Les 7 et 25 août 2025, deux groupes de visons d’Europe ont été relâchés, en secret, dans la vallée de la Charente, entre Angoulême et Saintes. Ces lâchers sont une première en France et marquent un tournant pour le Plan national d’action (PNA) en faveur du vison d’Europe.
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Cet après-midi-là, les visons du parc animalier Zoodyssée, dans les Deux-Sèvres, jouent à cache-cache dans leurs enclos respectifs. Au bruit de l’appareil photo, Snow, une femelle, pointe son museau, l’air intrigué. Faire la mise au point sur elle n’est pas une mince affaire, ce petit animal, solitaire et craintif, est aussi très rapide.
Peu de monde est autorisé à s’approcher de ces enclos, mais Mathilde Picard, elle, les connaît par cœur. « Coucou Madame », « Coucou louloute », lance la soigneuse animalière en ouvrant, une à une, les boîtes nichoirs des enclos pour nourrir cette espèce menacée qui bénéficie d’un programme de protection et de réintroduction.
Mathilde Picard, soigneuse animalière, nourrit les visons d’Europe au parc animalier Zoodyssée.
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© Rachel Ferro – France Télévisions
Cette année, 14 visons sont nés au sein de cet élevage conservatoire du parc animalier Zoodyssée. Au total, dix jeunes ont été relâchés les 7 et 25 août 2025, à l’occasion de deux lâchers de cinq visons chacun, dans la vallée de la Charente, entre Angoulême et Saintes. La zone n’a été choisie par hasard : elle se situe entre deux territoires sur lesquels vivent les dernières populations sauvages de visons d’Europe. Ces deux lâchers sont une première pour la France qui s’est engagée dans un Plan national d’action (PNA) en faveur de l’espèce. Les quatre autres visons nés cette année sont gardés en captivité pour maintenir l’élevage et augmenter le nombre de naissances à l’année.
Ce type de lâchers est entouré d’un grand nombre de précautions. Ils sont effectués avec des équipes en effectif réduit. Au moment du lâcher, le silence règne et le stress se fait ressentir au sein de l’équipe. Un peu de nourriture a été déposée à l’extérieur. Tout est prêt pour le grand départ. La petite trappe s’ouvre pour laisser les visons sortir. Certains prennent leur envol rapidement, tandis que d’autres hésitent à quitter le petit nid familial.
Après la réinsertion des individus en milieu naturel, un suivi par émissions radio est établi par l’Office français de la biodiversité (OFB). Des systèmes de pièges inoffensifs sont aussi installés pour vérifier la bonne acclimatation des animaux. Les émissions radio du premier groupe relâché connaissent des problèmes techniques, mais le deuxième groupe semble bien se porter. « Ils ont réussi à trouver des éléments du territoire pour se cacher, pour gîter (…) sous des racines au bord de l’eau, sous des terriers qui ont déjà été creusés par des animaux, explique Christelle Boulanger, cheffe de projet pour l’OFB. Ils ont les deux éléments essentiels pour survivre : se cacher, se nourrir, c’est vraiment très encourageant ».
Le parc animalier Zoodyssée s’est engagé dès 2015 dans la réintroduction du vison d’Europe et avait alors accueilli un premier couple de visons. C’est finalement en 2019, que les équipes ont eu la joie d’accueillir quatre bébés. Depuis, 62 visons ont vu le jour dans le calme de ce parc des Deux-Sèvres.
Mathilde Picard souligne la « reproduction compliquée » de cette espèce qui ne se reproduit qu’une seule fois par an, et sur une période de trois jours. « La femelle est en chaleur que quelques jours par an, et ensuite elle fait sa difficile. Il faut lui présenter différents mâles pendant la saison de reproduction », explique-t-elle. Les équipes préparent donc trois mâles par femelle, dont ils ont étudié le comportement et évalué les similarités avec les femelles. L’espèce est sous la surveillance et l’observation des plus grands spécialistes de visons, ce qui a permis au parc de connaître et comprendre l’espèce sur le bout des doigts.
L’élevage des visons d’Europe est sous surveillance vidéo pour étudier leur comportement.
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© Rachel Ferro – France Télévisions
Au moment des naissances, le calme est prescrit. « On a le droit de rentrer dans l’enclos quand les petits ont quinze jours, on ne rentre pas avant pour être sûrs que la mère ne tue pas ses petits par peur », précise la soigneuse. Les premières observations des portées débutent donc à j+15 afin de compter le nombre de petits et de les peser. À j+30, les équipes vérifient que le sevrage se passe bien et identifient les nouveau-nés. Entre j+30 et j+70, l’émancipation débute et les visons les plus autonomes sont sélectionnés pour découvrir le monde extérieur. Parce qu’ils auront peu vécu en captivité, ils pourront plus aisément s’acclimater au milieu naturel, via une transition dans un enclos d’acclimatation. Les autres sont relogés dans le couloir de travail où se trouvent les reproducteurs. Des enclos de 12m2 ont été mis en place avec l’aide de confrères estoniens, devenus experts en la matière. Un échantillon de l’écosystème nécessaire à cette espèce semi-aquatique est recréé : bassin d’eau, branches et feuillages les entourent.
De la famille des mustélidés, le vison d’Europe se distingue par un pelage brun foncé et une à deux taches blanches sur le museau. Ce petit carnivore semi-aquatique n’est pas aussi bon nageur que la loutre mais sa survie dépend, tout de même, des zones humides.
Si nous ne faisons rien, cette espèce va disparaître, donc on a quand même une responsabilité morale
Olivier Thibault
Directeur général de l’OFB (Office français de la biodiversité)
Guillaume Romano, directeur du parc animalier Zoodyssée, explique que le vison est une « espèce parapluie » et que « mettre des efforts sur la conservation du vison, c’est aussi conserver les zones humides et la qualité des eaux ». À l’inverse, Olivier Thibault, directeur général de l’OFB, précise que la survie du vison d’Europe nécessite de « penser l’écosystème », « de gérer le cycle de l’eau et des zones humides ». Au cours du XXe siècle, l’espèce a perdu 90 % de ses effectifs et la population française est estimée à moins de 250 individus, principalement présents en région Nouvelle-Aquitaine. En cause, la destruction des habitats, les collisions routières et la compétition avec le vison d’Amérique, « qui s’est évadé des élevages pour les manteaux et la fourrure », explique Guillaume Romano.
La France est l’un des six derniers pays à abriter une population sauvage de visons d’Europe avec l’Espagne, la Roumanie, l’Estonie, l’Ukraine et la Russie. Selon Olivier Thibault, « Si nous ne faisons rien, cette espèce va disparaître, donc on a quand même une responsabilité morale ». À Calviac, en Dordogne, un autre élevage se développe et la réserve zoologique possède déjà 6 visons d’Europe.
D’ici 2031, le PNA prévoit de relâcher 100 visons en Nouvelle-Aquitaine. L’objectif est de faire se retrouver les différentes communautés de visons afin qu’ils puissent vivre ensemble, se reproduire et recoloniser les territoires perdus dont le Marais poitevin.
(Récit de Rachel Ferro, journaliste stagiaire)