En juin dernier, en l’espace d’un peu plus d’une semaine, le petit univers du sport québécois a connu un fascinant alignement des planètes. Une sorte d’apothéose, en fait.

Durant cette fébrile période, deux Québécois, Luguentz Dort et Bennedict Mathurin, participaient à la finale de la NBA. Et l’un des quelque 30 Québécois jouant dans la LNH, A.J. Greer, remportait la Coupe Stanley avec les Panthers de la Floride. Dans la MLB, où Éric Gagné et Russell Martin ont été des joueurs étoiles, Otto Lopez jouait régulièrement avec les Marlins de la Floride tandis qu’Abraham Toro et Édouard Julien tentaient toujours de consolider leur place.

À Montréal, les amateurs de F1 vibraient au rythme du Grand Prix auquel participait Lance Stroll. Et de l’autre côté de l’Atlantique, au même moment, Félix Auger-Aliassime et Gabriel Diallo disputaient les demi-finales de deux différents tournois de l’ATP. Sans oublier que des joueurs de soccer des chez nous, comme Ismaël Koné et Mathieu Choinière, étaient membres de clubs européens ou poursuivaient leur carrière dans la MLS.

Par ailleurs, si les activités de la NFL n’avaient pas été en pause estivale, on aurait pu ajouter à cette impressionnante collection de talents la présence de Benjamin St-Juste, Matthew Bergeron et de Sidy Sow au sein de la ligue la plus populaire sur le continent.

Au bout du compte, en dressant l’inventaire de cette dynamique diaspora sportive, on constatait toutefois qu’une intrigante case n’était toujours pas cochée. Parmi les championnats majeurs (masculins) nord-américains, celui du golf est le seul dont nos athlètes ne parviennent pas à franchir les portes. Et depuis très longtemps.

En effet, le dernier golfeur du Québec à avoir détenu une carte du circuit de la PGA a été Adrien Bigras, qui y a disputé une vingtaine de parties en 1964-1965. Et avant lui, il faut remonter jusqu’à Jules Huot, qui s’y est illustré pendant plusieurs saisons… dans les années 1930!

Il effectue un coup dans l'allée.Ouvrir en mode plein écran

Le club de golf Royal Montréal a été inauguré en 1873.

Photo : Reuters / Shaun Best

Comment une telle chose est-elle possible considérant que le golf est l’un des sports les plus pratiqués au Québec, et surtout, lorsqu’on sait que le Québec est en quelque sorte le berceau de ce sport en Amérique du Nord?

La légende veut que le premier élan de golf effectué en Amérique du Nord ait été fait par un soldat britannique sur les Plaines d’Abraham au 18e siècle. Le parcours de golf Orléans (situé sur l’île d’Orléans) date de 1868 et revendique le titre de premier parcours aménagé sur le continent. Le club Royal Montréal (1873) est pour sa part le plus ancien club actif de notre côté de l’Atlantique.

L’absence totale du Québec au sein de l’élite mondiale du golf est encore plus difficile à expliquer quand on constate ce qui se passe dans le reste du pays. À la fin des années 1990 et dans les années 2000, les prouesses de Mike Weir ont fait émerger une nouvelle génération de fabuleux golfeurs canadiens (les Ontariens Corey Conners, Taylor Pendrith et Mackenzie Hughes ainsi que les Britanno-Colombiens Nick Taylor et Adam Hadwin) qui se distingue régulièrement sur le circuit de la PGA.

Ensemble, ces cinq Canadiens ont bouclé 18 tournois au sein du top 10 au cours de la saison 2025 et ils ont accédé sept fois au top 5. Ils ont de surcroît amassé plus de 20,75 millions de dollars en bourses.

Il termine son élan et tient son bâton derrière sa tête.Ouvrir en mode plein écran

Mackenzie Hughes est l’une des têtes d’affiche du golf canadien

Photo : La Presse canadienne / Frank Franklin II/Associated Press

En ce moment par contre, les deux golfeurs masculins québécois les mieux placés sur l’échiquier du golf professionnel sont Étienne Papineau et Joey Savoie.

