Un dégoût prononcé pour une texture, une couleur ou encore une peur phobique de s’alimenter… Autant de symptômes caractérisant l’arfid, un trouble alimentaire encore peu connu, touchant aussi bien les enfants que les adultes. Explications avec une professionnelle de santé.

Rebelote : à la simple vue d’une tomate ou d’un haricot vert, c’est la crise à table. Si cette scène est un rite de passage pour de nombreux parents, certains enfants manifestent une véritable aversion pour la nourriture : des réactions dictées par une peur phobique de s’alimenter, un rejet prononcé de la texture, de la couleur ou de l’odeur de certains aliments, ou encore, un désintérêt total… Ces résistances pourraient en réalité révéler un trouble alimentaire encore peu connu : «L’arfid, ou Avoidant Restrictive Food Intake Disorder, traduit en français par “trouble alimentaire évitant et restrictif”, est un trouble pédiatrique relativement récent, reconnu dans les classifications officielles des troubles mentaux en 2013», précise Véronique Abadie, professeure au service de pédiatrie générale et maladies infectieuses de l’Hôpital Universitaire Necker-Enfants à Paris, et responsable du Centre de référence pour les maladies rares, telles que les syndromes de Pierre Robin et les troubles de succion-déglutition congénitaux. «Il demeure largement méconnu, même parmi les professionnels de santé», souligne la spécialiste. Explications.

Des profils différents

L’arfid n’est pas à confondre avec la néophobie alimentaire, une phase dictée par la peur de la nouveauté, normale dans le développement d’un enfant âgé entre 2 et 5 ans : «Cette réticence à essayer de nouveaux aliments est flexible. Avec le temps, l’enfant s’habitue à goûter de nouvelles choses, surtout si elles sont introduites progressivement et de manière ludique», détaille Véronique Abadie.


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L’ARFID, de son côté, se distingue par des symptômes plus sévères, aux différentes variantes : «L’arfid se décline en trois profils. Le profil sensoriel est le plus fréquent. Il concerne un dégoût marqué pour une texture, une couleur ou un type d’aliment spécifique, ce qui conduit à une restriction importante des choix alimentaires», débute la spécialiste. Résultat ? Les enfants mangent en quantité, mais plantent leur fourchette uniquement dans une variété d’aliments très limitée. «Cela peut passer inaperçu, car leur courbe de croissance reste dans la norme».

Le deuxième profil concerne les individus manifestant un manque d’intérêt profond pour l’alimentation : «Ils mangent peu ou ne se préoccupent pas particulièrement de la nourriture». Enfin, le troisième profil s’illustre par une peur intense de la nourriture, où la simple idée de manger suffit à générer une anxiété physique : «La crainte de vomir ou de s’étouffer en mangeant est souvent liée à un traumatisme», précise Véronique Abadie.

L’ARFID, un trouble génétique et environnemental

À l’image de nombreux troubles comportementaux et psychiatriques, l’arfid est le résultat d’une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. «Cela signifie qu’il existe une prédisposition innée, souvent héritée, associée à un tempérament particulier», précise Véronique Abadie. Cette pathologie a donc une composante génétique marquée : «Souvent, les parents rapportent avoir eu eux-mêmes des préférences alimentaires très limitées pendant leur enfance, comme manger uniquement des pâtes ou refuser certains aliments comme le fromage ou les légumes», observe la spécialiste. Un terrain génétique glissant pour un enfant. Ce n’est pas tout : l’ARFID peut également se manifester suite à un traumatisme, à l’instar d’une maladie grave dans l’enfance, des épisodes répétés de vomissements, un étouffement ou encore des douleurs abdominales fréquentes.

Des critères de diagnostic bien précis

Une forte aversion pour les légumes ne suffit pas pour identifier l’arfid. Pour poser un diagnostic, un enfant doit remplir au moins trois sur quatre critères spécifiques. «Il doit soit y avoir un impact sur sa croissance, soit un déficit nutritionnel», débute la spécialiste. Les conséquences de carences en micronutriments, notamment chez les enfants refusant de manger des aliments essentiels à une bonne santé, à l’instar des fruits et des légumes. «Le troisième critère s’applique aux cas les plus graves, contraints de dépendre de compléments alimentaires ou d’une assistance nutritionnelle». Le dernier critère concerne pour sa part l’impact de cette sélectivité alimentaire sur la vie sociale du patient : «Cela peut se traduire par une difficulté à déjeuner à la cantine ou à prendre un repas en dehors de la maison». De quoi entraîner un stress important chez les parents.

Si l’arfid est suspecté, consulter un pédiatre ou un médecin traitant pour réaliser un suivi diététique est crucial pour évaluer d’éventuelles carences en micronutriments, comme le fer, ou les vitamines B12, C, A et D. «La prise en charge de l’arfid peut commencer dès le plus jeune âge. Elle inclut souvent des thérapies psychomotrices pour désensibiliser l’enfant aux aliments, et des psychothérapies cognitivo-comportementales pour traiter les phobies alimentaires», détaille Véronique Abadie. Des thérapies se concentrant sur des techniques de renforcement positif, où, dans un cadre ludique, l’enfant est encouragé à goûter de nouveaux aliments.


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«Pour certains, l’arfid persiste à l’âge adulte. Cependant, il est fréquent que les symptômes s’atténuent avec l’âge, surtout lorsque la personne trouve un équilibre alimentaire ou apprend à s’adapter aux exigences sociales, comme lors de la vie en couple. En revanche, chez les arfid avec des troubles neurodéveloppementaux, comme l’autisme, le trouble peut persister plus longtemps», souligne Véronique Abadie.

Cercle vicieux

Et à la maison ? Si voir son enfant refuser de se nourrir correctement est une véritable source d’angoisse pour les parents, adopter un comportement hyper-adaptif ne constitue pas une solution viable sur le long terme. «Les enfants arfid présentent souvent un tempérament hypersensible, notamment sur le plan sensoriel. Ils peuvent ne pas supporter que les aliments se touchent dans leur assiette et provoquer une crise. Cela peut être très impressionnant pour les parents, qui finissent par céder». Une adaptation excessive à éviter au risque de maintenir un cercle vicieux, où les enfants deviennent de plus en plus sélectifs dans leurs choix alimentaires. «Les parents de ces enfants ont souvent un tempérament anxieux et sont parfois fragiles dans leur sécurité éducative. Ce manque de solidité dans leur parentalité rend difficile l’initiation de nouvelles habitudes alimentaires», souligne la spécialiste.

La solution ? En plus d’un accompagnement médical, élargir progressivement les propositions alimentaires «sans forcer» son enfant est une étape inévitable. De plus, la prévention de ce trouble alimentaire peut débuter très tôt, notamment en adoptant la méthode de Diversification Menée par l’Enfant dès le plus jeune âge : «Il faut laisser l’enfant explorer la nourriture à son propre rythme, en touchant et goûtant différents aliments de façon autonome», conclut Véronique Abadie. Tout cela depuis sa chaise haute, pendant que le reste de la famille mange à côté.