Publié le
28 août 2025 à 14h23
À Roubaix, quartier de l’Alma, la rénovation urbaine se poursuit. Mais la situation est plus compliquée que dans les 3 autres quartiers concernés aussi par ces grands travaux. Elle a été marquée par la construction d’un mur, révélateur des tensions avec les habitants. Il est tombé, mais l’opposition continue. On fait le point avec Florian Vertriest, du collectif anti-démolitions.
À l’Alma, les murs parlent. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du NordQuartier de l’Alma à Roubaix : en chantier
Le quartier de l’Alma est en chantier. Quand on traverse la rue principale, la rue de l’Alma, on voit les traces des travaux : ici des pelleteuses, là une friche en cours de reconversion.
Quand on s’enfonce plus loin, dans les rues Archimède et Fontenoy par exemple, on se demande où on est. Des passages entre les immeubles cadenassés, des jardins grillagés inaccessibles. Des fenêtres murées, des logements vides. Est-on en zone sinistrée inhabitée ? Pas du tout. Entre les appartements inoccupés, d’autres sont habités, on le voit aux vêtements pendants au balcon et aux antennes rondes reliées aux télés. Si vous vous demandez ce que veut dire la rénovation urbaine, ce secteur en illustre une facette… compliquée.
À l’Alma, le mur honte a été érigé par la mairie pendant 2 ans car il y avait des dégradations sur le chantier de démolition. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du Nord
C’est le seul des 4 quartiers en rénovation urbaine qui a vu la création d’un collectif anti-démolitions, mené par Florian Vertriest. Si c’est aussi tendu, il y a peut-être une explication : dans les années 1970-1980, ce quartier a connu une grande période de rénovation, « où les habitants ont été largement consultés et écoutés » rappelle le président du collectif. Ils ont l’impression aujourd’hui que la démarche est beaucoup moins dans l’écoute !
Cet été 2025, le mur a été ôté pour laisser place à un grillage. Des bâtiments ont été abattus pour laisser place à un espace vert. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du Nord
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Un mur de béton, une image forte
Pendant 2 ans, un mur de béton a encerclé un pâté de maisons, empêchant les gens de marcher sur le trottoir. Il n’est plus là depuis quelques semaines, mais il restera comme l’image forte des dérives de cette rénovation urbaine qui avance comme un bulldozer.
La mairie a construit ce mur de béton de 3 m de haut pendant presque 2 ans, face aux dégradations du chantier de rénovation urbaine rue de l’Alma. Depuis mi-août 2025, il a disparu. Le bâtiment devant lequel il était bâti a été « déconstruit », laissant place à un espace vert. Les immeubles et maisons situés plus en arrière ne sont pas concernés par les démolitions. Mais les travaux continuent dans les jardins, pour installer de nouvelles canalisations.
La place de la Grand-Mère à Roubaix, vouée à être débitumée complètement. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du NordSur les 486 démolitions annoncées, 249 contestées
Bref, le NPRU poursuit le chantier, d’autres démolitions doivent avoir lieu cette année. Mais certains s’y opposent. « On n’est pas contre toutes les démolitions ! » assène Florian Vertriest. « Sur les 486 démolitions annoncées, on en conteste 249. Certaines sont pertinentes, le projet de la place du marché est une bonne chose. Ce qu’on combat, c’est de toucher aux bâtiments historiques en bon état que nos grands-parents ont contribué à construire ».
Quand on sait que les bâtiments concernés ne datent que des années 1980 et que structurellement, ils ne sont ni insalubres ni dégradés, on ne peut que s’étonner. « Ce sont en plus des bâtiments de qualité avec un intérêt architectural indéniable ! » Florian Vertriest enfonce le clou.
La tête de buffle de l’immeuble des 3F, voué à la démolition dans quelques mois. Des airs de Goldorak ? ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du NordDéfendre une belle architecture
Il mise effectivement sur un argument architectural pour sauver son quartier : certains immeubles voués à la démolition sont selon lui remarquables et rares, comme celui des « 3F », qui doit être détruit cette année. « Regardez tous ces détails, ces arcades et surtout ces têtes d’animaux, de l’architecte Gilles Neveux ! C’est ce qu’on appelle de l’architecture narrative ».