Papineau joue au sein du Korn Ferry Tour, qui est en quelque sorte l’antichambre du circuit de la PGA. Âgé de 28 ans, Papineau a participé à 46 tournois du Korn Ferry Tour depuis 2024. Il a franchi la marque de qualification 24 fois et il s’est positionné en une occasion au sein du top 10. Pour sa part, Savoie participe aux activités du circuit de développement PGA TOUR Americas, dont les meilleurs éléments passent éventuellement au sein du Korn Ferry Tour. Cette année, en 12 participations, Savoie a franchi la marque de qualification cinq fois. Il a toutefois bouclé deux tournois au sein du top 10.

Le jeu de mots est un peu juvénile, je vous l’accorde, mais il est certainement permis de se demander pourquoi nos meilleurs jeunes golfeurs ne parviennent pas à défoncer ce plafond de vert. Quels éléments de notre recette faudrait-il changer pour qu’on finisse par voir des golfeurs québécois de niveau mondial émerger?

Votre question arrive à point, répond le directeur du développement du sport de Golf Québec, Patrice Clément.

Un membre de notre conseil d’administration a posé cette même question il y a un an. Et on a pensé que c’était le temps de profiter d’un regard externe pour voir ce qu’on pouvait faire (pour améliorer le développement de nos jeunes). En fait, pour analyser ce que nous faisons présentement et pour déterminer comment on peut se réorganiser pour favoriser l’émergence de ce genre de talents, a-t-il expliqué.

En 2024, Golf Québec a fait appel à la firme Très Bon Point (TBP) pour passer en revue ses programmes et ses pratiques. Les experts de TBP ont évidemment pris le pouls de la communauté du golf québécois. Mais par-dessus tout, ils ont répertorié les meilleures pratiques de plusieurs fédérations sportives canadiennes et internationales qui ont des points en commun avec Golf Québec ou qui apparaissaient susceptibles de lui servir d’inspiration.

Golf Ontario et Golf BC (Colombie-Britannique) ont notamment été auscultées par TBP parce que les membres de la communauté québécoise du golf avaient été nombreux à souligner la qualité des terrains et des athlètes développés dans ces provinces.

À titre d’exemple, la fédération ontarienne propose à ses meilleurs jeunes espoirs de côtoyer les membres de l’équipe provinciale à l’occasion de divers camps d’entraînement. On mise donc, notamment, sur l’effet d’émulation entre les différents groupes d’âge.

En Colombie-Britannique, on met l’accent sur l’importance de développer des athlètes qui auront les meilleures chances possibles de représenter le Canada sur la scène internationale. Et pour cela, il faut connaître les attentes et y répondre. À quelle vitesse, par exemple, un golfeur d’élite âgé de 13 ans devrait-il pouvoir propulser la balle

Golf BC entretient aussi une conversation constante avec ses meilleurs espoirs sur l’importance, éventuellement, de s’expatrier et de compétitionner aux États-Unis pour pouvoir gravir les échelons. Cette route n’est toutefois pas la seule, et le bien-être de l’individu doit primer, estiment des représentants de cette fédération.

Pour sa part, Golf Canada préconise une approche holistique. Les joueurs et joueuses des équipes nationales sont entourés d’équipes multidisciplinaires et on leur accorde une grande latitude, ainsi qu’aux parents, dans la gestion de leur trajectoire sportive. Mais on les rappelle à l’ordre quand leurs choix sont mal avisés.

Ski alpin, Norvège, Golf Japon, Tennis Espagne et Golf Suède font aussi partie des fédérations internationales qui ont été étudiées par TBP afin d’inspirer et d’orienter les décideurs de la fédération québécoise de golf.

Les Japonais, qui produisent des joueurs de très haut niveau avec une certaine constance, concentrent 65 % du développement de leurs meilleurs espoirs sur le jeu court. En revanche. Tennis Espagne estime qu’une grande partie de ses immenses succès repose sur le partage d’informations au sein de sa confrérie d’entraîneurs nationaux et sur la confection d’un plan global de développement qui soit extrêmement clair .

En ce qui concerne la Suède, pas moins de sept joueurs de ce petit pays nordique ont disputé des tournois sur le circuit de la PGA cette année. La vedette suédoise Ludvig Aberg, 25 ans, a d’ailleurs remporté une victoire en plus de s’immiscer à six reprises dans le top 10.

