1. Un ballet diplomatique à prendre au sérieux ?
Un tête-à-tête éclair entre Donald Trump et Vladimir Poutine sur une base militaire en Alaska (États-Unis) le 15 août, Volodymyr Zelensky accompagné du président français, du chancelier allemand, des Premiers ministres britannique et italien, à la Maison-Blanche trois jours plus tard… Ces séquences spectaculaires devant les caméras du monde ne suffisent pas à faire une bonne diplomatie. Sur le réseau social X, l’ex-ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, se fait critique : «La diplomatie sans réunions préparatoires, sans questions précises à résoudre, sans communiqué agréé, sans relevé de décisions, conduit le plus souvent à un vain bavardage source de tous les malentendus.»
Pour l’heure, tout se passe comme si les principaux dirigeants mondiaux voulaient donner le change, flatter et convaincre de leur bonne foi un président américain plus narcissique que jamais qui, après avoir caressé l’espoir d’un Nobel de la paix, avoue désormais miser sur ses efforts pour mettre fin au conflit russo- ukrainien afin d’« aller au paradis si possible »… Depuis ces réunions au sommet, largement improvisées, le scepticisme gagne. Car Moscou continue à réclamer une Ukraine désarmée. Les Européens s’inquiètent d’une paix trop favorable à la Russie (gains territoriaux), ce qui constituerait une prime à l’agresseur et un encouragement à de futures guerres de conquête. Donald Trump s’agace de ne pas voir les autres se plier à sa volonté et menace de se retirer du processus. Et les Ukrainiens réclament aux Occidentaux des assurances pour leur sécurité future.
2. Les «garanties de sécurité» pour l’Ukraine, c’est quoi ?
Dans le cadre d’un futur plan de paix, Kiev demande des garanties. Idéalement, ce serait une adhésion à l’Otan, l’alliance militaire occidentale. Mais Trump y est opposé : ce serait une «provocation» pour Moscou. Trois types d’assurances pourraient être données à l’Ukraine : d’abord un renforcement de son armée en matériel et munitions, ensuite une implication américaine qui reste à préciser dans l’espace aérien (surveillance et renseignement), enfin l’envoi de soldats de pays européens qui seraient stationnés en Ukraine, plus symbolique que dissuasif.
Car, pour être efficaces, a prévenu le colonel André Wüstner, un officier allemand, il faudrait que les trois grands européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) puissent déployer 10 000 hommes chacun. Quasi impossible dans l’état actuel des troupes, en sous-effectif et en sous-équipement. Trump a exclu toute présence américaine au sol. De son côté, Moscou met son veto à toute présence occidentale militaire en Ukraine dont elle continue à réclamer la démilitarisation.
3. Poutine veut-il aujourd’hui la paix ?
La semaine dernière, son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a rappelé les lignes rouges du Kremlin: il n’y aura pas d' »accord à long terme » sans le respect des « intérêts de sécurité de la Russie » et le « plein respect des droits des russophones qui vivent en Ukraine ». Des conditions assez vagues pour justifier tout blocage. Surtout, la Russie de Poutine qui a légitimé sa guerre contre l’Ukraine, «la petite Russie» comme on dit à Moscou, en niant son droit à l’existence comme nation indépendante, n’a pas, selon les Européens, changé d’objectif ultime: la vassalisation de son voisin.
Poutine est «un prédateur, un ogre à nos portes» qui «a besoin de continuer à manger» pour «sa propre survie», a jugé Emmanuel Macron à l’issue du sommet de Washington. Pour le président finlandais Alexander Stubb, «Poutine est rarement digne de confiance». Derrière l’apparente ouverture diplomatique, le dirigeant russe resterait plus intéressé «à diviser l’Occident qu’à trouver un accord», estime Nate Reynolds, expert sur la Russie au Carnegie Endowment for International Peace. Le but serait d’obtenir un retrait de l’Amérique du dossier ukrainien, à défaut d’accord avec ses alliés européens.
5. Volodymyr Zelensky peut-il tenir ?
Au pouvoir depuis six ans, le président ukrainien paraît épuisé, nerveusement et physiquement, comme en témoignent ses tics, son débit saccadé et ses traits tirés. L’union sacrée contre l’envahisseur qu’il a su incarner tient toujours.
Mais cela n’empêche ni les contestations, comme l’a montré, le mois dernier, la mobilisation des Ukrainiens contre sa décision de restreindre la lutte anti- corruption, ni les critiques sur sa conduite des affaires militaires, comme celles entendues l’an dernier lorsque le chef de l’État a démis de ses fonctions à la tête de l’armée le très populaire général Valeri Zaloujny, désormais ambassadeur à Londres (Royaume-Uni).
