Par
Emilie Salabelle
Publié le
27 août 2025 à 18h32
L’été est éprouvant pour les urgences hospitalières françaises. Face à la canicule et au manque de lits disponibles dans les hôpitaux, les services, régulièrement, craquellent. Dans un communiqué commun publié le 18 août 2025, le syndicat Samu Urgences de France (SUDF) et l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) dénoncent des conditions d’exercices intenables. Comme le reste du pays, la région Île-de-France, qui représentait à elle seule 20,2 % du volume total de passages aux urgences de France en 2024 selon l’Observatoire régional des soins non programmés (ORSNP) n’est pas épargnée. Comment a-t-elle fait face ? Éléments de réponse, éclairés pour actu Paris, par la médecin urgentiste Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de Samu-Urgences de France.
Une fréquentation des urgences en hausse cet été à Paris
Par rapport à l’été 2024, entre début juillet et mi-août 2025, l’activité des urgences a vu une augmentation marquée de + 6,2 % à Paris, nous indique l’ORSNP. En petite couronne, l’activité a en revanche « globalement stagné », avec une légère augmentation dans les Hauts-de-Seine (+1,9 %) et une très légère baisse en Seine-Saint-Denis (-0,7 %) et dans le Val-de-Marne (-1,2 %). Pour Paris et sa petite couronne, c’est donc une augmentation globale de passage aux urgences de + 2 % qui a été observée. À l’échelle francilienne, une augmentation globale de 3 360 passages a été constatée par rapport à la même période, soit + 1 %, indique l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France.
Autre constatation, le nombre d’appels au 15, dans le cadre de la régulation en amont des urgences, a lui aussi augmenté dans la régionpar rapport à la même période il y a un an.
Pour rappel, ce service d’accès au soins, appelé SAS, est mis en place depuis 2019, dans le cadre du pack de refondation des urgences. En Île-de-France, il a fait une apparition progressive à partir de 2022 et continue de monter en puissance, selon les dernières remontées de l’ARS régionale. Depuis début juillet, elle a constaté « une augmentation des appels au 15 de + 5 % en Île-de-France, soit en moyenne +2 945 appels en plus par semaine par rapport à 2024. Cette augmentation peut être corrélée au lancement de la campagne de communication nationale sur les bonnes pratiques à avoir en cas de besoins de soins non programmés ».
Cette augmentation est une bonne nouvelle, décrypte Agnès Ricard-Hibon : « Cela permet une orientation en amont vers la médecine ambulatoire et fait baisser l’activité des urgences », concède la médecin urgentiste, qui salue une « bonne coopération globale entre la médecine de ville et le 15 ».
Des sinistrés des canicules aux urgences
Qui dit été, dit désormais, presque immanquablement, jours de canicule, qui ont été nombreux cette saison. En Île-de-France, deux épisodes ont été enregistrés, avec une alerte rouge puis orange début juillet, et une alerte orange du 12 au 15 août. Des coups de chauds qui se sont traduit « par une augmentation des recours aux soins d’urgence pour les pathologies liées à la chaleur (hyperthermies, déshydratations, hyponatrémies) », retrace l’ARS.
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Agnès Ricard-Hibon détaille : « Cela va entraîner l’arrivée de deux types de patients. Ceux qui, comme les sportifs, subissent un coup de chaleur et se retrouvent en détresse vitale. Là, on est sur une mise en danger immédiate en cas de forte température. Et puis, quelques jours après les pics de chaleur, les décompensations liées à des pathologies chroniques ou à des publics plus fragiles comme les femmes enceintes, les bébés, les personnes âgées ».
Des gestions de crises que savent parfaitement traiter les urgences. « L’augmentation du public aux urgences n’est pas un problème en soi. On priorise, on diagnostique, on définit un traitement, et quand c’est nécessaire, on oriente vers l’hôpital ». C’est sur cette dernière étape que le bât blesse.
« On manque de lits d’aval »
En période estivale, la baisse d’effectifs hospitaliers créée des embouteillages. « On manque de lits d’aval d’urgences, ce qui nous oblige à maintenir des personnes qui devraient être hospitalisées dans les salles des urgences. Et on n’a plus la place d’accueillir de nouveaux patients », résume Agnès Ricard-Hibon. En Île-de-France, « des tensions ponctuelles ont été signalées dans certains établissements franciliens concernant la disponibilité des lits d’aval », fait savoir l’ARS à actu Paris. « Le département du Val-d’Oise notamment a connu des épisodes de tension marqués. Toutefois, ces situations sont restées maîtrisées et n’ont pas compromis la continuité des prises en charge », ajoute l’agence régionale.
Si la situation est restée globalement maîtrisée dans la région, les conséquences de ce blocage peuvent être gravissimes, rappelle Agnès Ricard-Hibon. « On sait que ça peut être fatal pour un patient fragile de plus de 75 ans qui passe une nuit sur un brancard. Le taux de mortalité est majoré de 40 %. On s’intéresse beaucoup à la mortalité en période de canicule, mais pas à celle liée à la stagnation dans les urgences ».
Épuisement professionnel
Face à ces situations d’embolie, le temps de travail des urgentistes a pu atteindre, dans certains services français, jusqu’à 90 heures supplémentaires par semaine. « L’AP-HP est un peu moins concerné par le sujet, grâce à leur vivier d’internes, donc ils sont un peu moins en difficulté, nuance Agnès Ricard-Hibon. Mais en grande couronne et dans quelques services de Seine-Saint-Denis, ce problème est réel. Cela conduit à un épuisement des équipes, qui sont souvent soumises à un chantage éthique et affectif. On ne veut pas mettre les équipes présentes en difficulté, donc on va combler les trous, repousser un départ au congé. »
Autre sujet de grogne : la rémunération. Contrairement au régime de droit commun qui valorise l’heure supplémentaire par rapport au taux horaire normal, les urgentistes sont payés au « temps de travail additionnel », nettement moins bien rémunéré. « Concrètement, il est inférieur taux horaire normal d’un jeune praticien », plante Agnès Ricard-Hibon.
Dans leur communiqué commun publié le 18 août 2025, le SUDF et l’AMUF interpellent le gouvernement Bayrou et dénoncent une politique qui « impose aux praticiens hospitaliers un nouveau paradigme : travailler toujours plus, au-delà du raisonnable, dans des conditions déplorables et inhumaines pour gagner moins ».
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