Il termine son élan et regarde sa balle s'éloigner.Ouvrir en mode plein écran

Ludvig Aberg est l’un des nombreux joueurs d’élite produits par la Suède.

Photo : Associated Press / George Walker IV

Selon les informations recueillies auprès de Golf Suède, les jeunes Suédois pratiquent le golf à l’école secondaire, comme on le fait au Québec dans les programmes sports-études. Mais dans ce pays de hockey, on commence aussi à cultiver les talents et à piquer leur curiosité en bas âge.

À titre d’exemple, on organise des petites compétitions dans les clubs dès l’âge de 8 ans pour faire sentir aux enfants que le golf peut aussi être une activité compétitive. Un circuit de compétition en bonne et due forme existe par ailleurs à compter de l’âge de 12 ans. Et dès l’âge de 13 ans, les meilleurs espoirs suédois sont invités à participer à des camps d’entraînement nationaux, un peu comme s’ils faisaient partie d’une équipe nationale pour enfants.

Golf Suède possède aussi une maison en Arizona où elle envoie ses meilleurs espoirs afin qu’ils puissent jouer et se perfectionner à l’année, souligne Patrice Clément, comme s’il évoquait un rêve inaccessible.

Fred Colgan est l’un des entraîneurs de golf les plus renommés au Québec. Il enseigne ce sport depuis 35 ans. Son académie, qui compte quatre entraîneurs à temps complet, supervise le développement de plus d’une centaine de jeunes. Au fil des ans, Colgan a entraîné et côtoyé plusieurs des meilleurs talents québécois.

Durant notre intéressant entretien, Colgan a estimé que globalement, le golf québécois a régressé au cours des 12 ou 13 dernières années.

Un homme en blanc devant une bannière de Golf QuébecOuvrir en mode plein écran

Fred Colgan est un entraîneur de golf réputé.

Photo : Golf Québec

Vous devriez peut-être davantage discuter ces questions avec les gens de la fédération. Mais avec les moyens financiers dont on dispose au Québec, ou bien tu fais la promotion du « sortez-golfez » (du golf loisir) pour la masse ou bien tu mets tes pions en ligne pour développer du haut niveau. Mais clairement, si vous regardez le portrait depuis 12-13 ans, le « sortez-golfez » est pas mal plus important que de développer le haut niveau, estime Fred Colgan.

Collectivement, nous n’avons jamais été aussi loin de développer des joueurs de classe mondiale. À mon avis, nous étions plus proches de cet objectif il y a 20 ans. Le golf québécois avait alors bon vent. Claude Tremblay avait créé le programme de certification des entraîneurs de golf. Nous nous rassemblions, nous faisions des choses intéressantes et les programmes sports-études avaient notamment été mis sur pied. Mais depuis ce temps-là, on s’est remis à privilégier la formule « sortez-golfez », déplore-t-il.

Durant notre entrevue avec le directeur du développement du sport de Golf Québec, on a entre autres appris que la fédération ne disposait pas de statistiques révélant combien de jeunes golfeurs québécois évoluent dans la NCAA, ni combien de joueurs d’âge junior sont membres de clubs au Québec. Cela tend à appuyer l’observation de Fred Colgan quant à l’importance accordée au développement.

Quand on lui soumet les exemples de Tennis Canada et de Natation Canada, qui ont réussi à développer d’impressionnantes cohortes d’athlètes de niveau mondial après avoir créé des centres d’entraînement nationaux, Fred Colgan offre par ailleurs une réponse extrêmement intéressante.

Les systèmes dont vous parlez roulent sur des budgets de plusieurs millions. Au Québec, on a 300 000 $. Un golfeur qui tente de jouer professionnellement dans des conditions minimales, c’est-à-dire pouvoir compter sur son entraîneur une semaine par mois et avoir un cadet régulier sur son sac, ça coûte 225 000 $. Alors on n’est pas là pantoute.

