Bien sûr, la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine sont aussi passées par là et ont contribué à déstabiliser l’économie. Les effets directs du Brexit ne sont pas faciles à mesurer ; selon les estimations, il aurait fait perdre de 2 à 5 % de PIB depuis 2016. En fait, on peut voir le Brexit comme un cocktail qui laisse un arrière-goût très amer aux Britanniques. Le sentiment de déclassement est quasi-généralisé, les inégalités sont les plus grandes d’Europe occidentale et les deux-tiers des électeurs estiment à présent que quitter l’UE fut une mauvaise décision.

On a pu observer ces derniers mois que la coopération diplomatique et en matière de sécurité entre le Royaume-Uni et les États de l’Union européenne restait intense et convergente sur les dossiers de l’Ukraine ou encore sur l’Iran, par exemple. Or, ces sujets ne sont pas traités dans l’accord post-Brexit scellé entre l’UE et le Royaume Uni. Y a-t-il une perspective de rouvrir des négociations sur ce plan, comme sur les autres (libre circulation des personnes et questions commerciales notamment) avec l’arrivée d’un gouvernement travailliste au pouvoir ?

J’ai rencontré David Lammy, le nouveau Foreign Secretary, quelques jours après sa nomination en juillet. Ses intentions sont claires : son gouvernement veut un « reset » des relations avec la France et l’Europe. Il souhaite revoir l’accord commercial signé par Boris Johnson et l’accord vétérinaire qui entraîne de coûteux contrôles sanitaires. Il veut travailler sur la reconnaissance des qualifications professionnelles. Mais il y a une ligne rouge : le gouvernement travailliste n’organisera pas de nouveau référendum. De même, le chef de la diplomatie a beau être un ancien partisan du Remain, il ne veut pas non plus de retour dans l’Union douanière. Le Brexit est consommé, et les Travaillistes ne remettront pas sur la table un débat dans lequel ils n’ont pas réussi à convaincre en 2016. 

Les Français avec qui je suis en contact ont souvent du mal à le réaliser, mais le temps où l’on pouvait venir s’installer à Londres et chercher du travail est terminé. Il faut maintenant être sponsorisé par un employeur britannique, une procédure coûteuse, et ce n’est sans doute pas près de changer. Sur le dossier ukrainien, l’incursion récente des forces de Kyiv en territoire russe rend le gouvernement britannique beaucoup plus prudent. Pas question d’autoriser l’utilisation de missiles britanniques en territoire russe pour le moment. David Lammy a été moqué pour avoir lancé une campagne en ligne, « Faites du bruit pour l’Ukraine », qui incitait à taper dans ses mains et à donner des coups de klaxon… une forme d’aide un peu légère.

Le parti travailliste britannique vient de remporter les élections législatives haut la main, en reprenant notamment des voix dans les territoires qui lui étaient historiquement acquis dans les Midlands et l’Écosse. De même, l’électorat populaire a opéré un retour plus général vers le parti travailliste. Selon vous, au-delà de la lassitude et du rejet du parti conservateur, quelles sont les prises de positions travaillistes qui ont le plus résonné dans l’électorat ?

Au Royaume-Uni, on dit que ce n’est pas l’opposition qui gagne une élection, mais le gouvernement sortant qui la perd. Je crois que ça a rarement été aussi vrai que le 4 juillet dernier. On parle certes de victoire écrasante du parti travailliste en nombre de sièges de députés, mais il ne faut pas perdre de vue que le ratio « nombre de voix / nombre de députés » est le plus faible de l’histoire du pays : 34 % des voix pour 64 % des députés.