Symbole de puissance et de grandeur pour les nostalgiques du passé soviétique, l’URSS et ses symboles investissent de nouveau la société russe. Une tendance accentuée par la guerre en Ukraine et qui s’accompagne d’une réécriture de l’histoire et d’un effacement des crimes les plus sombres du communisme.

Station de métro Taganskaya au sud-est de Moscou. Le 15 mai dernier, un monument à la gloire de l’un des dictateurs les plus sanguinaires de ces derniers siècles refait surface. Une statue de Joseph Staline (1878-1953) située dans un couloir reliant deux lignes au pied de laquelle hommes, femmes et enfants viennent déposer des gerbes de fleurs. Une image qui a de quoi faire frémir en Europe occidentale mais qui, dans la Russie de 2025, tourne à la banalité. 

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Aux quatre coins du pays, des bustes du dirigeant communiste sont à nouveau érigés. Des produits dérivés à la gloire de l’ancienne Union soviétique s’arrachent comme des petits pains et le personnage de Tchebourachka, petit animal aux grands yeux noirs et aux grandes oreilles rondes né durant l’époque soviétique, est aujourd’hui utilisé comme arme de propagande de l’armée russe en Ukraine. Si l’URSS a officiellement disparu le 25 décembre 1991, elle est loin d’avoir quitté tous les esprits en Russie. En tout cas pas celui de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, abrorant, lors de son déplacement en Alaska pour le sommet Trump-Poutine le 15 août, un sweat-shirt portant l’inscription « CCCP », soit « URSS » en alphabet cyrillique. 

Une valorisation de tout ce qui renvoie à la grandeur de la Russie

Cette « soviéto-nostalgie », comme le nomme Carole Grimaud, enseignante à l’université Paul-Valéry de Montpellier et spécialiste de la Russie, ne date cependant pas d’hier. « C’est quelque chose qui a au moins 15 ans désormais. On a effectivement une montée d’une valorisation, dans les discours officiels, de l’époque soviétique dans son ensemble mais surtout de tout ce qui renvoie à l’idée de la grandeur de la Russie », confirme Anna Colin-Lebedev, maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris-Nanterre. Au point que Staline est régulièrement cité en premier à la question « Quel est le plus grand homme de tous les temps et de tous les peuples ? » devant… Vladimir Poutine. 

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L’actuel homme fort du Kremlin n’est pas étranger à cette tendance. Le président russe a largement contribué à attiser cette glorification du passé soviétique de son pays. En 2005, il déclarait même que l’effondrement de l’URSS était « la plus grande catastrophe du siècle ». De grandes différences idéologiques existent pourtant entre la Russie de Vladimir Poutine et celle de l’époque soviétique. Mais l’URSS renvoie au maître du Kremlin une image qui lui est chère : celle d’une Russie forte, puissante, crainte et dotée d’une place importante sur la scène internationale. « L’influence, la peur et le respect qu’elle inspirait, la victoire dans la Seconde Guerre mondiale qui, en Russie, est attribuée à l’URSS et où l’on minimise le rôle des autres alliés… », énumère Anna Colin-Lebedev. 

Le contexte de la guerre en Ukraine

Pour Moscou, cette sacralisation d’un glorieux passé est aussi une manière de masquer ses propres échecs. « Aujourd’hui, il n’y a pas de projet positif d’avenir en Russie autre que la confrontation avec l’Occident. Il n’y a pas d’image de la Russie de demain, mais uniquement celle de la Russie soviétique d’hier. C’est une sorte de réaction à ce que la Russie n’a pas réussi à faire : construire un pays prospère, avec un certain niveau de développement », poursuit la spécialiste. 

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Pour Carole Grimaud, les sanctions occidentales dirigées contre Moscou ont également contribué à accentuer cette tendance. « Comme les sanctions ont bloqué tous les produits étrangers, le Russe moyen, qui s’équipait avec des marques étrangères, ne le peut plus. Une forme de nationalisme économique s’est donc développé et s’accompagne d’un retour à une période – celle de l’URSS – où le pays n’importait rien de l’étranger ».

Et le contexte de la guerre en Ukraine, dont la responsabilité est imputée à l’Otan par Vladimir Poutine, est indéniablement un catalyseur de cette nostalgie du passé glorieux. « Plus l’idéologie que le pouvoir met en place porte sur la conflictualité avec l’Occident, l’influence internationale, la confrontation, plus on va valoriser l’Union soviétique », explique Anna Colin-Lebedev. 

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Histoire réécrite

Néanmoins, impossible d’y parvenir sans procéder à une intense réécriture de l’histoire. « Il a fallu passer sous le tapis tous les crimes commis sous l’URSS et tous les crimes du communisme. On passe sous silence les purges de Staline et la révolution bolchévique de 1917 est complètement réécrite. Même chose pour la décennie noire post-URSS, on n’en parle plus. Tout est extrêmement encadré sur cette période-là », remarque Carole Grimaud. Les manuels d’histoire sont révisés en profondeur pour gommer toute critique à l’endroit de l’ex-Union soviétique et y supprimer les pages sombres pour n’en garder que les dimensions positives. « Derrière tout cela, il y a l’idée, non pas de dire que les répressions n’ont pas existé, mais que la grandeur a un coût. Certes, il y avait des victimes humaines, mais ce n’est pas grave car nous avions la grandeur. C’est ce message qui est véhiculé », poursuit Anna Colin-Lebedev.

Auprès de la population, ce message n’a pas de réelles difficultés à infuser. « Les gens connaissent très mal leur histoire. Le niveau d’éducation ne cesse de baisser et les historiens sont muselés », indique l’experte. En Russie, il n’est pas rare que les familles méconnaissent également leur propre histoire et n’aient donc jamais eu vent des crimes dont leurs aïeux ont pu être victime à l’époque soviétique. Quant à l’opinion publique, elle est assez difficile à cerner. « Les Russes savent très bien que pour continuer à vivre leur vie, ils ont besoin d’adhérer et de donner la bonne réponse à toutes les questions qu’on leur pose. Il est donc très difficile de faire la distinction entre conviction et adaptation ». Dans le contexte actuel, il est donc préférable de ne pas clamer haut et fort son antipathie pour le passé soviétique de la Russie.