Une citation de Fred Colgan, entraîneur de golf

Par contre, est-ce le rôle d’une fédération provinciale de développer l’élite? C’est une grande question. Parce que tant au tennis qu’en natation, c’est la fédération nationale qui prend en charge cette structure d’excellence. Alors il faudrait peut-être aussi demander à Golf Canada: « Vous autres, vous faites quoi en haut? » Et en haut, c’est la même chose. Ils sont en retard de façon considérable, estime Colgan.

À travers les propos de Patrice Clément et de Fred Colgan, on comprend qu’au-delà de la façon d’organiser un système de développement, la culture du golf québécois devra aussi évoluer pour qu’on finisse par voir surgir des champions.

Un homme en noir, sourit, les bras croisés.Ouvrir en mode plein écran

Patrice Clément est directeur du développement à Golf Québec.

Photo : Golf Québec

En ce qui concerne le soutien communautaire, il me semble qu’on a un peu plus le réflexe de soutenir les jeunes talents et de leur ouvrir les portes du côté du Canada anglais qu’au Québec. Si on a besoin d’argent et d’accès à des terrains de haut niveau, j’ai l’impression qu’ils sont plus ouverts à ça du côté anglophone, avance le directeur du développement de Golf Québec.

Si on parle strictement de l’accès aux terrains pour les jeunes golfeurs, on peut se demander s’il est vraiment là. Les gens du milieu veulent du golf junior, mais ils ne veulent pas que ça dérange. Donc, jusqu’à quel point on en veut? C’est là qu’on se demande jusqu’où le milieu est prêt à s’investir pour accueillir des jeunes et les amener à un plus haut niveau. Souvent, on lève la main quand ils sont rendus à un plus haut niveau.

Une citation de Patrice Clément, directeur du développement de Golf Québec

Colgan renchérit sur le thème de la culture, mais de façon plus large. Peu importe l’endroit sur la planète, les pépinières de différentes disciplines sportives sont souvent directement liées à un aspect culturel. Il y a une raison culturelle qui explique pourquoi les Brésiliens excellent au soccer, pourquoi les Sud-Coréennes sont dominantes au golf, pourquoi les joueuses de tennis russes sont aussi nombreuses et pourquoi les Éthiopiens ont autant de coureurs exceptionnels.

Mais au Québec, nous n’avons pas cette soif (en golf), alors c’est très difficile. […] Tout se passe vers 22-23 ans pour un golfeur qui aspire au plus haut niveau. C’est là que les grandes décisions doivent se prendre. Et ça nécessite un don de soi. Il faut que tu sois capable de séjourner dans des motels pas chers en Arkansas pour participer à des tournois et que tu sois très heureux d’être là. Et il ne faut pas que tu aies envie de te tourner vers ton plan B dès que ça se met à brasser. Étienne Papineau est un bon exemple de cela. Il est là-bas et il est heureux. Pour lui, le vent pourrait fort bien tourner positivement, dit-il.

Bref, ce chantier est extrêmement vaste. Mais Golf Québec a décidé de s’y attaquer afin de pouvoir éventuellement fournir de meilleurs outils et un meilleur soutien aux plus prometteurs espoirs de la province.

Ce n’est pas notre projet à nous d’amener quelqu’un sur le circuit de la PGA. C’est à l’athlète de décider s’il veut y aller. Il faut que la motivation vienne lui. Cela dit, notre rôle consiste à leur dire : « Tu as décidé de faire ça? Go! Vas-y et on va t’aider ». Notre vision sera plus axée vers la création d’opportunités de développement pour nos athlètes avec des outils appropriés, bien définis, que les gens seront libres d’utiliser. Parce que nous voulons vraiment favoriser l’autonomie et faire en sorte que ce soit le projet de la personne, indique Patrice Clément.

Dès cet automne, les dirigeants de Golf Québec vont donc revoir leur cadre de référence et redéfinir leur modèle de développement.

Les recommandations de Très Bon Point nous ramènent à la base et à reconstruire pour l’avenir. Nous allons notamment reconstruire l’équipe du Québec sur une période de quatre ans. Ça prendra un certain temps, mais il faut reconstruire notre base et mettre l’accent là-dessus pour éventuellement avoir plus de joueurs de haut niveau, conclut Patrice Clément.