L’actualité des terres rares illustre un rapport de force mondial. En quelques jours, le prix de l’oxyde de néodyme-praséodyme a bondi, à la suite d’un choc d’offre ; Washington a agité la menace de 200 % de droits de douane sur les aimants ; Pékin a renforcé son contrôle du secteur ; Bruxelles, enfin, est rappelée à sa dépendance. Ce faisceau d’événements rebat les cartes : l’Union européenne, gros importateur de terres rares, doit gérer l’urgence des importations tout en préparant une souveraineté plus durable.

Terres rares et importations : qui tient la dépendance de l’Union européenne ?

L’Union européenne achète l’essentiel de ses terres rares à l’étranger, et la Chine pèse lourd. En 2024, selon des chiffres d’Eurostat relayés fin août, l’UE a importé 5 984 tonnes de terres rares depuis la Chine, 3 676 t depuis la Russie et 2 579 t depuis la Malaisie, le reste étant réparti entre le Japon, le Royaume-Uni, le Vietnam, les États-Unis et la Norvège. Cette concentration crée un risque manifeste pour les importations : à tout moment, une décision administrative, un quota ou une controverse politique peut gripper le flux. À l’échelle de l’UE, un garde-fou a été fixé : éviter qu’une matière critique dépasse 65 % de dépendance vis-à-vis d’un seul pays tiers, afin de réduire l’exposition stratégique des filières basées sur les terres rares.

Mais la faiblesse européenne ne tient pas qu’aux tonnages d’importations. Elle tient à la structure même de la chaîne de valeur des terres rares. La Chine concentre environ 90 % des capacités mondiales de raffinage et près de 70 % de la production minière ; autrement dit, elle maîtrise le passage obligé entre le minerai et l’aimant. Fin août, la décision de l’américain MP Materials d’arrêter ses envois vers la Chine a retiré 7–9 % de l’offre d’oxydes alimentant les usines chinoises. Dans la foulée, le prix de l’oxyde de NdPr a grimpé d’environ 63 à 88 dollars/kg, un plus haut de plus de deux ans. Cette mécanique montre une chose simple : tant que l’Union européenne dépendra de cette chaîne dominée par Pékin, ses importations de terres rares resteront soumises à un risque-prix difficile à couvrir.

Terres rares et Chine : instruments de puissance, chocs de prix et diplomatie d’influence

Le dossier terres rares n’est pas qu’industriel ; il est politique. La Chine a récemment resserré son contrôle sur l’extraction, la transformation et le commerce des terres rares via de nouvelles règles, y compris pour les matières importées. Ces mesures, qui s’ajoutent à un système de quotas déjà strict, rendent l’accès plus incertain pour les clients étrangers et, par ricochet, pour les importations de l’Union européenne. Parallèlement, les flux finaux restent volatils : en juillet 2025, les exportations d’aimants en terres rares de la Chine vers les États-Unis ont bondi de 75,5 % sur un mois pour atteindre 619 tonnes, dans un contexte de réouverture partielle des vannes et d’ajustements de licences. Au total, les exportations chinoises d’aimants ont atteint 5 577 t en juillet, un plus haut de six mois. Cette plasticité des flux est une démonstration de puissance : elle permet à Pékin d’influer rapidement sur les signaux de prix et de disponibilité.

En face, Washington joue la confrontation et l’incitation. Le 25 août, Donald Trump a déclaré : « la Chine doit fournir des aimants aux États-Unis, sinon nous devrons appliquer 200 % de droits de douane ». Cette rhétorique coercitive s’accompagne d’argent public : 400 millions de dollars pour MP Materials, des contrats d’achat et même un prix plancher pour sécuriser la relance américaine de la chaîne des terres rares. « Il nous faut un projet Manhattan pour les terres rares », résume Joshua Ballard (USA Rare Earth). Pour l’Union européenne, l’équation est double : absorber l’effet prix à court terme sur ses importations, et éviter, à moyen terme, que l’Amérique ne siphonne les investissements et les talents dont l’industrie européenne des terres rares aurait besoin.

Terres rares en France : les gisements et le recyclage au cœur des politiques de l’Union européenne

La France n’est pas absente de la carte des terres rares. Des indices géologiques existent en Bretagne, dans le Massif central ou encore dans les Monts d’Ambazac. Cependant, ils ne sont pas exploités aujourd’hui. Les arbitrages politiques ont privilégié, jusqu’ici, l’acceptabilité environnementale et le principe de précaution. Par voie de conséquence, la stratégie française s’aligne sur une priorité européenne : développer une filière de recyclage des aimants et des composants contenant des terres rares, afin de réduire la vulnérabilité des importations. Cette voie prend du temps, et peut être prise au détriment de progrès techniques et de formation humaine dans l’exploitation des terres rares. Dans l’intervalle, une part décisive des besoins de l’Union européenne en terres rares reste assurée par la Chine, ce qui pèse sur les marges des fabricants européens lorsque les prix s’emballent.

Cet arbitrage ne dispense pas d’avoir une vision de puissance, et la géopolitique des terres rares le rappelle brutalement. Pékin ajuste ses règles et ses quotas, les États-Unis financent leur souveraineté industrielle, les prix réagissent quasi en temps réel, et l’Union européenne doit décider vite. À court terme, sécuriser les importations par des contrats d’offtake, des stockages ciblés et une diplomatie des ressources. À moyen terme, pousser fermement la séparation, l’aimantation et le recyclage sur le sol européen. À long terme, accepter qu’une extraction responsable de terres rares puisse exister en Europe lorsque les garanties environnementales et sociales sont réunies. Faute de quoi, la promesse d’autonomie stratégique demeurera fragile, et les cycles de prix continueront d’imposer leur politique aux politiques.