Il y a comme un air de Provence dans la capitale girondine. Cet été, il n’était pas rare d’entendre le chant des cigales en plein centre-ville de Bordeaux, bien plus fréquemment que d’habitude, lors des journées ensoleillées. Ce « ksss-ksss-ksss-ksss » si caractéristique du sud de la France, associé aux paysages méditerranéens, n’est pas pour déplaire aux nombreux vacanciers et mêmes aux Bordelais. « C’est vrai qu’on se croirait en vacances dans le Sud-Est, on en entend énormément cette année. Je n’avais pas le souvenir d’en entendre autant les étés précédents », assure Jules, habitant de la rive droite bordelaise depuis cinq ans.

Parmi la vingtaine d’espèces de cigales, la plus connue est la cicada orni. C’est elle que l’on entend, quand les autres sont inaudibles pour l’oreille humaine. Cet insecte, historiquement implanté dans le Midi de la France, se développe dans un climat subméditerranéen, allant du Sud-Est au Sud-Ouest. « Leur présence à Bordeaux remonte au début du XXe siècle. Le climat y est adapté et la Gironde est une aire naturelle pour elles », explique Stéphane Puissant, entomologiste et cicadologue au Museum national d’histoire naturelle. Rien de bien nouveau sous le soleil donc. Mais alors pourquoi les entend-on plus fréquemment en centre-ville ?

Réchauffement climatique ?

Il suffit de se promener au Jardin public, au Parc bordelais, sous les allées de platanes ou même sur les quais pour le constater. Elles sont bien plus nombreuses cette année, avec un pic perçu entre mi-juillet et mi-août. « C’est agréable, mais ça m’inquiète un peu. J’imagine que c’est lié au réchauffement climatique avec des températures estivales toujours plus élevées qui favorisent leur nombre ? » s’interroge plutôt Sophie, une quadragénaire en vacances à Bordeaux.

« Les cigales aiment bien les platanes, exposés à la lumière. S’il y a ces arbres avec de la terre autour, c’est un terrain favorable à leur reproduction. »

« Pour l’instant, on ne peut pas affirmer qu’il y a un lien avec le réchauffement climatique. On manque encore de recul car les cigales ont des cycles de développements très longs », tempère Stéphane Puissant. « Malgré leurs ailes, les cigales se déplacent très peu. Leur population reste souvent au même endroit sur plusieurs générations, presque figée et protégée des éléments extérieurs, car elles vivent sous terre la majeure partie de leur existence. Généralement, elles vivent entre deux à cinq ans dans le sol avant de sortir. Et pour certains individus, cela peut aller jusqu’à dix ans », précise-t-il.

Quels facteurs ?

Une fois sorti de terre, le mâle va réaliser sa mue et se transformer en adulte pour produire du son grâce à ses cymbales (membranes situées sur l’abdomen), afin d’attirer une femelle. Cela ne dure qu’une à six semaines, le temps de trouver une partenaire. Le mâle meurt rapidement après la reproduction. Les femelles, qui ne produisent aucun bruit, déposent ensuite les œufs dans des branches d’arbres ou d’arbustes, plutôt sèches. Ces œufs vont éclore en larve sur le support végétal, pour se laisser ensuite tomber par terre, s’enfoncer dans le sol et commencer leur vie.

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« Si la jeune cigale tombe sur du béton, comme c’est souvent le cas en ville : pas de chance, elle meurt. Mais si elle tombe sur de la terre, elle va pouvoir s’y enfoncer et se nourrir de la sève des racines », poursuit le biologiste. Voilà une explication qui pourrait fournir une hypothèse sur la présence accentuée des cigales en centre-ville de Bordeaux. Le contour des arbres y est bien moins bétonné qu’il y a vingt ans. « Les cigales aiment bien les platanes, exposés à la lumière. S’il y a ces arbres avec de la terre autour, c’est un terrain favorable à leur reproduction. »

Les étés plus chauds, plus longs et les hivers plus doux facilitent leur développement

Mais ce n’est pas la seule explication. Les étés plus chauds, plus longs et les hivers plus doux facilitent leur développement. Leur nombre peut aussi s’expliquer par un cycle tout simplement plus favorable cette année. Si les conditions de température et d’humidité des sols sont bonnes, couplées à une année où beaucoup sortent en même temps de terre, souvent tous les quatre à cinq ans, alors il y en aura plus que d’habitude. Et les étés bordelais se transforment ainsi en étés provençaux.

Pas nuisible à la biodiversité
La cicada orni n’est pas une espèce dangereuse pour la biodiversité. Si elle se nourrit de la sève dans les racines des arbres et des arbustes, elle n’affaiblit pas pour autant ces derniers, en raison d’une faible quantité ingérée. À l’inverse, leur abondance estivale nourrit oiseaux, reptiles ou chauves-souris et leurs mues enrichissent le sol : elles jouent un rôle naturel dans l’équilibre de la biodiversité, comme maillon de la chaîne alimentaire. Une carte interactive permet de les recenser sur cigales.gogocarto.fr/map