Effectivement, l’immense immeuble de briques rouges, à l’angle de la rue de l’Alma et de la rue Archimède, révèlent des détails incroyables quand on prend le temps de l’admirer : éléphant, buffle, perroquet, en haut de l’immeuble, tout en couleurs, observent fièrement le quartier. On dirait même que Goldorak s’est invité !
Des petits jardins comme celui-là, il y en a des dizaines à l’Alma. Mais ils sont quasiment tous murés ou grillagés et inaccessibles. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du Nord« C’était déjà une cité-jardin, on a muré les espaces verts il y a des années ! »
Bien sûr, le président du collectif critique le plan du NPRU, mais en fait, le quartier a été défiguré depuis bien longtemps. « Regardez cette grille, elle est fermée : derrière, vous voyez un jardin. Et bien, cela fait des années qu’on n’a plus accès à cet espace vert. Et des jardins comme celui-ci, il y en a des dizaines dans le quartier. La plupart sont inaccessibles, voire murés, depuis 5 ou 6 ans. Avant, on pouvait y jouer, et même les traverser pour aller d’un point à un autre. C’était une cité-jardin ce quartier, créée en 1980 en accord avec les habitants. Pourquoi on ne peut plus avoir accès à ces espaces verts ? Financer leur entretien, c’est compliqué ? Ou alors on laisse se dégrader le quartier pour que les gens partent… »
Le plan de rénovation urbaine prévoit justement de verdir le quartier. « Mais avant qu’on grillage nos jardins, c’était déjà le cas ! Quelle logique ? »
C’était un écoquartier avant, un îlot de fraîcheur 100 % piétons, tout se faisait à pied, les garages étaient souterrains. Le docteur, les commerces, les écoles étaient à proximité. C’était un exemple.
Il cite les innovations du quartier lors de sa rénovation dans les années 1980 : « Ici, on était précurseur. La cour de récré de l’école se passait sur la place de la Grand-Mère, le foyer de personnes âgées était installé dans un immeuble intergénérationnel, les rez-de-chaussée étaient commerciaux… » Mais ça, c’était avant.
Détail des bâtiments de l’Alma, ici condamnés depuis plusieurs années. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du NordChasser « les pauvres » ?
Florian Vertriest ne voit qu’une raison à ces démolitions et cet abandon latent : faire partir « les pauvres » pour changer l’image du quartier. Environ 700 familles du quartier devraient être relogées ailleurs selon le NPRU. « La problématique est sociale. C’est plus facile de se débarrasser d’une certaine population en démolissant, en espérant que dans 20 ans, l’image du quartier change en attirant d’autres publics… Mais la mixité sociale ne se décrète pas ».
La mairie assure de son côté avoir largement été à l’écoute des habitants, avec plus de 200 réunions publiques en 3 ans. « Pour l’Alma, on n’a vu que 3 ou 4 réunions. La première a été annoncée avec un simple flyer accroché au mur, c’était un diagnostic en marchant à 7 h 30 du matin ! On était 3 habitants avec les élus et les experts ». Il est vrai que les autres réunions n’ont pas mobilisé les foules, « mais il faut savoir que les gens sont résignés ici, ils n’ont plus confiance ».
Qu’en pensent les habitants ? C’est quoi, la vie d’un résident dans un quartier en rénovation urbaine ? À l’Alma, ils connaissent la réputation de leur quartier, mais eux, ils l’aiment, ils l’écrivent sur les murs, et le disent.
