À l’issue d’une première semaine de grève, les négociations entre l’intersyndicale et la direction avancent mais se durcissent. Retour sur une séquence de mobilisation dans chaque station. La direction de Radio France a comptabilisé 10,6 % de grévistes lundi, 6,18 % mardi, 5,08 % mercredi, 4,56 % jeudi. De quoi avoir de réelles conséquences sur l’antenne.

La direction de Radio France a comptabilisé 10,6 % de grévistes lundi, 6,18 % mardi, 5,08 % mercredi, 4,56 % jeudi. De quoi avoir de réelles conséquences sur l’antenne. Photo Clément Martin/Hans Lucas

Par Marion Mayer

Publié le 29 août 2025 à 17h55

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Ce vendredi matin, cinquième jour de mobilisation pour les salariés de Radio France, l’enregistrement au studio 104 de la musique de la prochaine adaptation des Aventures de Tintin (à venir sur France Culture) avec l’Orchestre national de France a été annulé, faute de techniciens son. À l’issue d’une nouvelle séance de négociations dans la matinée avec la direction, l’intersyndicale a expliqué manquer d’engagements écrits pour pouvoir lever le préavis. Ainsi se poursuit cette drôle de grève entamée lundi, qui a, en cette semaine de rentrée, perturbé les antennes du groupe public.

Sur Culture ce jour, pas de Cours de l’histoire, de Souffle de la pensée, de Midis, de journal de 12h30 ou encore de Fabrique de l’information. Sur France Musique, Jean-Baptiste Urbain a enfin pu faire sa rentrée après quatre jours sans Musique matin à l’antenne. Les auditeurs n’ont cependant pas pu entendre En pistes ! ou Allegretto. Aujourd’hui sur Inter, pas de Fil de l’histoire. À la régulière, le nouveau rendez-vous de Mehdi Maïzi, n’était pas diffusé mercredi ; et Les p’tits bateaux, ni ce jour-là ni jeudi. Lundi, la première Grande matinale avait été perturbée — la playlist de la station remplaçait certains rendez-vous comme le journal de 8 heures ou la chronique de Charline Vanhoenacker —, permettant tout de même d’entendre les nouveautés de cette formule remaniée.

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Mais c’est bien dans les locales d’Ici que la mobilisation est la plus forte, avec la moitié seulement des matinales maintenues lundi, les deux tiers jeudi. Si la proportion de grévistes décomptés par la direction de Radio France ne semble pas mirobolante (près de 10,6 % lundi, 6,18 % mardi, 5,08 % mercredi, 4,56 % jeudi), ces absences ont de réelles conséquences sur l’antenne, alors même que certains postes de grévistes sont occupés par des CDD pour compenser les absences, notamment en matinale.

« On sort d’une discussion à bâtons rompus », a lancé ce vendredi midi Bertrand Durand (CGT) en assemblée générale, son collègue Benoît Gaspard (Sud) estimant que la direction « ne veut pas complètement jouer le jeu ». Aux yeux des élus, c’est à celui du chat et de la souris que se sont livrés les dirigeants du groupe public depuis le dépôt du préavis, le 11 juillet, l’intersyndicale n’ayant eu cesse de les accuser de « faire la sourde oreille ». Aucune séance de négociation n’avait été proposée avant le vendredi 22 août, ces derniers préférant que se tiennent des « discussions préalables ».

“Changement de ton”

Ce n’est que mercredi que la présidente de Radio France, apparemment inquiète des conséquences de la grève sur les antennes — et largement critiquée pour son « invisibilité » — s’en est mêlée. Sibyle Veil a ainsi reçu les délégués syndicaux, leur assurant qu’elle ne prenait pas à la légère les revendications. Un premier pas salué par les élus. Après quelques séances de négociations, la situation a semblé se débloquer jeudi, les syndicats ayant pris note d’« un changement de ton », notamment sur les deux sujets les plus crispants.

D’abord, la nouvelle grille des locales d’Ici, jugée trop imposée par Paris, et ne laissant pas assez de place aux programmes locaux. Mardi, la directrice du réseau, Céline Pigalle, a envoyé un mail aux équipes pour rappeler son souhait de « renforcer la place du local sur nos antennes ». Une réaction trop tardive, ont estimé les syndicats, alors que, dès le printemps, quarante et une stations avaient signé des lettres ouvertes pour dénoncer la « verticalité » des prises de décision… D’autant que celles-ci ne semblent pas porter leurs fruits : le changement de nom du réseau, rebaptisé Ici le 6 janvier, a engendré « quelques millions d’euros » de dépenses selon sa directrice, sans avoir l’effet escompté au niveau des audiences. Avec environ deux millions d’auditeurs, Ici a même été concomitamment dépassé par Europe 1.

