L’écrivaine mauricienne Nathacha Appanah, à Paris, le 15 juillet 2025. L’écrivaine mauricienne Nathacha Appanah, à Paris, le 15 juillet 2025. FRANKENBERG ROBERTO/MODDS

« La Nuit au cœur », de Nathacha Appanah, Gallimard, 286 p., 21 €, numérique 15 €.

Hic sunt dracones. « Ici sont les dragons. » Cet avertissement des cartes anciennes, placé aux confins des mondes explorés, pourrait servir d’exergue au nouveau livre de Nathacha Appanah. Les monstres qu’elle y révèle, qu’elle y assigne, n’ont toutefois rien de créatures mythologiques. La Nuit au cœur tresse étroitement trois histoires de femmes victimes de la violence furieuse de leurs maris, de leurs compagnons, devenus leurs bourreaux. Deux en sont mortes. Celle qui en a réchappé écrit.

Elle avait pourtant pensé qu’elle avait déjà tout dit. Et qu’une phrase suffisait, d’ailleurs. Dans le premier des courts textes de son Petit Eloge des fantômes (Gallimard, 2016), où elle évoque sa grand-mère et la dernière visite qu’elle lui fit à l’hôpital, Nathacha Appanah glissait juste : « J’avais 21 ans à peine, je vivais sous l’emprise d’un homme au génie sombre et violent, et je n’en menais pas large. » Mais voici qu’aujourd’hui elle revient explorer cette aventure douloureuse, trouble, dont elle a réussi à se sauver. Voici qu’enfin elle parvient à trouver les mots pour arracher à l’étouffant silence les années de soumission, de dépendance, d’humiliation, de contrainte, d’intimidations, de brutalité, de terreur, dans lesquelles a été engloutie sa jeunesse. Elle a 17 ans lorsqu’elle remporte le prix d’un concours de nouvelles organisé par un quotidien de l’île Maurice. La rédaction lui dépêche un journaliste pour l’interviewer. Il est aussi écrivain, poète. « La littérature exerce sur moi un pouvoir immense et c’est ici ma faiblesse, c’est ici mon secret. » Cet homme, de trente ans son aîné, va patiemment la capturer. En faire sa proie. La dévorer.

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