L’Alma, un quartier à mauvaise réputation, en chantier, mais que les habitants apprécient. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du NordDes habitants qui aiment leur quartier mais qui subissent des difficultés
Quand on se balade rue de l’Alma et les rues alentour, les personnes croisées ne vont pas par 4 chemins : depuis au moins deux ans, ils vivent des nuisances qui n’ont qu’un responsable : la rénovation urbaine. Pourquoi ? Ils donnent des détails sur les difficultés vécues au quotidien. « On n’a pas eu de chauffage pendant des mois en plein hiver, je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie, et j’ai des enfants en bas âge ! » dit Ismaël. Il dénonce un quartier à l’abandon depuis 20 ans, « il y a 38 terrains vagues dans le quartier ! » Et aussi, ces grillages et murets qui condamnent des passages entre les immeubles : « Avant, c’était fluide jusqu’à l’école, maintenant, il faut faire le tour. Et quand il y avait le grand mur, on ne pouvait pas emprunter le trottoir, on devait traverser la route principale, ma femme est déjà tombée, et une personne s’est fait renverser… »
Il a bien assisté à des réunions pour expliquer l’ANRU, « mais on sentait que tout était déjà décidé d’avance… »
Détail des bâtiments de l’Alma, une architecture en bon état et « stylée ». ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du Nord
Une voisine s’énerve : « Depuis cet été, les pelleteuses sont dans nos jardins, on ne peut pas sortir dans nos propres espaces verts. Il y en a pour des mois. Je ne sais pas si j’aurai du chauffage encore cet hiver… Et nos charges n’ont pas diminué »
Le pire, ce fut pendant les 4 mois où la police a quadrillé le quartier jour et nuit, avec rues bloquées et drones, pour « sécuriser » le quartier. « Ils ont garé leur véhicule juste devant chez moi, le moteur tournait toute la nuit » dit une maman. Sans oublier les projecteurs braqués dans les rues. Plusieurs rues ont carrément été bloquées : seuls les résidents pouvaient les emprunter et encore, en montrant une pièce d’identité. Une pression dure à vivre, « je me sentais considérée comme une sans-papiers dans ma propre rue ! J’avais la boule au ventre dès que je rentrais chez moi » dit une autre habitante.
« Ils veulent nous faire partir, rien n’est plus entretenu… Mais je ne quitterai pas mon appartement, je reste à l’Alma ! Des gens ont accepté le relogement ailleurs, ils déchantent, ils veulent revenir ! On me propose un 60 m2, plus petit et plus cher que ce que j’ai actuellement » ajoute Nadia.
« On gagnera »
Les démolitions programmées sont-elles certaines ? D’un côté, le service de la mairie confirme l’irréversibilité du programme. De l’autre, Florent Vertriest a bon espoir d’arrêter la machine. « On va gagner car on ne lâchera pas. C’est le bon sens qui parle. Ce n’est ni moi ni les habitants qui ont raison, c’est l’intérêt général. Si on ne gagne pas ici, personne ne gagnera ailleurs ».
Un contre-projet
Le collectif n’est pas seulement dans l’opposition, mais a établi un contre-projet détaillé avec des professionnels, notamment les anciens architectes du quartier. « On les a contactés et rencontrés. Depuis 3 ans, plus de 400 experts, architectes, étudiants, sont venus sur place ».
Résultat : un diagnostic et un contre-projet ont été établis avec plusieurs partenaires comme des architectes et l’école d’architecture, des associations (l’APU, les Urbanistes des Hauts-de-France, Alternative Pour des Projets Urbains Ici et à l’International), les habitants. Parmi les préconisations, la dimension culturelle n’a pas été oubliée : comme la création d’une Maison de la danse, d’un Musée de l’histoire locale…
D’autres aussi s’opposent au projet NPNRU
Il n’y a pas que Florian Vertriest et le collectif anti-démolitions du quartier qui s’opposent ainsi à l’ANRU. L’association de défense du patrimoine roubaisien Métropole Label. le est aussi vent debout contre ce projet qualifié de « crime contre le patrimoine ».
Elle dénonce : « Cette approche de l’habitat, combinant mixité des fonctions, dimension humaine du bâti, circulations douces et fort verdissement est plus que jamais d’une brûlante actualité. Le projet proposé est non seulement déraisonnable, il est surtout totalement anachronique, nous renvoyant à une conception de l’urbanisme qui prévalait au milieu du XXe siècle et qui est désormais considérée comme archaïque par tous les spécialistes et l’ANRU elle-même. Au-delà de leur aspect historique, les bâtiments sont d’une qualité de conception et de construction qu’on a beaucoup de peine à retrouver dans les rares réalisations récentes des bailleurs concernés. Ils ne présentent pas de désordres structurels ».
L’association Métropole Label. le dit donc son « opposition totale à ce projet absurde de démolition d’éléments très remarquables du patrimoine bâti et urbain de notre métropole et notre soutien à l’action du collectif contre les démolitions à l’Alma ».
Mais l’Alma ne se résume pas aux destructions et à l’opposition. Une grande fête de quartier a animé la place de la Grand-mère en juillet 2025. Devant l’amoncellement des poubelles au pied de certains immeubles abandonnés, des opérations de nettoyage du quartier par les citoyens eux-mêmes sont organisées. Pour continuer à faire vivre ce quartier défiguré et blessé.
Infos : [email protected]
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