Publié à 19 h 30
Aurélie Campana
Professeure de science politique, Université Laval
Les tractions diplomatiques ne cessent de s’intensifier à la suite du sommet qui s’est tenu le 15 août dernier en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine. L’incertitude reste toutefois grande. D’un côté, les Ukrainiens, les membres de la « Coalition des volontaires », dont le Canada fait partie, et les Américains tentent de trouver un terrain d’entente sur les garanties de sécurité que les Ukrainiens réclament pour assurer leur survie en tant qu’État et nation. D’un autre côté, les Russes accentuent la pression militaire dans l’est et le sud de l’Ukraine et campent sur leurs positions diplomatiques. Le fossé qui sépare les deux parties, loin de se réduire, semble s’agrandir.
PHOTO SERGEY BOBYLEV, SPUTNIK, ARCHIVES REUTERS
Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et président russe Vladimir Poutine à Anchorage, en Alaska, le 15 août dernier
Les interventions de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, au cours des derniers jours donnent le ton. La position actuelle de la Russie pourrait se résumer ainsi : faire plier l’Ukraine dont la souveraineté et le droit de se défendre sont toujours niés ; décrédibiliser plus encore le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dont la légitimité comme interlocuteur est moquée et contestée ; marginaliser les Européens accusés de tous les maux ; et concrétiser le rapprochement avec les États-Unis de Donald Trump.
Les négociations dans lesquelles Vladimir Poutine semble avoir accepté de s’engager signifient donc, pour les Russes, acceptation pleine et entière de leur vision, de leurs conditions et demandes, sans concession aucune.
Le fait même que Poutine ait été reçu en grande pompe par Trump en Alaska est célébré comme une victoire en Russie, mais aussi comme la reconnaissance de la légitimité des aspirations russes à défendre ce qu’ils présentent comme leurs intérêts vitaux.
Dans ces conditions, les Russes jouent la surenchère. Ils s’attellent à formuler de nouvelles exigences à chaque fois que les discussions autour des garanties de sécurité donnent des signes d’avancement. Ainsi, aux yeux des Russes, les garanties de sécurité ne peuvent se négocier sans eux et toute force de maintien de la paix devrait inclure d’autres pays, notamment la Chine.
Lavrov a même proposé de revenir à un format discuté lors de pourparlers de paix inaboutis tenus à Istanbul en avril 2022 : une coalition d’États offrant à l’Ukraine des garanties de sécurité, mais sur laquelle la Russie aurait une sorte de droit de veto. Autant dire que ces garanties seraient au mieux factices, au pire un tremplin pour préparer la reprise de la guerre. Les Européens avaient déjà exprimé en 2022 leur forte réticence face à ce qu’ils voyaient à juste titre comme un piège tendu par les Russes.
Durcissement de ton
Parallèlement, Lavrov fustige l’activisme des Européens qu’il accuse de prolonger indûment la guerre, comme si son issue était évidente, tout en prenant soin de ménager les États-Unis, vus comme le seul interlocuteur digne de la Russie. Ce durcissement de ton vise entre autres à créer de nouvelles fissures dans le camp européen, tout en gagnant du temps. Les propos de Lavrov vont au-delà de la guerre des mots, puisqu’ils font directement écho à la doctrine de politique étrangère russe. Les Russes ne semblent donc pas prêts à s’asseoir à une table de négociation et à négocier de bonne foi.
Le climat créé par le sommet en Alaska et les déclarations à l’emporte-pièce de Donald Trump ont offert aux Russes une opportunité, sur laquelle ils capitalisent ouvertement, même si les Européens et, dans une moindre mesure, le Canada – comme on l’a vu avec la récente visite de Mark Carney en Ukraine – essaient de peser dans la balance en tentant de co-construire avec les Ukrainiens ces fameuses garanties.
L’approche de Trump face à Poutine montre ici toutes ses limites. L’accueil que Poutine a reçu à Anchorage et les pressions que Washington fait peser sur Kyiv pour que les Ukrainiens consentent à céder des territoires et une partie de leur souveraineté confortent les Russes dans leur position.
Car Poutine ne cherche pas simplement un deal. Il souhaite une victoire en Ukraine, dont il définirait les contours, avec l’aval de Trump, pressé d’en finir avec le dossier ukrainien.
Ni les Ukrainiens ni les Européens ne peuvent se ranger derrière une telle solution : les premiers seraient à risque d’asservissement ; les seconds, marginalisés, auraient à vivre avec une menace russe encore plus pressante.
Sans véritable pression sur la Russie, l’initiative de Trump mènera à une nouvelle impasse. Sans véritables garanties de sécurité pour l’Ukraine, toute paix négociée risque de conduire à une résurgence du conflit dans les années qui viennent.
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