Un centre urbain de production de chaleur renouvelable pour alimenter l’équivalent de 28 000 logements. La promesse formulée en 2017 sur la rive droite de Bordeaux fait envie, dans un secteur où les quartiers neufs se développent. Mais huit ans après, elle n’est pas encore totalement tenue sur les 38 kilomètres de réseau installés. Avec la crise de la construction neuve, Engie, le concessionnaire de l’installation choisi par Bordeaux Métropole pour trente ans, n’a même pas raccordé la moitié des points de fourniture prévus.

C’est ce que l’entreprise a révélé à la fin juillet, lors d’une visite de site avec le ministre de l’Industrie et de l’Énergie, Marc Ferracci. Les retards des programmes immobiliers dans les secteurs Brazza, Bastide Niel et Garonne Eiffel font que les logements qui devraient être chauffés à plus de 80 % grâce à la géothermie ou à la biomasse ne sont tout simplement pas encore construits. « On aurait déjà dû raccorder plus de 300 sous-stations et on n’en est toujours pas à la moitié. Nous avons plusieurs années de retard et cela crée quelques problèmes économiques pour la société », évoque Frank Lacroix, le directeur général adjoint d’Engie.

La géothermie devient ainsi un dommage collatéral de la crise du logement neuf, alors qu’elle y trouvait un terrain de jeu idéal pour faire ses preuves. Face à un contexte grippé, les énergéticiens ont fait pression sur le gouvernement pour alléger les démarches d’autorisation. La mission lancée au printemps par le Premier ministre a abouti ce 28 août à la publication d’un décret simplifiant la procédure d’instruction en vue de l’obtention du titre de géothermie. Un sésame crucial pour explorer sous la terre, avant de forer et puiser la chaleur du sous-sol.

Pourquoi la géothermie peine à s’imposer dans le mix énergétique français

Puits sans fond

L’exploration n’est d’ailleurs pas dénuée d’aléa, comme le prouve l’expérience d’Engie sur les bords de Garonne. Le projet a initialement foré dans la nappe jurassique à 1 700 mètres de profondeur pour puiser une eau à 70 degrés. Mais le flux aquatique s’est révélé trop mince pour alimenter le centre de production, qui doit générer plus de 100 gigawattheures d’énergie par an. Un plan de repli est échafaudé à 900 mètres sous la surface, où la température n’atteint plus que 45 degrés. Mais il faut forer une deuxième fois et accepter un rendement moindre à cause de la baisse de température.

Résultat, le coût d’aménagement du projet explose, passant de 43 à près de 100 millions d’euros. La concession accordée par la Métropole se révèle tout de suite bien moins intéressante économiquement pour Engie. « Le contrat prévoit des clauses de révision tarifaire en fonction du nombre de bâtiments livrés sur le secteur. L’impact sera mitigé, mais on ne pourra pas le compenser complètement », calcule Cynthia Zabita, manageuse d’actifs pour Engie Solutions. « La crise va peut-être forcer les métropoles et les usagers à supporter davantage de risque. »

La France quadruple

La métropole bordelaise, elle, veut dépasser les affres de cette première expérience en déployant de nouveaux réseaux de chaleur fondés sur la géothermie. Ce sera le cas autour de l’aéroport, dans le quartier Grand Parc à Bordeaux et aussi au sud, avec le plus grand réseau de chaleur de l’agglomération étendu sur six communes et capable de fournir la ressource à 214 000 habitants. Le tandem entre Idex et Mixéner a été sélectionné cet été par la Métropole afin de l’exploiter pour une durée de trente ans. La géothermie va ainsi contribuer largement à l’objectif métropolitain de tripler la production de chaleur renouvelable d’ici à 2030. Un but ambitieux à accomplir en seulement cinq ans, qui montre que ces infrastructures sont facilement déployables. À condition de ne pas rencontrer trop de freins administratifs.

« C’est une énergie souveraine et intégrée aux territoires. On peut installer des centres de géothermie à peu près partout et ils doivent en particulier progresser en milieu urbain », ambitionne le ministre Marc Ferracci. « Maintenant, il faut faire en sorte que plus de projets sortent de terre. » Au niveau français, l’objectif est de quadrupler la production d’ici à 2035 pour tutoyer les 18 térawatt-heures annuels. 800 millions d’euros sont consacrés au fonds chaleur de l’Ademe pour 2025, du jamais vu. « On vit vraiment une période exceptionnelle pour la géothermie », appuie Franck Lacroix. Les difficultés ne seront peut-être que passagères.

Sous-exploitée, la géothermie s’échauffe en Nouvelle-Aquitaine

Maxime Giraudeau