pourrait être
une longue bataille juridique autour de la tentative de la
Maison blanche d’influencer la politique monétaire américaine.

« Sa tentative de la licencier, sur la seule base d’une
lettre, est dépourvue de tout fondement factuel ou juridique.
Nous allons intenter une action en justice pour contester cette
mesure illégale », a déclaré dans un communiqué Abbe Lowell,
l’avocat de Lisa Cook.

Cette annonce intervient alors que Donald Trump a
déclaré lundi démettre Lisa Cook de son poste, citant des
irrégularités présumées dans l’obtention de prêts immobiliers,
une décision sans précédent susceptible de faire bouger les
lignes s’agissant de l’indépendance dont dispose l’institution.

Dans une lettre adressée à Lisa Cook, première femme
afro-américaine à siéger au conseil des gouverneurs de la Fed,
et publiée sur les réseaux sociaux, le locataire de la Maison
blanche dit avoir un « motif suffisant » pour la démettre de ses
fonctions: des demandes d’emprunts immobiliers distinctes
effectuées en 2021 dans lesquelles Cook désigne deux propriétés
– l’une dans le Michigan, l’autre en Géorgie – comme sa
résidence principale.

La gouverneure a déclaré que Donald Trump n’avait pas le
pouvoir de la limoger et s’est engagée à rester à son poste.

Le président américain avait appelé la semaine dernière Lisa
Cook à démissionner après que le directeur de l’agence fédérale
du financement immobilier, William Pulte, a formulé ces
accusations. Pulte a demandé à l’Attorney General (ministre de
la Justice), Pamela Bondi, d’ouvrir une enquête. Pulte et Bondi
ont tous deux été nommés par Trump.

Cette décision marque une escalade dans les efforts de
Donald Trump pour peser sur le fonctionnement de la banque
centrale américaine, à laquelle il demande régulièrement, depuis
son retour au pouvoir en janvier, de baisser les taux d’intérêt.
La Fed n’a pas assoupli sa politique monétaire depuis le début
de l’année, citant sa préoccupation à l’égard de l’inflation.

Donald Trump s’en est pris à de multiples reprises au patron
de la Réserve fédérale, Jerome Powell, qu’il avait nommé à ce
poste au cours de son premier mandat présidentiel – avant que
Powell soit reconduit dans ses fonctions par Joe Biden.

Il a menacé de limoger Jerome Powell, bien qu’il n’en a pas
l’autorité – hormis dans des cas très particuliers sans lien
avec la politique monétaire -, avant de faire marche arrière,
tout en menant un processus de sélection du successeur de
Powell, dont le doit prendre fin en mai prochain.

En parallèle, l’administration Trump mène depuis plusieurs
mois une offensive contre les programmes de diversité et
d’inclusion au sein du gouvernement américain. Elle s’attaque
aussi à des rivaux politiques du président républicain, tels que
l’éminent sénateur démocrate Adam Schiff, accusé de fraude.

Depuis son entrée en fonction en janvier pour un second
mandat, Donald Trump a également supervisé le départ de
centaines de milliers de fonctionnaires, démantelé plusieurs
agences et retenu des milliards de dollars de dépenses
autorisées par le Congrès.

« INCONGRU »

Plusieurs heures après l’annonce de Donald Trump, Lisa Cook
a transmis via un cabinet d’avocats un communiqué à la presse
dans lequel elle déclare qu' »aucune cause n’existe en vertu de
la loi » et que Donald Trump n’a « pas autorité » pour la démettre
de son poste. Le mandat de Cook, nommée par Joe Biden en 2022,
doit prendre fin en 2038.

« Je vais continuer à remplir mes missions pour aider
l’économie américaine », a-t-elle dit.

Les mandats des gouverneurs de la Fed sont conçus pour que
leur durée soit supérieure à celle du mandat d’un président. Un
gouverneur peut seulement être démis de ses fonctions « pour
motif raisonnable ».

Une telle démarche n’avait jusqu’alors jamais été initiée
par les locataires de la Maison blanche, qui ont
traditionnellement privilégié, en particulier dans les années
1970, une approche non-interventionniste à l’égard de la Fed
afin de préserver la confiance dans la politique monétaire.

D’après des juristes et des historiens, un quelconque
recours en justice à propos de la décision de Donald Trump
pourrait engendrer des questions sur le pouvoir exécutif et sur
l’indépendance de la Fed, en plus d’examiner si les accusations
à l’encontre de Lisa Cook relèvent du « motif raisonnable ».

Peter Conti-Brown, juriste spécialiste de l’histoire de la
Fed à l’université de Pennsylvanie, a noté que les transactions
concernées dataient d’avant la nomination de Lisa Cook au
conseil des gouverneurs de la Fed et qu’elles étaient
disponibles dans les archives publiques quand le Sénat a
entrepris le processus de confirmation de Cook.

« Ces représentants (de la Fed) ont été avalisés par notre
président et notre sénat, ce qui signifie que tout ce qu’ils ont
fait en tant que citoyens privés (avant leur nomination) a déjà
été vérifié », a-t-il dit, décrivant comme « incongru » le fait de
revenir en arrière et de présenter cela comme « motif raisonnable
pour une mise en retrait ».

Dans sa lettre, Donald Trump accuse Lisa Cook d’avoir eu un
« comportement mensonger et criminel sur des questions
financières » et dit n’avoir pas confiance en son « intégrité ».

« A minima, ce comportement expose une forme de négligence
grossière dans des transactions financières qui remet en
question votre compétence et votre fiabilité comme régulateur
financier », écrit le président américain, disant avoir autorité
pour décider de la mise en retrait de Lisa Cook.

Les emprunts visés ont été contractés en 2021, alors que
Lisa Cook était académicienne, avant d’entrer à la Fed l’année
suivante. Une déclaration financière datant de 2024 indique que
Cook a trois emprunts dont deux crédits immobiliers pour des
résidences personnelles.

(Howard Schneider à Washington et Michael S. Derby à New York,
avec la contribution de Kanishka Singh à Washington; version
française Jean Terzian et Diana Mandia, édité par Kate
Entringer)