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Mais vendredi matin, les représentants syndicaux ont déchanté. « Dès qu’on veut traduire par des mots, ça devient difficile », regrette Renaud Dalmar (CFDT). Ouverte à l’idée de la mise en place rapide d’un processus de dialogue, au terme duquel elle pourrait renoncer à sa réforme, la direction n’a pas souhaité s’engager par écrit sur ce possible retrait. Ce qui laisse craindre des paroles en l’air. À Radio France, il y a « un traumatisme », assure l’élu du personnel : « Tout le monde s’est rendu compte que dans ces groupes de concertation, à chaque fois, la parole finit par s’évaporer. »

La directrice des moyens et des organisations de Radio France a annoncé la mise en pause de la réforme visant à retirer les réalisateurs de la captation des concerts.

La directrice des moyens et des organisations de Radio France a annoncé la mise en pause de la réforme visant à retirer les réalisateurs de la captation des concerts. Photo Nicolas Krief/Divergence

Pour le deuxième « sujet bloquant », à savoir les modes de production, les discussions semblent un peu moins rugueuses, même si, là encore, des engagements écrits manquent pour le moment à l’appel. « Pour la première fois, ce qui est dit c’est que les choses sont réversibles », a salué Benoît Gaspard mercredi. Exemple concret : la directrice des moyens et des organisations de Radio France, Marie Message, a annoncé la mise en pause de la réforme visant à retirer les réalisateurs de la captation des concerts. Quant aux techniciens chargés de réalisation (TCR, pour remplacer les traditionnels binômes techniciens-réalisateurs) et à l’absence de technicien sur certaines tranches à Fip, la direction s’est dite « prête à revenir en arrière », là encore si le bilan dressé avec les salariés n’était pas concluant.

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Mais la liste des revendications des syndicats ne s’arrête pas là. Il faut encore que la direction statue sur le sort d’une « dizaine de salariés en CDI » de Mouv’, qui, après la suppression de la fréquence FM de la chaîne et la transformation de sa grille en 100 % musicale, « n’ont toujours pas d’affectation » ailleurs à Radio France. Une décision qui crée par ailleurs un dangereux précédent, estiment-ils. En ligne de mire, France Musique, qui pourrait elle aussi perdre des fréquences FM pour passer sur la radio numérique terrestre (DAB +).

Trop de rediffusions ?

Au cours des assemblées générales, chaque jour à 13 heures, le sujet des rediffusions à l’antenne, de plus en plus nombreuses, est revenu à plusieurs reprises. Mardi matin dans sa chronique, Charline Vanhoenacker s’en est d’ailleurs amusée : « J’ai écouté les journaux de France Inter cet été, c’est vraiment le seul programme qui était en direct sur la chaîne ! Il y avait tellement de rediffusions que j’ai cru qu’on avait déjà fusionné avec l’INA. » Lors des négociations, la direction s’est engagée à ne pas baisser les moyens des chaînes sur la saison 2025-2026. « D’accord, mais la suite ? », s’est interrogé Benoît Gaspard.

Restent encore les craintes exprimées sur la place de l’investigation à l’antenne. La direction ne souhaite pas revenir sur le passage en mensuel de Secrets d’info, mais elle s’est engagée à mettre en place un suivi pour vérifier les conséquences éditoriales de cette décision. De leur côté, les syndicats mettent en garde sur un désaccord sémantique persistant, appelant à ne pas confondre enquête et fact-checking. « Ce pôle investigation a été créé justement pour extraire un groupe de journalistes de l’actualité, afin qu’ils puissent travailler sur le temps long », a rappelé Lionel Thompson (CGT).

À moins de négociations efficaces ce soir ou durant le week-end, les syndicats ne voient pas comment le préavis pourrait, en l’état, être levé. « La direction exige la confiance, refusant d’entendre que si on est en grève, c’est que la confiance a été rompue », a martelé Benoît Gaspard vendredi.

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