Analyse avec l’économiste Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), enseignant à SciencesPo Paris.
La France est-elle « au bord du surendettement » et fait-elle face à un « danger immédiat » avec le risque d’une « perte de souveraineté », comme le dit François Bayrou ?
La situation n’est pas bonne, les finances publiques sont incroyablement déséquilibrées, on a des déficits de crise alors qu’on n’est pas en période de crise. Mais on n’est pas au bord de la faillite, le FMI n’est pas aux portes de la France.
On arrive d’ailleurs à trouver très facilement de l’argent. Par exemple, quand on va sur les marchés financiers pour emprunter 20 milliards sur dix ans parce qu’on a de la dette, on reçoit 60 milliards de propositions.
Ce qui a changé, c’est que dans les années 2020-2021, on levait de l’argent à 0 % (à 10 ans). Maintenant, on a un taux d’emprunt de 3,5 %, alors que le taux normal est de 3 %. Emprunter coûte donc plus cher.
La situation est délicate, mais ce n’est pas cela le surendettement. Ils se trompent complètement. On ne peut pas faire le parallèle ainsi avec un ménage ou une entreprise. On apprend ça en première année d’économie : l’État n’est ni un ménage, ni une entreprise.
Le Premier ministre fait aussi la comparaison avec la Grèce de Tsipras, alors que son taux d’intérêt était de 37 %. Il fait référence à l’Italie ou à l’Espagne pendant la crise des dettes souveraines, alors que les taux étaient montés à 7 % et le FMI n’est pas venu. Il parle du Royaume-Uni, aujourd’hui, ils sont à 4,5 %.
Donc, tout ça, c’est s’amuser à se faire peur. Je ne dis pas que le problème n’existe pas. Je dis qu’il l’exagère complètement.
Il y a une dérive qu’il va falloir arrêter, on a une poussée de fièvre, il faut juste se soigner, mais on ne va pas mourir, on n’est pas en danger de mort.
La dette de la France est-elle la pire de la zone euro comme l’affirme le Premier ministre ?
Non, ce n’est pas vrai. L’Italie, la troisième puissance, est endettée au-delà de nous. La Grèce aussi.
Notre dette publique est de 3 300 milliards d’euros, cela représente 113 points de PIB (produit intérieur brut). On est trop endettés. Mais ne raisonner qu’en dette brute, c’est fermer un œil. Ce qui est important, c’est la nature de la dette Si on s’endette pour payer du fonctionnement, ce n’est pas bien.
Mais est-ce qu’il y a des actifs en face ? Est-ce qu’on a investi ? Et ce que nous dit l’Insee, c’est qu’il y a plus d’actifs que de passifs dans les administrations publiques en France.
Quand François Bayrou dit qu’on va laisser 3 000 milliards de dettes aux générations futures, oui, mais on va leur laisser aussi 3 700 milliards d’actifs. Il y a des actifs financiers : stocks d’or, participations de l’État dans des entreprises privées, type Orange, EDF, des entreprises publiques.
Et il y a les actifs non financiers. Le patrimoine historique (la Tour Eiffel, la Joconde, l’Élysée…) n’est pas pris en compte, car on considère qu’il n’est pas vendable. Mais il y a de l’immobilier, des routes…
L’économiste Eric Heyer
MAXPPP – DELPHINE GOLDSZTEJN
Bayrou dit que chaque Français est endetté à hauteur de 54 000 euros quand il nait, c’est partiellement juste. Chaque Français, quand il vient au monde, hérite de la dette, mais aussi de 24 000 euros d’actifs financiers et de 41 000 euros d’actifs non financiers. Chaque Français naît donc avec 10 782 euros exactement, en positif.
Parler de faillite, c’est donc complètement ridicule.
La chute du gouvernement Bayrou conduirait-elle à un emballement du coût de la dette française ?
Les taux d’intérêt peuvent augmenter. Si on était vertueux comme les Allemands, on devrait avoir le même taux. L’écart était aux alentours de 0,5 avant la dissolution, qui a coûté 0,2 point. Depuis l’annonce, lundi, du vote de confiance, on a encore un peu augmenté. Il y aura une hausse de taux, mais je ne parlerai pas d’emballement. Cela va peser progressivement, c’est un nœud coulant.
La situation a donc été aggravée par les décisions politiques ?
Oui et pour guérir il faut rassurer. Quand vous entendez régulièrement votre premier ministre dire « c’est la catastrophe, la faillite », quelle est votre réaction en tant que chef d’entreprise ? Vous reportez vos projets, vous investissez moins. Les Français se disent que le modèle social est mort, qu’ils n’auront pas de retraite, qu’on va encore réduire l’assurance chômage, donc ils épargnent.
La chute du gouvernement augmenterait l’incertitude. Cela veut dire moins de consommation, de commandes pour les entreprises, donc moins d’emplois, d’investissements, de recettes publiques et de points de croissance, alors qu’on n’en a pas beaucoup. C’est ennuyeux, mais ce n’est pas la récession, ce n’est pas fin du monde.
Mais cela va impacter concrètement le quotidien des Français.
Quand le chômage augmente, normalement, ça a une incidence sur le pouvoir d’achat des ménages. Directement, pour ceux qui sont au chômage. Mais aussi indirectement pour les autres, parce que le rapport de force s’inverse en faveur des chefs d’entreprise. Quand le chômage baisse, il y a des difficultés de recrutement, pour garder tes salariés, pour embaucher, tu augmentes les salaires. Quand le chômage réapparaît, les progressions de salaire sont plus faibles.
À tout cela s’ajoute, l’impact potentiel du mouvement du 10 septembre.
Oui, c’est comme des grèves, on tourne au ralenti sur un jour, ça a des conséquences, mais ça peut être compensé sur l’année sans problème. Et si ça se prolonge, c’est plus compliqué. Mais on ne connaît pas encore l’ampleur du mouvement.
Pour améliorer la situation, faut-il travailler davantage comme l’a prôné mercredi le patronat lors de la rentrée du Medef ?
On travaille un peu plus que les autres en Europe, on est dans la moyenne haute..Tout le monde a réduit son temps de travail, mais pas de la même manière, la France sur le temps complet là où les autres pays ont incité au temps partiel. Donc penser qu’il n’y a qu’en France où on a réduit le temps de travail, c’est se tromper.
Et si on a un problème de temps de travail en France, ce n’est pas sur les 25-55 ans. Ils travaillent même plus qu’ailleurs. En revanche, il faut augmenter les taux d’emploi des jeunes et des seniors. La suppression des deux jours fériés, c’est faire travailler plus les personnes qui sont déjà sur le marché du travail et ont déjà un temps de travail au-dessus des autres pays européens. Donc cela ne répond pas au problème, c’est bête.