Qui se soucie des Afghans et des Afghanes ? À l’heure où le fracas des bombes résonne, le silence imposé par les talibans à leur peuple n’assourdit plus personne ou presque par ici. Plus de musique, plus de poésie, plus de chant, et pour les femmes, la chape est plus lourde encore : plus de parole en public, plus de voix donc, plus de visage non plus, plus de corps dans l’espace… Cela fait quatre ans maintenant que les talibans ont repris Kaboul et le pays tout entier. Et les femmes disparaissent. “Une grande prison pour femme” disait il y a quelques jours au micro de France Inter l’écrivaine et journaliste Mursal Sayas.
Pourtant, les photographies de Sandra Calligaro parviennent à capter la vie qui s’immisce, la vie qui résiste derrière les rideaux et les fenêtres occultées. L’Afghanistan, elle y travaille depuis près de 20 ans maintenant. Elle l’a vu espérer, puis se refermer. Son travail est exposé au Festival Visa pour l’Image en ce moment.
Arrivée en Afghanistan à 25 ans, avec l’intention de devenir reporter de guerre et de vivre la “grande aventure”, Sandra Calligaro se tourne finalement vers celles et ceux qui tentent d’exister au cœur d’une situation conflictuelle complexe. Souhaitant que ses photographies soient “vraiment regardées”, elle se refuse à la facilité de montrer “la violence du chaos et de la pauvreté”, arguant que “pour toucher un public, il faut qu’il puisse s’apparenter” et que “ce n’est pas avec de l’ultraviolence qu’on se reconnaît dans une image.”
Le 15 août 2021, les talibans prennent Kaboul et instaurent un régime autocratique. Arrivée sur place quelques semaines plus tard, Sandra Calligaro décrit “le calme et la sidération” dans laquelle la capitale était plongée. Elle raconte : “On savait que les talibans allaient finir par revenir, mais on s’était presque habitués à cette menace, et d’un coup, ils étaient là et on n’était pas préparés. […] Les talibans qu’on essayait de photographier depuis dix ans, mais sans succès parce qu’ils se cachaient, étaient là. On était ahuris, abasourdis.”
Sandra Calligaro fait donc le portrait de jeunes talibans, figures de ce bouleversement politique. Pour la série « Afghanistan : à l’ombre des drapeaux blancs », elle photographie aussi ce qu’il se passe à l’abri du regard, là où les femmes sont calfeutrées et tentent de continuer à vivre malgré tout. “Toutes les jeunes filles que j’ai photographiées voulaient qu’on montre leur réalité, qu’on ne les oublie pas tout à fait et qu’on puisse continuer à parler d’elles.”
Plus d’informations
- L’exposition « Afghanistan : À l’ombre des drapeaux blancs » est présentée du 30 août au 14 septembre à l’Hôtel Pams dans le cadre du Festival Visa pour l’Image à Perpignan. La série a été récompensée du prix Françoise Demulder en 2024.
- Sandra Calligaro participera à la table ronde “Raconter le monde en mutation – nouveaux regards” à la Maison Européenne de la Photographie, le 18 septembre.
Extraits sonores
- Marie-Laure de Decker sur les images sanglantes et la morale du photographe, dans L’humeur vagabonde sur France Inter en 2004
- La chanson de fin : Zahra Elham « Tu Saba Mori »