4. Donald Trump peut-il malgré tout réussir son pari de la paix ?
Dans les dossiers compliqués dont les détails l’ennuient, le président américain, qui promettait lors de sa campagne électorale « la paix en vingt-quatre heures », mise sur une approche personnelle et instinctive. Il s’est convaincu, comme il l’a confié à Emmanuel Macron, que Poutine veut sérieusement trouver un accord « pour, si fou que ça semble, lui [faire plaisir] ». L’avenir dira si ce cocktail de crédulité, d’optimisme et de naïveté peut prévaloir sur le scepticisme, notamment européen. Certes, les arguments rationnels militent pour un arrêt des combats en Ukraine : le nombre de victimes est effrayant (250 000 soldats russes morts, soit quinze fois plus que pendant la décennie de guerre en Afghanistan entre 1979 et 1989, 700 000 blessés, selon les estimations britanniques) ; l’économie russe s’est mise au service de la guerre avec un coût colossal ; le Kremlin qui avait promis que ses chars défileraient à Kiev après trois jours de combats s’est heurté à un patriotisme ukrainien sous-estimé.
L’Ukraine, de son côté, sait qu’elle n’a pas les moyens militaires de reconquérir les territoires perdus et que son seul horizon réaliste est de tenir la ligne de front, quoiqu’au prix de pertes considérables (60 000 à 100 000 soldats morts). Mais, à la veille de l’invasion russe de février 2022, les experts faisaient aussi assaut de logique afin d’expliquer que jamais Poutine ne se lancerait dans une aventure si folle. « Je ne pense pas possible un accord de paix dans un futur proche », évalue John Bolton, qui fut conseiller à la sécurité de Trump durant son premier mandat. Seule certitude, c’est le maître du Kremlin qui décidera en son heure quand mettre un terme à la guerre.
6. Les Européens, partenaires ou simples figurants ?
La photo fait mal. Ce 18 août, derrière son bureau à la Maison-Blanche, le président américain surplombe les dirigeants européens alignés en face sur leur siège tels des mauvais élèves réprimandés par un principal de collège. On était loin de «l’Europe puissance» promise par Emmanuel Macron depuis son élection. Terrifiés à l’idée que Washington coupe tout approvisionnement militaire à Kiev ou lui impose par le chantage un plan de paix léonin, les Européens multiplient les concessions à Donald Trump. Ils ont entériné, au sommet de l’Otan, en juin, l’augmentation de leurs budgets militaires (réclamée par Washington), puis ont consenti à l’imposition de droits de douane américains de 15 %. Pour obtenir quoi ? L’indication vague que les États-Unis « se coordonneraient » avec eux pour assurer la protection de l’Ukraine.
Mais Donald Trump a été clair : fini le temps des livraisons gratuites d’armes américaines à l’Ukraine, « c’est l’Otan qui paiera » la facture, c’est-à-dire largement le Vieux Continent. En réalité, « ce sommet a révélé des failles dans le consensus transatlantique et pose une question plus profonde, estime Chris Kremidas-Courtney, chercheuse au European Policy Centre : l’ordre international jusqu’alors fondé sur des règles va-t-il être reformaté par la coercition ou réaffirmé avec clarté et courage ? » Il n’est pas sûr que les Européens puissent encore défendre un modèle régi par le droit et le compromis face à une Amérique et une Russie qui n’ont pas peur d’imposer leurs vues par, à des degrés divers, la force brutale de la loi du plus fort.
7. Et pendant ce temps, sur le front…
Quelques heures avant le sommet de Washington, les villes ukrainiennes de Kharkiv, Zaporijjia et Soumy ont été prises pour cible par l’armée russe ; des frappes contre des civils jugées «démonstratives et cyniques» par Zelensky. Moscou entend rappeler sa puissance de feu et sa capacité à semer la terreur pour peser.
Trois jours plus tard, c’était le tour de cités dans l’ouest de l’Ukraine, loin des combats, d’être bombardées par 574 drones et 40 missiles. Le mois dernier, la Russie a lancé plus de 6000 drones et 198 missiles sur son voisin. Sur le front, le grignotage russe se poursuit mais les lignes fortifiées ukrainiennes dans l’ouest du Donetsk autour des villes de Sloviansk, Kramatorsk et Kostiantynivka tiennent. Kiev prévient qu’une offensive russe majeure est en préparation au sud.