Longtemps terre de concurrence entre puissances européennes, l’Afrique se détache progressivement du poids du passé en rompant notamment avec la France et les États-Unis. Déjà séduits par les promesses chinoises, plusieurs pays se tournent vers la Russie et le nouvel ordre mondial voulu par Moscou. Dans la guerre qui l’oppose à sa voisine depuis 2022, l’Ukraine voit en l’Afrique un autre front.
Le 2 mars 2022, l’Assemblée générale des Nations unies vote une résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine. Si la majorité des membres sont pour, 26 des 54 États africains s’abstiennent ou ne participent pas au scrutin ; l’Érythrée s’est même prononcée contre. La diplomatie ukrainienne comprend que la guerre ne se gagnera pas seulement sur le terrain et qu’elle doit redoubler d’efforts pour rallier des gouvernements à sa cause, au-delà des appuis de l’Union européenne (UE) et des États-Unis, les deux principaux pourvoyeurs d’aide financière et militaire à Kyiv. C’est dans cette optique qu’il faut voir la visite du ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, en Afrique du Sud en novembre 2023, la première depuis 1998. Le choix n’est pas anodin : Pretoria n’a jamais condamné l’invasion russe et a même été soupçonné d’avoir livré des armes à la Russie, tandis que les Sud-Africains exercent une certaine influence économique et politique sur le continent en tant que membre des BRICS.
Réveil diplomatique
L’Afrique serait-elle le chemin le plus court pour des pourparlers entre Moscou et Kyiv ? En juin 2023, une délégation représentant sept États (Afrique du Sud, Sénégal, Comores, Zambie, Égypte, Ouganda, Congo) s’est rendue dans les deux villes pour y évoquer un « plan de paix ». Si ce dernier n’a pas été pris au sérieux par le Kremlin, il a rappelé que l’Ukraine essaie de renouer avec un continent où l’URSS avait autrefois une grande influence. Ainsi, la présidence Volodymyr Zelensky (depuis 2019) a inauguré, en avril 2024, six nouvelles ambassades et envisage d’en ouvrir quatre autres, montrant sa volonté d’élargir un réseau diplomatique relativement maigre par rapport à celui de la Russie. Car la fédération a hérité de l’aura de l’Union soviétique dans la région, ainsi que de ses infrastructures. Et c’est le principal point faible de l’Ukraine.
De nombreux experts estiment qu’il lui sera impossible de concurrencer les ingérences du Kremlin dans les pays africains, avec lesquels des accords économiques et des partenariats militaires ont été signés. Rien qu’au Sahel, la Russie s’affirme comme la nouvelle puissance après le départ des Français et des Américains, avec l’Africa Corps, dispositif sécuritaire géré par le ministère de la Défense russe à la suite de la disparition des milices Wagner à l’automne 2023. De plus, les activités russes de renseignement et de désinformation touchent presque tout le continent, tandis que de nombreux pays africains dépendent des céréales en provenance de Russie – pour les régimes en place, la sécurité alimentaire est un facteur clé de stabilité et de légitimité.
Des ingérences multiples
Une autre faiblesse géopolitique pour l’Ukraine est qu’elle n’arrive pas sur un « terrain vierge ». Si la France, le Royaume-Uni et les États-Unis restent en retrait, ils conservent des réseaux politiques et économiques solides. De plus, les États africains sont attentifs à ce que pense la Chine. Du 4 au 6 septembre 2024, la République populaire a accueilli le Forum sur la coopération sino-africaine, au cours duquel le président Xi Jinping (depuis 2013) a défendu le « Sud global » et annoncé une enveloppe de 50 milliards de dollars de lignes de crédit, d’aides et d’investissements d’entreprises. Car si l’Afrique a été une sorte de « laboratoire » de la diplomatie économique de la Chine, et si les liens se sont distendus, notamment en raison du « piège de la dette », la République populaire demeure un partenaire majeur pour de nombreux États africains.
Plus surprenante est la tentative de l’Iran d’accroître son influence. L’un des cas les plus emblématiques est le sort de l’uranium du Niger, convoité par la République islamique depuis le départ des Français en décembre 2023 sur demande de la junte arrivée au pouvoir à Niamey cinq mois auparavant. Cette même junte est soutenue par la Russie. On voit ainsi se dessiner un axe Moscou-Téhéran-Pékin, trois régimes qui jouent leur propre partition en fonction de leurs intérêts, et avec qui les pays africains ne veulent pas se fâcher.
1-Les intérêts chinois en Afrique
2-L’Ukraine dans l’espace russo-africain