L’essayiste française Marie Kock construit ses livres comme des maisons: des lieux agréables à vivre, ouverts sur l’extérieur. Dans « Après le virage, c’est chez moi », elle navigue entre les sciences sociales, l’enquête et l’autobiographie pour évoquer notre quête d’un foyer pour penser l’avenir.
Que faut-il pour se sentir à la maison? Un paysage familier, une communauté d’amis et d’amies, des rituels quotidiens? Pourquoi sommes-nous à la fois obsédés par les questions immobilières et la tentation d’aller voir ailleurs si on y est? « Depuis que je suis en âge de payer un loyer, je me demande où va commencer ma vraie vie, quelle sera ma vraie maison, l’endroit dont je n’aurais pas envie de repartir. Dans mon esprit, cela a toujours pris la forme d’une quête », écrit Marie Kock dans son dernier ouvrage intitulé « Après le virage, c’est chez moi ».
La notion de chez soi pour les femmes
En 2022, elle publiait « Vieille fille ». Une proposition. Un essai féministe, écrit à la première personne, qui s’appuyait sur son rapport au couple, des études sociologiques et les représentations de la femme célibataire dans la pop culture pour brosser le portrait d’une vie fière et possible en dehors des injonctions à la conjugalité.
Trois ans et un déménagement plus tard, l’autrice revient avec « Après le virage, c’est chez moi ». Deux livres, deux sujets, mais de nombreuses passerelles, à commencer par la façon dont les femmes investissent la question du foyer, en famille ou par elles-mêmes.
Le chez-soi est à la fois le lieu de l’indépendance, éventuellement du huis clos qui tourne mal, du retour à la domesticité qui peut être difficile. C’est l’endroit où l’on s’arrache à son milieu d’origine pour avoir son identité propre, et qui nous oblige à penser comment rester indépendante, financièrement, matériellement, géographiquement – toutes ces questions sont très importantes pour les femmes.
Marie Kock, autrice de « Après le virage, c’est chez moi »., dans le podcast QWERTZ du 16 avril
Une prose toute en digressions et malices
Dans « Après le virage, c’est chez moi », on retrouve son style unique, poétique, mais sans complaisance, et qui navigue entre les sciences sociales, l’enquête et l’autobiographie – des propos sérieux servis par une prose légère, toute en digressions et malices. Sous couvert d’anecdotes et de souvenirs, d’observations et de lectures, Marie Kock nous invite à développer notre propre idée du sujet comme d’autres assemblent une cabane: « c’est où, chez nous? »
Saint-Etienne où elle est née, la Haute-Loire où elle a grandi, Lille où elle a étudié, Paris où elle a travaillé, Marseille où elle s’est installée: cette ancienne journaliste, spécialiste de l’histoire mondiale du yoga, amatrice de randonnées et de compagnons canins a toujours espéré trouver un lieu où planter ses racines et son potager; où refaire le monde avec ses amis et sa bibliothèque. Une place au carrefour de ses aspirations sociales, géographiques et immobilières; un refuge où se replier pour mieux se déployer ailleurs.
Le foyer, un concept évolutif et personnel
Qu’il soit symbolique ou terrestre, transmis de génération en génération ou choisi par affection, ce foyer potentiel est le confort mental et physique auquel nous aspirons. Seulement, cette maison idéale – et les activités qu’on y mènerait– n’ont pas le même profil quand on a 18 ans, 40 ou 80, qu’on vienne d’Europe ou d’ailleurs, qu’on soit artisan ou digital worker.
En sondant ses désirs – vivre en ville ou à la campagne, accumuler des pièces vintage ou se délester du passé, travailler au café ou dans le silence d’une chambre à soi -, Marie Kock peint en réalité le portrait d’une époque (et d’une génération) qui fait religion de la mobilité, fuit la sédentarité comme la peste et trouve sa rédemption dans les nouveaux départs, la réinvention et la métamorphose. Cela étant, elle n’ignore pas que ces considérations sont un luxe dont seuls profitent une partie de l’humanité. Jusqu’à quand?
Un abri pour penser l’avenir
« Nous n’avons pas tous les mêmes droits à la mobilité et, en même temps, il y a des mobilités qui sont mieux tolérées que d’autres. Pourtant, avec le changement climatique, nous serons nombreux et nombreuses à devoir, à notre tour, nous mettre à nous déplacer parfois contre notre volonté, et pas toujours pour le meilleur. Cette capacité à laisser derrière nous ce qui a représenté un temps un chez nous a priori pérenne est d’ailleurs décrite chez certains penseurs et penseuses comme notre seule porte de sortie dans un monde qui s’effondre », écrit-elle dans cet ouvrage qui, à défaut de maison, offre un abri temporaire pour penser des questions complexes.
Salomé Kiner/sf
Marie Kock, « Après le virage, c’est chez moi », ed. La Découverte, mars 2025.
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