En juillet dernier, la Ville de Nantes conviait la presse locale à assister au levage et à l’installation sur la toiture de la mairie de Doulon, à l’Est de Nantes (Loire-Atlantique) d’un campanile en zinc de 1,5 tonne, reconstruit à l’identique par l’entreprise nantaise Pachet couverture. Nicolas Pachet, le dirigeant de ce groupe artisanal de 70 salariés répartis en 3 sociétés pour un chiffre d’affaire global de 7M€, a joué le jeu de cet exercice de communication. En réalité, il fulminait car pour ce chantier emblématique lancé en janvier 2023, son entreprise était toujours en attente d’un règlement de 385 000 € TTC de la part de la Ville de Nantes. « Sur un chantier qui s’élève au total à 500 000€ HT, ce n’est pas rien. La situation est devenue très préoccupante et nos relances étaient sans effet » explique-t-il.

La situation était d’autant plus ubuesque que ce chantier qui nécessitait un travail de précision – le bâtiment construit en 1904 par l’architecte Francis Leray étant classé au patrimoine nantais – a été livré cet été et reçu par la Ville de Nantes sans aucune réserve.
Une première série de factures approchant les 100 000€ a été réglée par la Ville dès le mois de janvier, avec 600€ d’indemnisation pour le retard. « Le gros des factures relatives à ce chantier, soit un peu moins de 400 000 €, a été réceptionné en juillet suite à des erreurs de facturation et des avenants non notifiés » indique la Ville de Nantes contactée par Le Moniteur.

Buzz sur les réseaux sociaux

Au milieu de l’été, n’y tenant plus, Nicolas Pachet a adressé un mail à une trentaine de ses interlocuteurs à la Ville de Nantes avec un ultimatum : « Si la situation n’évolue pas avant le 15 août, l’affaire sera rendue publique sur le réseau social Linkedin ». N’ayant reçu aucune réponse, le dirigeant se fend donc d’un post le 17 août débutant ainsi : « Je n’ai pas l’habitude de me plaindre sur les réseaux sociaux, mais c’est le ras-le-bol ».

Et le chef d’entreprise de détailler la situation de manière factuelle : « Un tel retard de paiement fragilise non seulement la trésorerie de notre société, mais également l’engagement de nos salariés et partenaires qui œuvrent chaque jour sur le terrain » écrit-il en lançant un appel à la maire de Nantes, Johanna Rolland et aux services de la Ville.

En quelques jours, le post est consulté plus de 70 000 fois. Alors que l’affaire était bloquée depuis des mois, Nicolas Pachet reçoit dès le lendemain une réponse, suivie le jour d’après d’une seconde du responsable avec la promesse que le règlement allait être effectué le plus tôt possible.

« Il y a eu un changement de logiciel financier en septembre 2024 pour la Ville de Nantes, son CCAS ainsi que la Métropole qui a en effet pu générer du retard dans la prise en charge des factures les premiers mois qui ont suivi sa mise en place » justifie la porte-parole de la Ville de Nantes. Et d’ajouter mercredi 20 août : « Concernant la situation de l’entreprise Pachet, entre hier et ce matin, 380 000€ de factures ont été validés. Les fonds seront versés prochainement, d’ici une semaine ».

Des paiements au-delà du délai fixé par la loi

L’entreprise devrait donc bientôt être payée pour le travail accompli. Mais au-delà de ce contentieux avec la Ville de Nantes, pour Pachet couverture les retards de paiement s’élèvent au total à 700 000€. Ils concernent exclusivement les marchés publics. « Avec l’Etat et les collectivités locales, on est sûr d’être payé un jour, mais ce sont incontestablement les plus mauvais payeurs » résume Nicolas Pachet, qui, avec sa casquette de responsable local de la Capeb, va tenter de lancer le débat au niveau national.

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Le BTP, bon élève dans les délais de paiement

Selon plusieurs entrepreneurs qui souhaitent garder l’anonymat, la Ville de Nantes serait bien connue pour les problèmes de délais de paiement. La collectivité estime de son côté que « le délai global de paiement moyen reste contenu : 38 jours à la Métropole et 41 à la Ville ». Pour mémoire, le délai de paiement maximal fixé par la loi, pour les collectivités, est de 30 jours.

« Il peut y avoir des situations individuelles qui dépassent ces délais mais elles ne sont plus liées au changement de logiciel financier, ni même toujours imputables à la collectivité : erreur de facturation de la part des entreprises, absence de pièces justificatives permettant la mise en paiement par exemple » estime la porte-parole de la Ville qui liste les mesure prises durant le mandat pour prendre en compte les contraintes des entreprises : « 30% avant tout début d’exécution de marché, suppression de l’obligation de garantie à première demande pour les marchés inférieurs à 90 000€ et priorisation de ses factures lorsqu’une entreprise fait état de difficulté de trésorerie ».

Un coût pour les finances publiques

Dans un contexte économique tendu, ces retards dégradent des situations de trésorerie déjà fragiles. Mais alors que l’argent public se fait rare, elles représentent aussi un coût pour les collectivités. « Les intérêts moratoires, de droit et à payer sans démarche des fournisseurs représentent une charge importante pour l’Etat et les collectivités », indique Claude Girault, directeur régional des finances publiques dans La lettre des CDL 44 d’avril dernier. Et d’ajouter que pour les gestionnaires publics, le non-paiement des intérêts moratoires fait peser un risque juridictionnel, à l’heure où la Cour des comptes et ses chambres régionales se penchent sur le sujet ».

Selon la direction régionale des finances publiques, le délai global de paiement (DGP) des collectivités de Loire-Atlantique s’améliore. En 2024, il s’établissait à 24,75 jours, contre 26,22 jours en 2023. Le taux de paiement à 30 jours progresse aussi. Reste que « 144 000 lignes de mandats, représentant 911 M€, ont été payées au-delà du délai réglementaire. Plus de 10 M€ d’intérêts moratoires auraient dû être versés aux entreprises concernées ».